Le Noël tchèque dans les rouages de la grande histoire
Noël, la plus belle fête de l'année, a une longue tradition. Les festivités et les coutumes de Noël changent et évoluent avec le temps et nous avons parfois l'impression que l'esprit de ces fêtes se dégrade et leur poésie se fane. Le livre Sto let českých Vánoc - Cent ans de Noëls tchèques écrit par les historiens Petr Koura et Pavlína Kourová évoque les Noëls du passé et nous rappelle que le charme des fêtes de fin d'année résidait souvent dans leur simplicité.
Noël et la politique
Les plus belles fêtes de l'année sur fond de la grande histoire - tel est le sous-titre de ce livre dans lequel les auteurs ont réuni une imposante quantité de documents, de témoignages et de photos. Historiens, ils se proposent de démontrer et de saisir les corrélations entre les différentes façons de fêter Noël et les événements historiques qui se sont succédés en Bohême et en Moravie au cours du siècle dernier. Petr Koura constate que ces fêtes qui devraient être célébrées surtout dans l'intimité des familles ou au sein des communautés religieuses, n'échappent pas aux rouages de l'histoire :
« La grande histoire influait même sur les festivités de Noël. Après chaque période de dix ou vingt ans où se produit chez nous un changement de régime politique, cela se répercute sur les célébrations des fêtes qui, au premier abord, semblent apolitiques. La politique et la grande histoire se reflètent donc toujours dans les festivités de Noël. »
Miroir de l'état de la société
Noël reflète comme un miroir agrandissant l'état de la société, ses antagonismes, ses aspirations, ses différences sociales, ses richesses ou sa pauvreté. Et la magie de ces fêtes nous rend plus sensibles, plus compréhensifs, plus ouverts à l'autre. A Noël se manifestent donc deux tendances assez contradictoires. D'un côté nous avons tendance à nous réfugier dans l'intimité des familles, à nous barricader dans le nid confortable et douillet du bonheur familial, et de l'autre côté nous ressentons aussi une poussée vers l'altruisme, le bonheur personnel et égoïste ne nous suffit plus et nous cherchons à aider les autres. Petr Koura évoque cette tendance dans la période après 1918, année de la fondation de la Première République tchécoslovaque :
« A l'époque de la crise économique, les festivités de Noël sont bien différentes de celles des périodes de prospérité. Outre les influences politiques il y avait donc aussi des facteurs économiques. Si je devais cerner les tendances qui se manifestaient dans ce genre de festivités au cours du siècle dernier, je dirais que dans l'entre-deux-guerres, sous la Première République tchécoslovaque, Noël avait un fort caractère caritatif et cette tendance a resurgi après la chute du communisme. (...) Après 1989, Noël redevient donc caritatif comme sous la Première République."
Les fêtes de fin d'année sous la Première République tchécoslovaque
Les premiers chapitres du livre évoquent les Noëls dans les premières années de la Première République tchécoslovaque fondée sur les décombres de l'Empire austro-hongrois. Pour beaucoup la liberté retrouvée du peuple tchèque qui apprend à vivre dans la démocratie, est comme un grand cadeau de Noël. Malgré les conséquences tragiques de la Première Guerre mondiale et la pénurie générale Noël 1918 est une fête pleine de joie et d'espoir. Et les auteurs suivent l'évolution des Noëls tchèques dans l'entre-deux-guerres, marqués d'abord par la prospérité croissante de la Première République puis par la crise économique, la Grande dépression, qui a frappé le monde en 1929.
LIRE & ECOUTER
Un chapitre est consacré aux arbres de Noël de la République, une tradition caritative fondée en 1924 par l'écrivain Rudolf Těsnohlídek. On érigeait de grands sapins de Noël sur les places publiques où se rassemblaient les gens ce qui permettaient de collecter d'importants dons financiers pour les pauvres. Les auteurs ont accumulé dans leur livre d'innombrables informations sur les Noëls des gens simples mais aussi sur les festivités de fin d'année parmi les élites politiques et économiques. Et Petr Koura rappelle que le livre n'oublie pas non plus les Noëls présidentiels :
« Nous avons cherché également des informations sur les Noëls du premier président tchécoslovaque, Tomáš Garrigue Masaryk, qui passait cette période de l'année au château de Lány. Il est intéressant de constater que Masaryk n'intervenait presque pas dans les festivités de Noël des citoyens tchécoslovaques. La tradition des discours présidentiels de Noël n'a commencé qu'avec son successeur Edvard Beneš. La seule exception a été le message de Noël du président Masaryk en plusieurs langues qui a été filmé et présenté dans les années 1930 dans certains pays d'Europe de l'Ouest et aux Etats-Unis."
La Deuxième Guerre mondiale
L'occupation de la Tchécoslovaquie par l'Allemagne nazie en 1939 apporte la première grande tentative de dénaturer le caractère spirituel et humain de Noël et d'en faire un instrument politique. Dans des chapitres bouleversants, le lecteur trouve les témoignages et les souvenirs des gens incarcérés ou déportés dans des camps de concentration et qui malgré le manque de moyens quasi total réussissaient quand même à recréer derrière les barreaux l'atmosphère de la grâce qui nimbe la Nativité. Sous l'occupation allemande, rien ne doit évoquer les traditions démocratiques de l'Etat tchécoslovaque. Petr Koura rappelle les mesures restrictives prises par l'occupant :
« Les marchés de Noël ont été supprimés à cause des bombardements, les nazis ont supprimé aussi la tradition de l'Arbre de Noël de la République qui leur paraissait comme trop républicaine. Et les nazis cherchaient aussi à tirer profit de Noël pour subvenir aux besoins de leur armée : dans le cadre de la Winterhilfe ils collectaient des contributions pour les soldats allemands au front. »
Ježíšek versus Ded Moroz
La période de liberté relative au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale ne dure que trois ans et le coup d'Etat communiste en 1948 apporte une nouvelle perception des festivités de Noël. Cependant, dans certains aspects l'histoire se répète et les prisons se remplissent de nouveaux de prisonniers politiques. Un des anciens détenus condamnés aux travaux forcés dans les mines d'uranium évoque dans un texte émouvant cité dans le livre la célébration de la messe de minuit dans les galeries souterraines des mines de Jáchymov.
Les autorités communistes n'osent pas supprimer totalement les festivités de fin d'année mais elles s'acharnent à éliminer totalement leurs aspects religieux. Le gouvernement et le parti communiste lancent donc une grande campagne idéologique pour transformer Noël en une célébration des succès de l'édification du socialisme. Petr Koura remarque que cette tentative de dénaturer une fête d'origine religieuse ne manquait pas d'aspects absurdes et comiques :
« Les communistes cherchaient à liquider complètement l'aspect spirituel de Noël. Ils ont d'abord essayé d'éliminer les cantiques de Noël, puis ils ont cherché à remplacer Ježíšek (le petit Jésus) par ded Moroz (Grand-père Gel), le père Noël russe. En décembre 1952 le futur président de la République Antonín Zápotocký prononce son célèbre discours dans lequel il s'efforce d'expliquer que Ježíšek a grandi, que sa barbe a poussé et qu'il est donc devenu Grand-père Gel. On supposait que cela devrait être l'ultime initiative pour éradiquer les traditions chrétiennes de Noël. »
Les traditions ressuscitées
Les premiers Noëls tchèques après la chute du communisme en 1989 sont marqués par l'ivresse de liberté et aussi par la fringale de consommation. Le rideau de fer se lève et le marché de Noël s'enrichit d'une façon spectaculaire. Noël devient une fête plus riche, plus opulente mais moins poétique. Il faudra quelques années pour que cette fièvre de consommation s'atténue, pour qu’on se rende compte que les plus beaux Noëls ne sont pas les plus opulents. On commence à revenir aux sources et Noël redevient pour beaucoup aussi une fête religieuse. Les traditions interdites par les régimes politiques précédents sont ressuscitées et, selon Petr Koura, on commence à créer de nouvelles traditions :
« Après 1989 on s'habitue progressivement aux nouvelles traditions de Noël. Trente ans depuis la chute du communisme, c'est déjà une période suffisante pour le développement de nouvelles traditions. Ainsi, depuis 1989, les scouts apportent chaque année dans les foyers la Lumière de Bethléem, la lumière de la paix. On chante également dans des lieux publics la célèbre Messe de Noël tchèque de Jan Jakub Ryba et cela aussi, c'est déjà une tradition."
Et Ježíšek - Petit Jésus qui devait être oublié, remporte une fois de plus la victoire sur son nouveau rival. Il réussit à évincer des foyers tchèques Santa Claus, ce lointain parent du Grand-père Gel qui ne vient cette fois-ci de l'Est mais de l'Ouest. Ježíšek est un petit gamin un peu polisson, un personnage divin, féérique et mystérieux que les enfants ne voient jamais et qui dépose pourtant des tas de cadeaux sous l'arbre de Noël. C'est lui qui règne désormais souverainement sur les Noëls tchèques et qui incite tous les gens de bonne volonté à vivre en paix, à être aimables les uns avec les autres et à aider les gens dans le besoin.
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