Le collectif Voina, bête noire des autorités russes, investit Prague avec la bénédiction du maire

Photo: Yana Sarna

Art et liberté d’expression. Même au XXIe siècle, voilà deux idées qui ne font toujours pas bon ménage, surtout quand l’art en question vient titiller les hommes politiques, souvent fort susceptibles. Pour la réouverture de la galerie Artwall à Prague, celle-ci frappe fort : elle propose une exposition des œuvres d’un collectif d’artistes russes appelé Voina, qui ne fait pas de cadeau au pouvoir russe.

Zuzana Štefková
La galerie Artwall a une histoire mouvementée. Après trois ans de silence, elle peut à nouveau reprendre ses activités et exposer des œuvres géantes dans les grandes niches du mur de la colline de Letná, sous l’ancien monument dédié à Staline à l’époque communiste. Zuzana Štefková, de la galerie Artwall :

« La galerie Artwall a commencé ses activités en 2005 lorsqu’un artiste étranger David Walliker s’est dit que ces niches, ces cadres, devraient servir à quelque chose. L’œuvre qu’il a réalisée a été soutenue par le Centre pour l’art contemporain de Prague. En 2008, le collectif d’artistes Guma Guar a exposé son projet qui, de manière parodique, montrait du doigt la candidature de Prague pour accueillir les Jeux olympiques. La mairie, qui est propriétaire de cet espace, a réagi en résiliant notre bail, ce qui de facto a mené à la liquidation de la galerie. »

A l’époque, le maire de Prague s’appelle Pavel Bém. Et de toute évidence, il n’apprécie guère qu’on tourne en dérision un projet à hauteur de ses ambitions. Novembre 2011 : autres temps, autre maire. Bohuslav Svoboda, pourtant issu du même parti de droite que son prédécesseur, a accepté de patronner la nouvelle exposition d’Artwall, qui remet la galerie sur les rails.

Photo: Yana Sarna
Avec Voina Wanted, Artwall commence sur les chapeaux de roue puisque, à l’heure actuelle, plusieurs membres du collectif russe, connu pour ses actions coup-de-poing, sont sous le coup de poursuites dans le pays. Yana Sarna est photographe et membre du groupe Voina :

« Voina a été fondé à Moscou en 2007 par Oleg Vorotnikov, Natalia Sokol et Alex Plutzer. Voina est un mouvement radical et protestataire qui crée des œuvres d’art de rue. Nous organisons des actions qui se moquent des autorités russes, qui sont corrompues, brutales et cruelles et qui violent les droits de l’homme. »

Parmi les coups de gueule artistiques de Voina, une partouze publique au Musée de biologie de Moscou, mise en scène le jour précédant l’élection du président russe Dmitri Medvedev. En 2010, le groupe peint un phallus géant de 65 mètres de haut sur un pont levis de la capitale russe, menant au siège des actuels services de sécurité fédéraux, soit l’ancien KGB. Zuzana Štefková nous parle de l’œuvre de Voina présentée à Prague :

« Vous pouvez voir le long de la Vltava sept affiches qui montrent une action de Voina en 2010 dans un supermarché : on y voit des personnes pendues, des ‘citoyens gênants’… C’est une sorte de cadeau ironique au maire de Moscou puisqu’on y voit deux gays et trois travailleurs immigrés, des minorités qui subissent fréquemment des attaques en Russie. Or le maire de Moscou lui-même propage ces idées xénophobes. »

Deux maires, deux villes, deux façons de faire. Tandis qu’à Moscou, le maire envoie les forces de l’ordre arrêter les membres de Voina quand ceux-ci manifestent contre la corruption des pouvoirs publics, à Prague, le maire a inauguré en grandes pompes l’exposition. Yana Sarna :

Yana Sarna
« Le maire de Prague a décidé de nous soutenir. Je pense qu’il nous comprend… La République tchèque a aussi beaucoup souffert du KGB et des personnes qui violent les droits de l’homme. Donc c’est une façon pour lui de nous soutenir : il a permis l’affichage d’une centaine d’affiches dans le métro et dans les rues qui montrent Oleg Vorotnikov derrière les barreaux. Nous lui en sommes très reconnaissants. »

En attendant, plusieurs membres de Voina se cachent en Russie alors qu’ils sont activement recherchés par la police. L’exposition Voina Wanted de la galerie Artwall est à voir jusqu’à la fin de l’année au pied de la colline de Letná.