Dagmar Šimková, femme qui a décrit l’horreur des prisons communistes
Dagmar Šimková a passé quatorze ans dans les geôles communistes, entre 1952 et 1966. Décédée en 1995 en Australie, elle a décrit cette terrible expérience, qui est aussi celle de plusieurs dizaines de milliers d’autres femmes tchèques et slovaques, persécutées sous le régime totalitaire, dans son livre intitulé « Byly jsme tam taky » (Nous aussi, nous y étions). Ce mince ouvrage ne lâche pas le lecteur dès les premières pages. Publié pour la première fois en 1980 dans la maison d’édition des époux Škvorecký, à Toronto, il a été réédité à Prague en 2010, illustré de nombreuses photographies. Elles ont été retrouvées par l’historienne Pavlína Kourová qui prépare une biographie de Dagmar Šimková et qui est aussi l’auteur d’une exposition itinérante retraçant son destin.
« L’homme en prison prend une allure tragique. C’est un lion captif, humilié qui pleure à l’intérieur. La femme en prison devient un petit rongeur fou de rage, une martre ou une belette qui se met tout de suite à creuser la terre sous le plancher et qui, en plus, appelle les autres martres et belettes à la rejoindre », écrit Dagmar Šimková dans son livre « Nous aussi, nous y étions ». Devenir une « belette » est, d’après elle, un des moyens de survivre dans un lieu aussi désastreux et inhumain qu’est la prison dans un pays totalitaire.
Enfant et adolescente, Dagmar Šimková avait tous les atouts pour vivre une vie belle, heureuse et sans souci. Elle est née en mai 1929 dans la famille d’un banquier de Písek, une jolie ville en Bohême du Sud, construite sur les rives de la rivière Otava.
C’était une famille unie et cultivée, pour laquelle Jaroslav Šimek a construit une splendide villa, située un peu à l’écart de Písek et entourée de verdure. Elle portait le nom de sa femme et de sa fille aînée, Marta. Alors que sa sœur était une passionnée de l’équitation, Dagmar aimait la musique. L’une des plus belles filles de Písek, aux longs cheveux bruns et aux grands yeux noirs, allait souvent danser dans le fameux café de l’hôtel La rose blanche. On écoute l’historienne Pavlína Kourová :
« Elle aimait beaucoup la musique, elle avait du talent puisqu’elle jouait du piano. Dagmar aimait aussi danser, petite fille, elle a appris à faire des claquettes. Jeune, elle adorait le jazz. Elle avait aussi du talent pour les arts plastiques, elle illustrait, pour ses neveux qu’elle ne connaissait pas à l’époque, ses lettres de prison. »
Jaroslav Šimek est mort subitement à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Dagmar, âgée de 16 ans, a commencé à étudier les langues étrangères dans une école privée, pour s’inscrire, en 1948, à la Faculté des lettres de l’Université Charles, où elle devait étudier l’histoire de l’art et l’anglais. Mais avec l’arrivée des communistes au pouvoir, tout change pour cette famille étiquetée désormais comme « bourgeoise » et donc ennemie aux yeux des autorités. Une seule pièce de la villa Marta est réservée à sa propriétaire et à ses deux filles. Pas question que Dagmar fasse des études : elle travaille comme ouvrière dans plusieurs entreprises et, avant son arrestation en 1952, comme aide-soignante à l’hôpital. Deux ans avant, sa sœur Marta réussit à s’enfuir en Australie. Dagmar et sa mère n’ont pas cette chance et n’échappent pas aux persécutions. Dagmar distribue, à Písek, des tracts anti-communistes. Deux de ses amis, recherchés par la police, se réfugient, pour quelques jours, dans la villa. En 1952, âgée alors de 23 ans, Dagmar Šimková est donc arrêtée et condamnée à quinze ans de prison pour des activités dirigées contre l’Etat. Sa mère va bientôt la suivre…
Beaucoup plus tard, dans son exil australien, Dagmar allait se souvenir, dans son livre, de cet enfer qui lui a volé sa jeunesse. C’est un récit à la fois terrifiant et passionnant, écrit sans pathos, d’une manière la plus sincère possible, parfois avec ironie et même avec humour, dans une langue belle et riche. Dans les geôles communistes, à Pardubice et ailleurs, comme dans le camp de travail quelque part en Slovaquie, les femmes sont humiliées au plus profond : elles sont mutilées moralement et physiquement, battues, sous-alimentées, tenues dans des conditions sanitaires inimaginables… Après la grande amnistie de 1960 notamment, les prisonnières politiques font l’objet d’attaques de la part des prisonnières de droit commun, avec qui elles partagent les mêmes cellules. Pavlína Kourová :« Si Dagmar Šimková est restée aussi longtemps en prison, si elle n’a pas été libérée lors de la grande amnistie, c’est parce qu’elle était un élément rebelle. Elle ne se laissait pas faire. Elle ne cessait de se plaindre auprès du ministère de l’Intérieur et d’autres institutions, par exemple du fait que les communistes, contrairement aux nazis, interdisaient aux prisonniers d’avoir la Bible et des objets religieux. Elle protestait contre le fait qu’il était interdit dans les prisons d’apprendre des langues étrangères : lorsqu’on a découvert chez une prisonnière un bout de papier avec des mots étrangers, celle-ci risquait une ‘correction’, donc l’enfermement dans une cellule sans fenêtres, où les femmes étaient nues et ne recevaient de la nourriture qu’une fois tous les trois jours. Dagmar participait aussi aux grèves de la faim. C’était aussi une forme de rébellion contre leurs conditions de vie. Dans la prison de Pardubice, par exemple, les cellules étaient surpeuplées et à un moment donné, une partie du bâtiment risquait de s’effondrer. »
Dans son livre, où Dagmar Šimková raconte, entre autres, les destins de plusieurs prisonnières politiques, filles de koulaks ou de petits entrepreneurs, elle écrit de cette même prison surpeuplée : « Plus jamais dans ma vie je n’ai goûté un café aussi bon que celui que l’on buvait dans les toilettes de la prison de Pardubice ». En effet, la complicité entre les prisonnières politiques, la circulation des pensées, étaient un moyen important de survie. Dagmar Šimková nous parle de plusieurs femmes remarquables qu’elle a ainsi connues. Elle les appelle, dans son livre, par leurs prénoms, parfois par leurs surnoms et Pavlina Kourová a pu dévoiler leur identité à l’aide des archives. On trouve, parmi elles, Jiřina Zábranová, mère du poète tchèque Jan Zábrana, Nina Svobodová qui mettait en scène, en prison, des spectacles improvisés, ou encore Magdalena Schwarzová, emprisonnée aussi par les nazis et qui vit, depuis sa libération, dans un monastère en Pologne. Irena Vlachová, âgée aujourd’hui de 82 ans, a récemment assisté à l’inauguration de l’exposition sur Dagmar, une de ses amies les plus proches. Mais toutes les activités intellectuelles dans la prison de Pardubice gravitaient autour de Růžena Vacková.
« Beaucoup de prisonnières de l’époque se souviennent de Růžena Vacková, qu’elles appelaient Růženka. Professeur à l’Université Charles, elle était plus âgée que les autres. Emprisonnée suite à sa participation à la marche des étudiants en 1948, elle n’a quitté la prison qu’en 1967. C’était une véritable autorité intellectuelle et morale pour ces jeunes filles qui ne pouvaient pas étudier. Dans les toilettes, elle leur donnait des conférences sur l’histoire, l’histoire de l’art et l’archéologie. Une autre prisonnière, Dagmar Skálová, a réussi à transcrire certaines de ces conférences. Suite à un accident, elle portait un corset et cachait le cahier dedans. Après 1965, les prisonnières ont réussi à le transporter hors de la prison. Dagmar Skálová a gardé ce cahier jusqu’à la révolution de velours et l’a transmis ensuite aux historiens de l’Université Charles. C’est ainsi que les conférences de prison de Růžena Vacková ont pu être publiées sous forme de livre. »
Dagmar Šimková a quitté la prison en 1966. Elle a de nouveau travaillé comme ouvrière à Písek et vivait très modestement, car tous les prisonniers politiques devaient payer à l’Etat une sorte de ‘compensation’ pour leurs années de détention. Après l’invasion soviétique en Tchécoslovaquie de 1968, Dagmar et sa mère, comme beaucoup d’anciens prisonniers politiques, prennent le chemin de l’exil et vont rejoindre Marta en Australie. Elles vivent d’abord dans le bush, où le mari de Marta travaille sur un chantier, et s’installent ensuite à Perth. Pavlína Kourová :
« Nous savons de ses lettres de l’époque qu’elle était fascinée par les dizaines d’espèces de perroquets, par les crocodiles et les fleurs qu’elle n’avait jamais vues auparavant. Elle devait ressentir une grande liberté. A Perth, Dagmar a travaillé dans un restaurant et aussi un peu comme mannequin, parce qu’elle a toujours été très belle. Elle a aussi suivi un cours de cascadeurs qui était proposé sur le tournage d’un film. Tout se passait bien jusqu’à la mort de sa mère, en 1970. Là, elle a perdu la personne la plus proche, qui avait en plus cette même expérience de la prison et ses lettres se sont assombries. Je crois que cela a été un autre coup très dur pour elle. »
Un coup dur que Dagmar Šimková a tout de même surmonté. Diplômée d’histoire de l’art et de travail social à l’université, elle a travaillé, entre autres, comme thérapeute en prison. Parallèlement, elle s’est consacrée à une autre activité intéressante : à la création de tableaux et de bijoux en émail.
« Je ne parle ni de la prison, ni de ma situation financière, ni de ma vie sentimentale. Je n’aime pas les regards compatissants », écrit Dagmar Šimková à la fin de son livre, dans un des rares passages évoquant sa vie en Australie. Celle-ci a été quand même marquée, autant que l’on sache, par deux rencontres. D’abord avec celle du chanteur tchèque Karel Kryl qui a partagé avec Dagmar Šimková son expérience de l’exil. C’est lui qui l’a poussée à écrire, à écrire le récit de sa vie. La deuxième rencontre a été celle qu’elle a faite un jour en rentrant du travail, à un arrêt de bus, avec un immigré allemand en Australie et qui est devenu son compagnon à la fin de sa vie. Dagmar Šimková est revenue à plusieurs reprises dans son pays d’origine. Elle est morte du cancer en février 1995 à Perth. Récemment, son neveu australien et sa famille ont pris contact avec Pavlína Kourová et ont apporté à Prague une valise remplie de documents, de lettres, de photographies et de tableaux de Dagmar Šimková. Ces archives familiales figureront dans sa biographie, préparée par Pavlína Kourová et qui est à paraître aux éditions Academia.
L’exposition sur Dagmar Šimková, avec des commentaires en tchèque et en anglais, est à voir jusqu’à la mi-octobre à Jablonné nad Orlicí. Cette année encore, elle devrait être présentée à la galerie DOX à Prague, ainsi qu’à Toronto. Sachez enfin que Dagmar Šimková figure parmi les candidats à la haute distinction d’Etat. La remise des décorations aura lieu le jour de la fête nationale du 28 octobre.