La Tchéquie à la recherche de visions… et pas seulement dans le domaine de l’architecture

Moderní zástavba na Pankráci

Une architecture de qualité fait-elle défaut à Prague ? Plusieurs jeunes architectes tchèques réunis au sein de l’initiative ‘Pour une nouvelle Prague’ ont récemment présenté leur vision des choses dans les pages du quotidien Lidové noviny. Le magazine Pátek a, pour sa part, donné la parole à un jeune historien d’architecture, Richard Biegl, figure emblématique de l’initiative appelée ‘Club pour la vieille Prague’. Nous avons pu constater que leurs positions, en apparence contradictoires, sont finalement assez proches, puisque motivées par un profond intérêt et une profonde sensibilité à l’égard de la capitale tchèque… « La Tchéquie cherche son avenir » est le nom d’une nouvelle initiative présentée dans un article publié dans l’hebdomadaire Respekt que nous avons également lu.

Richard Biegel
« Le manque de conceptions et de visions, ainsi que la totale liberté donnée à des spéculations superflues » : telle serait la plus grande menace qui guette aujourd’hui Prague. Richard Biegel, selon qui « les villes ont toujours été un reflet de la société », précise :

« Comme une grande partie des Pragois ont été expulsés du centre-ville et comme la moitié des maisons situées dans le quartier historique de Malá Strana ont été transformées en hôtels, on s’aperçoit d’emblée que l’on ne vit plus dans une ville, mais dans des décors. C’est précisément ce qui nous est arrivé. Nous vivons dans des décors, et peu importe qu’ils fassent partie des plus beaux au monde. » Richard Biegel illustre ses propos avec l’exemple de la place Venceslas (Václavské náměstí), un endroit, où « seules les personnes intrépides peuvent prendre du plaisir à s’y promener aujourd’hui ». Richard Biegel dit encore :

« C’était jadis le principal boulevard de promenade des Pragois, qui s’étendait sur cinq cents mètres. Aujourd’hui, à cause de notre indifférence et de notre faute, il est devenu une sorte d’eau pourrissante... Et pourtant, on peut toujours ressentir l’identité de la place Venceslas. Effectivement, où voulez-vous que l’on se rassemble en cas de nouvelle révolution ? »

La place Venceslas
Le retour des tramways sur cette place, comme c’était le cas autrefois, serait, selon Richard Biegel, un des remèdes qui contribueraient au renouveau d’une vie citadine normale. A la question de savoir en quoi consiste la magie de Prague, ce trentenaire qui défend avec envergure la « vieille » Prague répond :

« Prague est certes une des villes les plus impressionnantes au monde. Sa force est due au mélange du paysage, du terrain et de la structure urbaine. Les chemins, les collines et la rivière ont créé un cadre qui, au fil des siècles, s’est vu complété raisonnablement, et non pas accidentellement, par l’architecture. Les architectes qui ont construit ses dominantes ont accepté la règle du jeu qui veut que le paysage y joue le solo, tandis que nous les autres ne faisons que l’accompagner...». Et Richard Biegel de conclure sur un ton pathétique :

« Cette ville sera à sa place encore dans cinq cents ans. Mais ce qui en restera et sous quelle forme, cela dépendra de nous. Nous n’en sommes pas les maîtres, mais simplement ses gardiens. »

« Prague n’est pas seulement une ville historique. C’est aussi une ville tout court. Maintenant nous y ajoutons une couche d’une qualité inférieure. Nous ne créons pas de valeurs dont les générations futures pourront être fières », Constate, toujours dans les pages du journal Lidové noviny le jeune théoricien de l’architecture Adam Gebrian.

L’architecte Jakub Cigler considère, à l’instar de Richard Biegel déjà cité, que la qualité de l’architecture contemporaine est en rapport avec l’état de l’ensemble de la société. Il écrit : « Si le déclin dont nous sommes aujourd’hui les témoins avait existé à l’époque baroque, les vingt bâtisseurs italiens qui ont créé avec les bâtisseurs locaux une quantité d’œuvres splendides et qui émerveillent aujourd’hui les touristes ne seraient jamais venus travailler en Bohême. »

Dan Merta,  photo: GJF
Selon Dan Merta, directeur d’une grande galerie pragoise, il existe toutefois à Prague des localités qui se prêtent à une intéressante architecture contemporaine, comme par exemple les anciennes gares situées en dehors du centre-ville. « Mais pour y arriver, les décisions doivent être prises plus par des spécialistes que par développeurs ou des politiciens corrompus », écrit Dan Merta.

Selon l’ensemble des architectes interrogés, le potentiel architectural de Prague réside dans le domaine de la reconstruction et de la reconversion, c’est-à-dire dans les efforts visant à mettre en harmonie l’ancien et le neuf.

Citons aussi l’architecte reconnu Roman Koucký, qui, sur le site Aktualne.cz, a publié une réflexion sur ce dont Prague a particulièrement besoin pour garantir une vie satisfaisante à ses habitants. Roman Koucký a écrit :

Roman Koucký
« Le plus important est de mettre sur pied un nouveau plan de développement territorial. Il faut définir l’image de Prague telle que nous la souhaitons. La capitale tchèque ne s’est pas encore débarrassée de l’héritage du passé communiste... Elle préfère donc le chaos permettant de faire valoir les intérêts individuels au véritable intérêt public ».


« Où allons-nous ? » : tel est le titre d’un article paru dans la dernière édition de l’hebdomadaire Respekt, qui informe d’une initiative toute récente dont le but est de chercher et de présenter des visions de l’avenir compréhensibles et avec lesquelles la population tchèque pourrait s’identifier. Le tout au moment où la cote de popularité dont jouissent les représentants et les institutions politiques est plus faible que jamais.

Intitulé « La Tchéquie cherche son avenir », le projet a été initié par le leader du parti des Verts, Ondřej Liška, avant d’être mis progressivement en valeur, depuis le printemps dernier, par l’Institut pour la politique globale Glopolis. Le magazine constate :

« Cet institut veut lancer une discussion sur l’avenir du pays, une discussion dans laquelle seront impliquées près de deux cents personnalités de la sphère académique, de l’administration publique, des organisations à but non lucratif et du monde des affaires. »

Le journal cite un des entrepreneurs concernés, Radek Špicar, qui se félicite de voir s’engager dans le débat non seulement des économistes, mais aussi des sociologues, des politologues, des philosophes et d’autres experts. Selon Radek Špicar, « il faut se pencher notamment sur la grande tension sociale qui existe dans le pays, ainsi que sur les conséquences qu’aura notre ouverture au monde ». La question de l’omniprésence de la corruption sera un autre grand défi à relever pour cette nouvelle initiative.

Son directeur Petr Lebeda a pourtant les pieds sur terre. Il affirme : « Bien sûr, je ne pense pas qu’un seul projet puisse sauver le monde. Mais le fait de voir débattre un large spectre de gens, et pas seulement des commentateurs politiques, constitue une importante valeur ajoutée. »

Petr Lebeda
« Parvenir à un consensus de l’ensemble des partis politiques sur un projet cadre d’objectifs et de stratégies » : tel est, selon l’hebdomadaire Respekt, le but que le projet, qui s’achèvera dans deux ans, se doit d’atteindre. Il faudra ensuite, ni plus ni moins, faire valoir cette vision de la société tchèque dans la vie politique, une tâche qui n’a jamais réussi auparavant.

Respekt précise, en outre, que Glipolis n’est pas l’unique institution à ouvrir le débat sur un sujet d’actualité de grande importance. De son côté, l’Institut pour la politique européenne Europeum lance également un vaste débat sur la position de la République tchèque au sein de l’Union européenne.