Cochons d’Inde de Sébastien Thiéry, une pièce entre théâtre de boulevard et théâtre de l’absurde
Le théâtre Divadlo Bez Zábradlí propose depuis le week-end dernier une nouvelle pièce de théâtre : Indická banka en tchèque, est en fait l’adaptation de Cochons d’Inde, du dramaturge français Sébastien Thiéry. Il était à Prague les 12 et 13 novembre, à l’occasion de l’avant-première et de la première. Il est revenu pour nous sur l’histoire de Cochons d’Inde.
Vous êtes-vous inspiré d’un événement particulier de l’actualité ?
« Oui, il y a quelques années, la société d’acier français Arcelor a été rachetée par Mittal, une grande société indienne. Donc une grosse société indienne rachetait une société française déjà très importante. Soudain, on se rendait compte que les Indiens, qui étaient les pauvres il y a quelques années, deviennent les riches et rachètent les sociétés françaises. Il y a aussi un rapport entre le client de la banque et le guichetier, qui est un petit monsieur et qui soudain le pouvoir sur le bourgeois, tout comme les Indiens ont le pouvoir sur les Occidentaux. »
C’est un peu le principe du carnaval, de l’inversion des rôles ?
« Je ne sais pas, je ne suis pas familier des carnavals. Mais j’aime bien l’idée qu’un bourgeois qui a de l’argent doive rendre des comptes à quelqu’un qui a peu de pouvoir, tout comme un Français doit rendre compte à des Indiens, alors qu’on les méprisait il y a une certaine époque. D’ailleurs on les méprise sans doute encore aujourd’hui, alors que ce sont eux qui ont l’argent et le pouvoir. »Le personnage paye pour l’arrogance de l’Occidental…
« Chacun son arrogance, au final personne ne fait de cadeau à personne. J’aime bien l’idée que les riches doivent rendre compte aux pauvres et que d’un coup les choses basculent… »
C’est un huis-clos, ça se passe dans une banque pendant environ 24h. Quand on lit des critiques sur cette pièce, le terme qui revient le plus fréquemment, c’est « kafkaïen ». Vous êtes à Prague, dans la ville de Kafka, vous êtes curieux de la mise en scène praguoise ?
« Je sais que Kafka est une sorte de dieu vivant à Prague et je ne sais pas du tout comment ça va être interprété. Je ne connais pas bien Kafka, mais je me renseigné du coup puisqu’on m’a comparé à lui, même si je n’ai pas son talent. Il y a cette chose en commun qui est de ne pas comprendre pourquoi, comme dans Le Procès, on demande des comptes à cet homme. C’est totalement injustifié, on ne lui expliquera jamais pourquoi. Un peu comme chez Kafka, il y a la volonté de faire rire avant tout. C’est moins connu, mais Kafka pensait que ses œuvres étaient comiques… En tout cas, la mienne l’est résolument. Il y a cela de commun comme univers. »
Cet humour et cet ironie, c’est quelque chose que vous recherchez dans l’écriture de vos pièces ou bien est-ce spécifique à cette pièce-ci ?
« J’ai commencé par écrire des sketches totalement absurdes et puis j’ai voulu pouvoir faire tenir l’absurde pendant une heure et demi. C’est un défi bien sûr. Mes pièces empruntent aux règles du théâtre de l’absurde et du théâtre de boulevard. J’essaye de marier deux théâtres et d’en faire un qui est le mien désormais. J’ai écrit quatre, cinq pièces depuis Cochons d’Inde et elles obéissent toutes aux même règles : il y a toujours une situation de départ complètement absurde, avec souvent un bourgeois – je dois avoir un compte à régler avec eux ! – qui se retrouve empêtré dans une situation, essaye de s’en sortir sans comprendre ce qui lui arrive. »L’absurde est-il, selon vous, le reflet de notre époque ?
« L’absurde est le reflet de beaucoup d’époques. Je pense que l’absurde est né après la première guerre mondiale et surtout après la seconde parce qu’on avait atteint un tel niveau dans l’horreur. L’absurde vient de là je crois. De l’absurdité de la vie. L’absurde reflète l’époque actuelle mais bien d’autres aussi. Je pense que cela fait un bout de temps que le monde marche sur la tête. En tout cas, les gens y sont sensibles. »
Avant d’être auteur de théâtre, vous êtes aussi comédien. Cette expérience d’acteur, sur les planches, vous sert-elle pour écrire ou bien ces deux activités sont-elles totalement dissociées ?
« En préambule, je dirais qu’il y a énormément d’auteurs de théâtre qui étaient acteurs. Je crois que ce n’est pas le même principe. Quand on écrit pour le théâtre, on écrit des situations et des dialogues. On n’écrit, enfin personnellement je n’écris pas avec la volonté de dénoncer quelque chose. C’est juste un prétexte pour faire du théâtre. Moi, j’ai écrit du théâtre parce que je n’avais pas de travail. Pas parce que j’avais quelque chose à dire. Ce qui me semble important c’est que ce soit facile à dire et jouable, qu’il y ait une situation forte. Le fond ne m’intéresse pas du tout, contrairement à la littérature. Moi je me sers du sujet pour pouvoir faire du théâtre. »
En France, la pièce a été montée au Théâtre Hébertot avec comme comédien principal l’excellent Patrick Chesnais. C’est vous qui l’avez choisi ou bien la metteuse en scène ?« C’est moi qui l’ai choisi. C’est l’acteur auquel j’avais pensé tout de suite. Je lui ai envoyé la pièce, j’ai eu la chance qu’il la lise et il a eu un coup de cœur. Il m’a fait patienter un an et demi et on l’a montée. Cela s’est passé merveilleusement, il a eu le Molière du meilleur acteur. La pièce a eu le Molière de la pièce la plus drôle. Ca a fait un tabac. »
Cette adaptation en tchèque est-elle la première à l’étranger ?
« La pièce a déjà été adaptée à Varsovie. Je crois qu’il y a un projet en Allemagne. »
Quelle impression cela fait-il d’entendre ses propres mots dans une langue étrangère ?
« C’est un doux mélange : je ne comprends à la fois rien de ce qui est dit et en même temps je comprends tout. C’est très étonnant. Surtout c’est drôle de voir comment des gens s’emparent de votre univers et le traitent de manière différente. En l’occurrence à Varsovie, c’était beaucoup plus dramatique qu’à Paris. »