David Dusa : « Ce qui se passe au Moyen Orient, c’est la chute du mur de Berlin 2.0. »

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David Dusa est un réalisateur hongrois qui vit en France depuis une dizaine d’années. Après quelques courts-métrages, il a réalisé son premier long-métrage, Fleurs du mal, qui était présenté dans le cadre du 46e Festival du film de Karlovy Vary.

David Dusa,  photo: Film Service Karlovy Vary
David Dusa, vous êtes le réalisateur d’un film qui s’appelle Fleurs du mal. Votre film était présenté au Festival de Karlovy Vary dans le cadre de la section Variety Critic’s Choice. Ce film a été présenté au public dans ce cadre. Comment le public a-t-il réagi ?

« Ca a été une très belle expérience. La salle était complète, il y avait même des gens assis par terre. C’était un public très jeune, donc il y a eu un débat très animé à la fin qu’on a même dû couper. Comme le film parle beaucoup d’Internet, je pense qu’un public jeune a souvent tendance à réagir plus. Les jeunes générations ont beaucoup plus intégré Internet dans leur vie quotidienne. »

Fleurs du mal, c’est l’histoire d’une rencontre, celle d’un jeune homme et d’une jeune fille. Pourriez-vous nous résumer leur histoire ?

« Le film se déroule juste après les élections présidentielles de 2009 en Iran, des élections qui en fait ont été truquées. Les gens sont descendus dans la rue pour protester, ils ont utilisé les réseaux sociaux, leurs téléphones portables, pour médiatiser leur combat, mais aussi pour organiser la révolution. Le film parle d’une jeune fille iranienne envoyée en France par ses parents pour l’empêcher de participer à ces manifestations très dangereuses. Elle arrive en France et tombe amoureuse du bagagiste de son hôtel. Ils vivent une histoire d’amour très libre, très jeune, très belle. Mais elle garde contact avec son pays à travers les réseaux sociaux. Elle est donc déchirée entre le fait de vivre son amour à Paris ou rentrer chez elle pour se battre pour la liberté. »

D’une certaine façon son corps est à Paris mais son esprit est à Téhéran…

« Absolument. C’est la problématique que pose le film au niveau d’Internet, la critique qu’il propose. Internet nous permet de vivre de multiples vies, d’avatars, mais il peut nous empêcher aussi d’être physiquement dans un endroit. Le film mélange une fiction qui se passe à Paris et des images Youtube que j’ai téléchargé et qui représentent environ 20% du film. Elles montrent la révolution en Iran. »

'Fleurs du mal'
Pourquoi vous être intéressé à cette révolution-ci en particulier ? C’est parce que c’est une des premières à avoir intégré Internet comme moyen de lutte ?

« Effectivement. J’avais suivi les élections en Iran, bien avant de faire le film, parce que la géopolitique m’intéresse et que j’ai toujours eu des amis iraniens. Cette élection était très particulière, il y a eu de vrais débats télévisés entre les candidats, de vrais meetings politiques comme en Europe. Il y a eu un engouement des gens, ils avaient l’impression que leur voix allait se faire entendre. L’Iran n’a pas été la première révolte de ce type. Il y a eu des précédents plus localisés, comme en Moldavie où il y a eu une révolte des jeunes très liée à Internet. Mais dans le cas de l’Iran, c’était spécial par l’abondance de l’information, et le savoir-faire que les activistes ont mis dans la médiatisation de leur révolution. Dans les médias, dès juin-juillet 2009, on a parlé de la ‘révolution Twitter’. C’est vrai d’une certaine façon, mais il faut dire que l’utilisation de Twitter est très limitée, ce n’est pas ça qui a été le moteur de la révolte. Mais ça a été le moteur de la médiatisation des événements : c’est grâce à Twitter qu’on a su ce que si passait en Iran, que les activistes ont pu attirer les médias occidentaux et qu’on a parlé de ‘révolution Twitter’. Ca vend bien dans les journaux, mais c’est tout. En tout cas, Internet a été très important dans l’organisation de la révolte. »

Quelles ont été les réactions des jeunes dans le public, par rapport au rôle d’Internet ?

'Fleurs du mal'
« Il n’y a pas eu de critiques négatives, de gens qui questionnaient l’évolution dans laquelle on est engagés. C’est le type de débats qu’il y a eu à d’autres festivals, mais à Karlovy Vary, les gens étaient plutôt contents que je ne sois pas dans cette espèce d’alarmisme général qu’Internet tue le contact humain. Ce n’est pas du tout vrai. Je pense que les générations qui nous dirigent n’ont aucune compréhension du pouvoir des réseaux sociaux. »

Ça leur fait peur…

« Ça leur fait très peur aussi. Et avec justesse car ils sont en train de perdre leur pouvoir parce qu’ils n’y comprennent rien. Parallèlement à ce qui se passe au Moyen Orient, qui est très particulier, presque une ‘chute du mur de Berlin 2.0.’, il y a une profonde crise du capitalisme européen et occidental. L’idée de logique de marché est au bord de la faillite et je pense qu’on va faire faillite. Je pense que beaucoup de jeunes sont très en colère car nos dirigeants politiques bradent le futur. Je pense que les jeunes européens regardent justement comment les jeunes d’autres pays utilisent les réseaux sociaux pour forcer au changement. Je pense qu’il y aura des révoltes similaires en Europe, même si sans doute moins violent, car la police en France ne tirera jamais sur les foules. L’élection présidentielle va sans doute être très houleuse en France l’an prochain. Ca a déjà commencé… Au-delà, je pense que l’Europe est en face d’une vraie crise. Et les vieilles générations de dirigeants essayent juste d’en repousser l’échéance. »

Revenons à votre film. Les deux jeunes sont très touchants, notamment celui qui joue Rachid. Comment les avez-vous dénichés ?

'Fleurs du mal'
« La naissance du film, c’est en effet les vidéos Youtube mais aussi Rachid. Je l’avais rencontré sur un autre projet que je n’ai pas encore réalisé, dans une situation de casting assez classique. A la base, c’est un danseur et la danse occupe une grande partie de sa vie. »

Ça se voit dans le film…

« Ce n’est pas moi qui lui ai appris à danser ! La danse est un vrai moyen d’expression pour lui. Au fur et à mesure de nos rencontres sur cet autre projet, on est devenus très proches. Il s’est ouvert, il m’a raconté sa vie. Donc le personnage de Rachid dans le film est très proche de la réalité : on tourne dans son appartement en bord de périphérique, il a vécu dans des foyers depuis l’âge de trois ans, tout ce qu’il dit dans le film est vrai. Il a largement contribué à l’écriture de son personnage. Le film est né de la rencontre entre les images Youtube et le personnage de Rachid. Anahita est jouée par une actrice française professionnelle, Alice Belaïdi. Son personnage est un mélange : d’un côté des gens que j’ai connus et qui ont vécu des choses similaires, mais aussi ma propre expérience d’avoir vécu dans différents pays, d’être toujours dans des limbes en quelque sorte, un no man’s land identitaire… »

Avez-vous un projet en cours à l’heure actuelle ?

'Fleurs du mal'
« Absolument, je travaille sur un autre film qui s’appellera ‘La révolution ne sera pas twittée’ et qui parle justement des changements sociaux. Je veux essayer de montrer comment, après la crise du capitalisme, on pourrait utiliser les expériences du printemps arabe ou le mouvement vert en Iran, avec les réseaux sociaux, pour construire une autre société. »