« Le Marathon » de Claude Confortès : Un parcours autour de la vie
Trois coureurs de caractères et d'âges différents participent à un marathon. Tel est le sujet d'une pièce de théâtre écrite en 1962 par Claude Confortès, un comédien qui s'est découvert le don de dramaturge. Il a attendu dix ans avant de mettre en scène cette pièce qui devait être traduite dans 28 langues et rester son chef-d'oeuvre. Elle a été traduite aussi en tchèque et montée, en 1980, par le metteur en scène Evald Schorm, au Théâtre sur la balustrade (Divadlo na zabradli) à Prague. Le spectacle est devenu bientôt célèbre et a atteint les 250 reprises. L'auteur qui l'a vu trois fois, le considère comme une des trois meilleures productions de la pièce dans le monde. Le 11 mai dernier, Claude Confortès, âgé de 78 ans, a assisté à Prague à une nouvelle première de sa pièce, montée, cette fois-ci, au Théâtre sans balustrade (Divadlo bez zabradli) par le jeune metteur en scène Radek Balas. Ce dernier a choisi une autre approche, assez surprenante d'ailleurs, de l'oeuvre de Confortès en y ajoutant des chants et des danses et en la transformant en une espèce de comédie musicale. L'auteur n'a pas protesté contre une telle innovation. Dans un entretien accordé à Radio Prague, il s'est déclaré satisfait.
Votre pièce est une parabole, une allégorie, une comédie satirique ...?
« C'est un voyage. C'est une aventure. On pourrait dire aussi que c'est une parabole. En fait, c'est une histoire de la vie de trois personnages qui sont Nazaire, Livarot et Jules. J'ai mis pas mal de temps pour écrire cette oeuvre, je me suis posé beaucoup de questions et, à un moment donné, je suis arrivé à me demander : Ces trois coureurs de marathon qu'on va voir pendant deux heures, comment faire pour que les gens ne s'ennuient pas en voyant ces personnages, ces athlètes ? Et alors je me suis dit : Il y en a un qui va être la mort, la mort comme les gens qu'on rencontre dans la vie, désespérés, sceptiques, destructeurs. Et c'est Nazaire. Le pauvre Nazaire-Rimbaud. Parce qu'ils ont les noms de poètes. Nazaire c'est Rimbaud, Livarot c'est Ducasse, le comte de Lautréamont, et Jules c'est Nerval, Gérard de Nerval. Lautréamont est mort à 27 ans, Rimbaud est mort d'une'amputation à Marseille et Nerval s'est suicidé. La mort c'est donc Nazaire-Rimbaud. La naissance, la candeur, la naïveté, l'innocence c'est Livarot-Ducasse. Et l'amour, la patience, la sagesse c'est Jules-Nerval. Voilà la mort, l'amour et la naissance qui courent l'un après l'autre et c'est trois, disons, entités, c'est la vie. La vie c'est fait d'amour, de mort et de naissance. C'est un parcours autour de la vie. »
Donc c'est une pièce sur la vie. Est-ce que c'est aussi une pièce sur le sport ?
« C'est là qu'on est dans la parabole. Parce que le sport c'est un prétexte. Cela pourrait être des marins, cela pourrait être des explorateurs, c'est une .aventure humaine. J'ai utilisé le thème sportif, justement pour en faire un spectacle populaire, un spectacle qui intéresse le public parce que le public a une attirance pour le sport pour les épreuves olympiques. On sait qu'à l'heure actuelle les gens dans le monde entier et de toutes les conditions, les riches comme les pauvres, les érudits comme les gens simples s'intéressent à ces grandes manifestations sportives. «Votre pièce a été écrite dans les années soixante. Comment expliquez-vous son succès d'aujourd'hui. Pourquoi elle reste actuelle ?
«Ecoutez, ce n'est pas à moi de le dire. Moi, j'essayais de faire une pièce. Je sortais d'un spectacle, j'étais comédien et je jouais dans une production de Jean Vilar à Avignon. A la fin du spectacle, il y avait une immense ovation. Il y avait quelque deux mille personnes. Et je me suis dit : ce sont des pièces comme cela qu'il faut écrire. Donc, j'ai cherché une pièce qui touche tout le monde mais qui soit aussi intemporelle. C'était en 1962 et maintenant, en 2006, donc quarante ans plus tard, c'est encore le même parcours pour les coureurs du marathon. Les choses n'ont pas tellement changé, c'est toujours une aventure humaine.»
En 1980, la pièce sur les trois coureurs qui, pour vaincre, sont capables de lutter mais aussi de tricher et de trahir les uns les autres, a été donné dans l'atmosphère tendue de la normalisation de la Tchécoslovaquie, ce qui n'était qu'un euphémisme pour l'occupation du pays par l'armée soviétique. La pièce a pris nécessairement des connotations politiques et son succès n'en a été que plus grand. Les spectateurs qui l'ont vu ne sont prêts à oublier ni les performances des comédiens Pavel Zednicek (Livarot Ducasse), Karel Hermanek (Nazaire Rimbaud) et Ladislav Mrkvicka (Jules Nerval) ni la mise en scène imaginative et efficace d'Evald Schorm. Tous ceux qui ont osé par la suite monter « Le Marathon » dans les théâtres tchèques se sont exposés à la comparaison avec cette production inimitable.
Vous venez d'assister à la nouvelle première de cette pièce. Est-ce que vous avez été satisfait ?
«J'ai été satisfait parce que les gens étaient satisfaits. Ce qui compte, c'est le plaisir du public. Je suis là pour partager mes émotions avec les spectateurs. J'ai été aussi très surpris parce que la conception est tout à fait neuve, imaginative et créatrice. L'intérêt est surtout dans le fait que c'est un jeune metteur en scène (Radek Balas) qui l'a créée. Il a apporté un regard un peu différent, regard d'une autre génération, beaucoup plus léger, plus humoristique. Donc c'est une approche qui est aussi possible. Je ne suis pas contre. »
Vous pouvez la comparer avec une autre production pragoise. Celle de 1980 qui a été montée par Evald Schorm...
« Je ne crois pas. Il ne faut pas comparer. J'ai été naturellement bouleversé par cette création. C'était en 1980, Havel était en prison. C'était surtout un combat pour Evald Schorm. A ce moment-là, c'était le Théâtre sur la balustrade (Divadlo na zabradli) qui avait monté cette pièce. Tout le contexte était très dramatique. Maintenant, on est dans un autre contexte social et politique. Evidemment, il y a eu la chute du Mur et tout cela. On n'est pas donc dans les mêmes émotions, dans les mêmes vibrations et on ne peut pas comparer, mais c'est une chance que la pièce continue d'intéresser le public. C'est la force des textes quand ils sont intemporels et universels. Cela touche tout le monde. »
Avez-vous d'autres pièces à proposer aux théâtres tchèques?
« Oui, j'ai eu la chance que l'on ait joué l'année dernière, au Théâtre de Sumperk, ma pièce qui s'appelle « La Plaie ». « La Plaie » a été éditée ici, ainsi qu'une autre oeuvre qui s'appelle « L'Innocentement », une pièce sur une erreur judiciaire que nous avons présentée au Théâtre des Bouffes du Nord à Paris. Oui, j'ai une dizaine de pièces qu'on pourrait traduire en tchèque. »