Compagnie XY : « Notre spectacle est basé sur la transmission d’un savoir-faire, d’un art »
Le Grand C. Tel est le nom du spectacle de la Compagnie XY, une troupe française invitée de la 8e édition du festival de nouveau cirque Letní Letná. Poétique, onirique, extrêmement physique, impliquant une discipline de fer, le spectacle met en scène 17 acrobates qui enchaînent les figures les plus improbables, formant de périlleuses pyramides humaines.
« L’enjeu de ce spectacle est qu’il n’y ait pas de chef du tout. L’idée était de créer un spectacle collectif qui parle de vivre ensemble et qui met absolument tout le monde sur un pied d’égalité. Après, dans la réalité, il y a différentes générations d’acrobates qui se retrouvent sur ce plateau, des jeunes qui ont une vingtaine d’années, d’autres qui ont plus de 45 ans. On les repère dans le spectacle. Il est certain qu’au début de ce projet il y a l’histoire d’un homme, Abdeliazide Senhadji, le plus ancien de la bande. Il est acrobate depuis 25 ans, il enseigne dans une école du nord de la France et a enseigné à pratiquement tous les artistes qui sont sur le plateau. Donc c’est aussi un spectacle qui est basé sur la transmission d’une technique, d’un savoir-faire, d’un art. Ce spectacle n’aurait pas eu lieu sans cette personne, mais il a littéralement choisi de s’effacer, de se fondre dans le collectif. »
Comment fonctionne un ensemble comme la Compagnie XY ? Vivez-vous tous ensemble tout le temps ? Combien de temps passez-vous sur les routes en tournée ?« Ce qui rassemble vraiment tous les acrobates c’est la notion de travail au plateau, autour d’une discipline artistique. Il n’y a pas une communauté qui s’est formée autour de gens voulant vivre un même mode de vie. C’est avant tout le choix d’un travail commun. C’est un spectacle qui fonctionne merveilleusement bien et nous en sommes très heureux. Donc en moyenne, ils sont huit mois de l’année ensemble depuis deux ans et demi. »
Combien de temps avez-vous préparé Le Grand C ?
« En tout, ça a pris deux ans. Même si la première année, il s’agissait surtout de rencontres techniques où Abdeliazide Senhadji a invité toute une série d’acrobates avec qui il avait pu collaborer, soit à l’école, soit des acrobates professionnels. Il y a une trentaine ou une quarantaine d’acrobates qui ont ainsi participé à des sortes de conventions totalement informelles qui se passaient dans un gymnase qui duraient quelques jours. Mais il n’y avait pas d’objectif précis au départ, si ce n’est de prendre du plaisir, car c’est avant tout un plaisir ! De prendre du plaisir à travailler ensemble, à plusieurs. Il faut préciser que le main à main est normalement une pratique qui se fait à deux, avec un porteur et une voltigeuse. Cela nécessite souvent des années de travail pour acquérir une technique de cirque. L’idée d’inviter plusieurs acrobates en même temps, c’était de tester des choses impossibles auparavant. C’était cela la vraie nouveauté au niveau de la technique de cirque. Donc une nouvelle matière physique, un nouveau langage corporel qui est né, justement parce qu’il y avait plusieurs acrobates ensemble. La deuxième partie du travail, là où la création a vraiment commencé, c’est un processus qui s’est déroulé en continu pour savoir quel message passer. Pour ce faire, 18 acrobates ont vécu ensemble six mois, en vase clos, tout le temps ensemble. Cela peut ressembler un peu au travail du sculpteur ou du peintre : beaucoup de gens disent d’ailleurs que le Grand C leur évoque un tableau vivant. Le peintre mélange ses couleurs, prépare son matériel pendant longtemps de même que le sculpteur va préparer sa terre. Et cette matière technique, c’est un peu cela, le matériau de base sans lequel les artistes ne pourraient pas s’exprimer. »Le spectacle dure 70 minutes. Il commence de manière assez légère, puis il y a une forme de gradation, et dans la deuxième partie, le tempo s’accélère. Comment les artistes s’orientent-ils pendant ces 70 minutes, ça doit être extrêmement difficile de savoir qui fait quoi, à quel moment, pour que les enchaînements soient possibles…« C’est comme dans la danse : ils ont des partitions très écrites, une sorte de chemin qui semé d’embûches, de moments acrobatiques. Ils ont un parcours très précis à faire sur le plateau, avec même des sorties de plateau, même s’ils restent toujours à vue des spectateurs. C’est intéressant de le présenter après tout ce temps à Prague, parce que le spectacle a créé une véritable mémoire du corps, comme chez les danseurs. Ils n’ont plus du tout besoin de réfléchir à leur parcours qui se fait presque tout seul. »
Parlons de la musique puisque ce spectacle a un accompagnement musical. Dans le Grand C il y a à la fois de la musique enregistrée et diffusée, mais également, les acrobates chantent, sifflent, ce qui doit être très difficile pendant leurs acrobaties. Quel est le rôle de la musique et pourquoi cette musique ?« Le rôle de la musique est de donner un rythme. Une chose importante, c’est qu’il y a aussi beaucoup de moments de silence pendant lesquels les marches sur le plateau ou les colonnes qui se forment se font de manière très douce, très lente. C’est quelque chose qui leur tenait à cœur, de travailler sur cette lenteur et non sur l’énergie ou l’explosion. L’idée de départ était de travailler avec un musicien qui s’appelle Marc Péronne, un accordéoniste qui joue sur des accordéons particuliers de manière spéciale puisqu’il joue par exemple avec le coffre, le bois… C’est malheureusement un musicien atteint de sclérose en plaques, il a donc des problèmes d’arthrose. Il a un talent fou mais souvent dans l’incapacité de jouer. Il est prévu qu’il soit en en permanence avec nous pendant la création pour pouvoir regarder la façon dont le spectacle se créait, puis composer à partir de cette matière. Malheureusement il n’a pas pu être présent et il a donc créé à partir de bande vidéo. Finalement, les artistes se sont autant adaptés à la musique que la musique s’est adaptée au spectacle. »
Ce spectacle est évidemment rempli de moments très physiques, voire dangereux. Quels sont les moments-clés qu’il ne faut pas rater pendant le spectacle ? Quels sont les risques qu’encourent les acrobates ?« Evidemment, les moments les plus risqués pour les artistes, ce sont ceux où la hauteur est la plus grande, où la colonne humaine monte à quatre personnes, où la dernière est à 7 mètres de haut. Quand elle tombe, elle risque de se faire mal, même s’il y a tout un système de parade qui est organisé de manière esthétique, puisqu’on voit des bras qui se lèvent tout autour des colonnes. Ensuite, l’effort est très différent selon les artistes puisqu’il y a les porteurs, ceux qui sont en bas des colonnes, qui sont les plus forts et qui sont dans un engagement physique total, très intense. Ils doivent porter et tenir. Ceux qui sont au-dessus pouvoir aussi porter. Et tout en haut, il y a les voltigeuses qui doivent effectuer des sauts périlleux. Pour elles, il ne s’agit pas de tenir, mais de pouvoir s’abandonner en totale confiance à l’autre. »
Pendant les 70 minutes de spectacle, comment les acrobates peuvent-ils se reposer ? Est-ce possible ? Ce qui surprenant également, c’est qu’ils n’ont pas de bandages… il n’y a jamais de blessés ?« Il y a des blessés. Parmi les 17 acrobates du début du projet, il y a trois remplaçants, ici, à Prague. Evidemment on n’est pas une équipe de foot, mais parfois ça peut y ressembler. Il y a des blessures, qui ne sont jamais très graves, mais qui peuvent handicaper quelques semaines. Dans ce collectif, on a donc cinq ou six artistes qui ont été formés pour faire ces remplacements. Il faut aussi savoir que les acrobates vivent en permanence avec des petits bobos, des petites blessures, des muscles froissés… C’est un métier qu’on exerce un peu dans la douleur, comme dans la danse. Le rapport à la souffrance est intégré dans leur travail. Sinon, ils ne se reposent pas pendant le spectacle. Ils sont toujours à vue du public. Même quand ils sortent du plateau, ils sont présents physiquement. Il faut savoir qu’ils répètent tous les jours, six heures par jours, le spectacle. C’est comparable aux pianistes solistes qui font des gammes quatre à cinq heures par jour pour être sûrs au moment du spectacle. Donc la figure que vous voyez pendant le spectacle, ce n’est qu’une énième figure. C’est la répétition qui amène le niveau du spectacle. »
Quelle direction va prendre ce spectacle ? Quel est son avenir ?« Le spectacle évolue avec ces remplaçants. Il y a un noyau dur, puis des personnes qui intègrent l’état d’esprit du Grand C. Il faut dire que le Grand C c’est un état d’esprit, de partage, c’est un apprentissage de la démocratie. Ce qui apporte de la fraîcheur et du renouveau à ce spectacle, c’est de partager ces moments ensemble. »