Jana Claverie et son parcours d’historienne de l’art en France
En ce mois d’octobre, Jana Claverie a reçu le prix Gratias agit attribué par le ministère tchèque des Affaires étrangères aux personnalités qui contribuent au rayonnement de la République tchèque dans le monde. C’est bien le cas de Jana Claverie : installée, depuis 1968, à Paris, elle a présenté, notamment au Centre Pompidou, des plasticiens tchèques à l’époque interdits dans la Tchécoslovaquie communiste. Grâce à l’engagement professionnel et personnel de Jana Claverie, certains artistes tchèques, comme Adriena Šimotová ou Jiří Kolář, ont même pu travailler en France. Nous vous proposons aujourd’hui la première partie d’un entretien que Jana Claverie a accordé à Radio Prague.
« Au métier d’historienne de l’art, non, mais au métier d’architecte oui, parce que mon père était architecte et j’ai voulu absolument faire des études d’architecture. Mais évidemment sous le régime communiste ce n’était pas possible. D’abord mon père a immigré, alors faire des études était difficile, d’autre part faire des études d’architecture était exclu parce qu’on ne pouvait pas faire le même métier que les parents. Alors j’ai essayé de chercher ce qui en était le plus proche. D’abord j’ai fait une sorte d’école pédagogique où j’ai fait de la gymnastique parce que je représentais l’école en ski. C’était la seule possibilité pour faire des études. Ensuite j’ai changé pour la peinture, le dessin et pour l’histoire de l’art. J’ai terminé mes études à Paris. »
Et vers quel pays votre père a t-il immigré ?
« Il a immigré en 1948, en Angleterre. »
Donc il vous était interdit d’étudier l’architecture ? De faire la même profession que lui ?
« Oui absolument, c’était exclu. »
On vous a dit ça ?
« Oui, on m’a dit ça, on me l’a dit très clairement. »
En 1968, vous avez travaillé dans une galerie prestigieuse à Prague, dans la galerie Špála. C’était une galerie consacrée à l’art contemporain. Après août 1968, on vous a recommandé de partir à l’étranger et vous êtes d’abord passée par l’Allemagne puis vous vous êtes installée en France ?
« Oui. Je suis d’abord passée par l’Allemagne parce qu’il y avait deux exposions qu’il fallait réaliser là-bas et qui avaient été conclues avec la galerie Špála. Il s’agissait de l’exposition de Jiří Balcar et d’une exposition de gravure tchèque, c’était à Tübingen. J’ai passé presque trois mois à Tübingen, puis à Stuttgart, ensuite à Darmstadt où j’ai fait participé les artistes tchèques à une exposition thématique sur l’Homme. Après, je suis partie en France parce que je n’avais plus envie de rester en Allemagne bien que la situation pour un critique d’art ou pour quelqu’un qui s’occupe de l’art était infiniment plus facile en Allemagne qu’en France. »
Vous croyez ?
« J’en suis sûre. »
Vous étiez tout de même plus attirée par la France ?
« Tout d’abord ma famille était francophone, donc je parlais un tout petit peu français, pas beaucoup parce que je n’ai appris le français que jusqu'à dix ans. Après j’ai essayé d’apprendre l’anglais mais je n’ai jamais bien réussi. Je me suis donc dit que le seul pays, et surtout la seule ville où j’aimerai vivre était Paris. Et j’ai fait tout ce que j’ai pu pour y rester. »
Et les débuts n’étaient pas faciles pour vous ?
« Les premières années étaient juste après l’occupation de la Tchécoslovaquie, donc l’intérêt pour les tchèques était assez grand. Il était facile de réaliser des expositions, à la fois dans des musées et dans des galeries. J’ai exposé Jiří Kolář, des dessins et des gravures d’artistes contemporains tchèques, j’ai de nouveau exposé Jiří Balcar, car j’ai récupéré l’exposition de Tübingen. C’était au musée d’art moderne de la ville de Paris. Enfin, il y avait vraiment la possibilité de réaliser des choses. Avec Prague j’ai pu mettre en place une exposition d’art tchèque à Avignon, lors du festival de théâtre de l’été 1969. Il faut dire que toutes ces expositions n’étaient pas rémunérées, c’était plutôt pour moi un honneur de pouvoir les réaliser. »
Vous n’étiez pas payée ? De quoi viviez-vous ?
« J’ai vendu quelques gravures, j’ai travaillé dans différents endroits par ailleurs. Ce n’était pas très facile. J’habitais une chambre de bonne où je ne payais pas de loyer parce que je faisais les courses à la dame qui me la prêtait. Je me débrouillais comme je pouvais. »
Vous avez continué vos études à Paris également ?
« Oui, je me suis inscrite à l’Ecole pratiques des Hautes Etudes. J’ai poursuivi mes études de doctorat de troisième cycle chez le professeur Jean Cassou, qui était un fin connaisseur d’art tchèque. J’ai acquis la citoyenneté française en 1969 grâce au mariage : je me suis mariée avec un Français. »
Cela vous a-t-il également facilité le travail lorsque vous avez présenté des artistes interdits en Tchécoslovaquie en France ? Cela était-il plus facile pour vous en tant que française de communiquer avec les autorités communistes ?
« Je pense que cela m’a permis de régler les formalités avec la République tchèque. Cela m’a permis de travailler, soit officiellement avec le musée, soit personnellement avec les artistes tchèques, de réaliser des expositions en France, d’aller en Tchécoslovaquie suivre l’évolution de l’art pour être au courant de tout ce qui se passait et de le montrer en France. »
Vous avez donc pu voyager plus ou moins librement entre les deux pays ?
« On ne peut pas dire que c’était libre, mais j’ai pu voyager, on m’a laissée. »
Vous avez d’abord effectué un achat de 200 œuvres d’artistes interdits en Tchécoslovaquie et vous les avez exposées au Centre Pompidou. C’est cette exposition qui a soulevé la colère des autorités ?
« Oui, ça a soulevé la colère de l’attaché culturel tchèque, qui est allé voir l’exposition et qui a immédiatement averti le ministère des Affaires étrangères. Cela a provoqué un conflit entre les autorités tchèques et françaises. Ca ne m’a pas facilité la vie du tout, car je ne pouvais plus aller en Tchécoslovaquie. »
C’était après la Charte 77 ?
« Oui, c’était après la Charte 77. Le Centre Pompidou a acheté les œuvres en 1981 et en 1983, nous avons réalisé l’exposition. »
C’était quelques années seulement avant la révolution de velours… Les dernières années du communisme n’ont donc pas été faciles pour vous. Vous ne pouviez plus rentrer en Tchécoslovaquie après 1983 ?
« Non, pendant quelques années. Après la perestroïka j’ai recommencé à travailler et à préparer des expositions, parce qu’il y avait une lueur d’espoir que peut être on pourrait faire quelque chose dans l’avenir. »
La seconde partie de l’entretien avec Jana Claverie sera diffusée très prochainement sur Radio Prague.