Viviane Moore : « Le polar est un des genres les plus proches de la vie »

Viviane Moore

Comme promis, après Mikaël Ollivier la semaine dernière, c’est au tour de Viviane Moore d’être l’invitée de Culture sans frontières. De passage à Prague avec son compagnon, pour la lecture scénique de La vie en gros, Viviane Moore a bien voulu répondre à nos questions. Auteur de dizaines de romans, notamment de polars médiévaux, elle est, comme elle le confie elle-même, une « boulimique » de littérature, que ce soit en tant que lectrice ou en tant qu’écrivaine. Comment lui est venu ce goût pour la littérature ? C’est ce qu’elle nous a confié…

Viviane Moore
« Le goût pour la littérature remonte vraiment à l’enfance et à un problème personnel, l’asthme, parce que je suis une grande asthmatique. Les premières fois où j’ai commencé à raconter des histoires, c’était la nuit, quand j’avais une dizaine d’années et que je n’arrivais pas à dormir. J’ai commencé à passer mes nuits dans la cuisine à écrire des petites histoires. Tout a commencé comme ça. Qui dit écrire ne dit pas publier. Publier, ça a été plus tard, après avoir fait du journalisme. »

Vous êtes l’auteur de polars historiques, médiévaux, qui mettent en scène notamment deux personnages : Galeran de Lesneven et Tancrède le Normand. Pourquoi avoir situé vos romans au Moyen Age ? Qu’est-ce qui vous séduit dans cette époque en particulier ?

« Je pense que là aussi, ça vient de ma chambre d’enfant. Ma chambre était en même temps l’atelier de vitrail de ma mère puisqu’elle était maître verrier et qu’elle restaurait des vitraux anciens. Tout mon début de vie a été passé sous les tables de montage sur un lit de camp. Cela pourrait paraître dur à certains, mais c’était merveilleux. J’ai baigné dans une lumière qui était déjà très médiévale. Par la suite, j’ai exploré à peu près tous les châteaux, les lieux forts du Moyen Age en France. J’ai eu envie de les partager avec les lecteurs. Je les ai donc d’abord entraînés sur le domaine français, même s’il y avait des interactions avec toute l’Europe. Puis l’idée a été de les emmener bien au-delà, vers la Méditerranée, avec Tancrède le Normand. »

A cette occasion, on réapprend que les Normands ne se sont pas cantonnés à faire des incursions, puis à conquérir la Normandie. Mais ils sont allés très loin : en Italie, Sicile, en Turquie, en Terre Sainte… Ce sont des choses qui sont peut-être moins connues, puisqu’on pense en général à Guillaume le Conquérant ou aux Vikings, mais on ne pense pas qu’ils sont allés si loin…

« Les Normands étaient fascinés par la Méditerranée. Et ils sont même remontés jusqu’en Russie. C’est vrai que c’était intéressant de faire découvrir cet aspect-là, celui d’un royaume qui a duré plusieurs siècles, qui a eu des aspects très guerriers, mais aussi des côtés précurseurs, notamment au niveau de la géographie. Les rois normands comme Roger II de Sicile avaient auprès d’eux des géographes arabes comme al-Idrissi : on avait du coup une cartographie du monde qui a été faite pour les rois normands de Sicile. La première cartographie et le premier planisphère faits par un Arabe ont été commandés par un roi normand de Sicile ! »

Pour ces deux personnages, comment êtes-vous arrivée à la période particulière que vous traitez ? D’où est venue l’étincelle ?

« Le Moyen Age est très vaste et c’est vrai que le XIIe siècle était une période davantage pionnière, plus ouverte. C’est le début des foires de Champagne qui n’hésite pas à recevoir des marchandises qui viennent de la Baltique, de la Méditerranée, jusqu’à des soieries qui viennent de Chine. C’est aussi une grande ouverture, même au niveau juridique. Il y a beaucoup de possibles, avec une statuaire de l’époque magnifique, une architecture fabuleuse, les enluminures… C’est ce côté très libre, très pionnier qui m’a beaucoup plu dans le XIIe siècle et que j’ai voulu explorer davantage. Ce qui ne veut pas dire que je n’irai pas voir d’autres périodes par la suite… »

Il y a presque mille ans où aller puiser !

« Exactement ! »

Le Moyen Age ne recèle-t-il pas aussi une part de mystère ? C’est une très longue période, très diverse, qui pourtant a longtemps été oubliée, négligée voire dénigrée… Le terme même de Moyen Age est peu flatteur. Est-ce que le côté mystérieux du Moyen Age n’aide pas à écrire un polar ?

« C’est très romanesque de toutes les façons. Le Moyen Age est fabuleusement romanesque. On n’a pas besoin d’en rajouter beaucoup. Tout a un côté fabuleux, que ce soit le bestiaire de l’époque, la façon dont on percevait le paysage, le rapport de l’Homme à son environnement… On n’a qu’à prendre la plume et plonger dedans ! »

Vous écrivez des polars depuis longtemps. Comment comprenez-vous cet engouement récent pour les polars ? Aujourd’hui, si vous allez dans une librairie en France, ça regorge de polars, de Fred Vargas à la trilogie Millenium. Ce que vous faites est différent, mais on a vraiment le sentiment d’un boom ces dernières années.

« C’est peut-être aussi parce que le polar est un des genres les plus proches de la vie. On a différentes sortes de polars. La tragédie, comme genre, a disparu, mais le polar, c’est de la tragédie. Je crois qu’on aime tous cela. On aime tous avoir des auteurs qui nous parlent de la vie, passée, présente ou future. Du coup, il y a quelque chose d’authentique, de moins trafiqué dans cette écriture-là. Chez les vrais auteurs de polar, il y a quelque chose de proche de la vie contemporaine. »

Est-ce que vous vous reconnaissez dans une génération d’auteurs de polars ?

« Je ne sais pas trop. Je crois que je suis un petit peu en marge au sens où j’ai mélangé un sens qui a disparu – c’est en tout cas ce que dit mon éditeur chez 10/18 – avec le polar. On pourrait dire que je fais un roman d’aventures policier. Enfant, j’adorais les romans d’aventure, les Dumas, les Walter Scott, les Jules Verne etc. C’est vrai que j’aime aussi cet aspect-là. C’est donc du polar, mais il faut qu’il y ait cette puissance qu’il y avait dans le roman d’aventures. C’est un genre qui s’est délayé et qu’on ne retrouve plus trop chez les auteurs contemporains français. »

Lisez-vous vous-même des polars ?

« Je lis énormément. Je lis beaucoup de polars, mais énormément de choses. Je suis boulimique de littérature. Je l’ai toujours été : l’asthme a fait que je dévorais beaucoup de livres. »

Galeran de Lesneven, c’est un cycle, Tancrède le Normand également. Avez-vous entamé un nouveau cycle avec un autre personnage médiéval ?

« J’ai fait un livre qui va paraître chez 10/18 où on est à cheval entre du contemporain et le passé, l’époque d’Henri IV. C’est un drôle de livre puisque l’héroïne est une romancière, dans un château qui existe en Normandie, près de Cherbourg, de nos jours. Elle écrit sur un fait divers qui s’est déroulé sous Henri IV. C’est quelque chose qui va progressivement la dévorer. C’est le prochain, et ça s’appellera Ainsi puis-je mourir. Après, en effet, je vais lancer une nouvelle série médiévale, mais dans une époque un peu plus tardive que le XIIe siècle, avec un sujet ambitieux mais qui reste encore top secret ! »