« Paka » : les « guignols » ou les « rigolos » de la politique tchèque

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Salut à tous les tchécophiles de Radio Prague – Ahoj vám všem, milovníkům češtiny Radia Praha ! Le ministre tchèque des Affaires étrangères, Karel Schwarzenberg, a effectué récemment une visite d’une semaine aux Etats-Unis. Une visite tout ce qu’il y a de plus diplomatique au cours de laquelle il a notamment rencontré les représentants de certaines communautés tchèques vivant aux Etats-Unis, Arnold Schwarzenegger aussi, ou encore parlé affaires avec son homologue américaine, Hillary Clinton, sans oublier de se féliciter des excellentes relations entretenues entre Prague et Washington. Bref, une visite sans grand intérêt pour les médias et qui serait vite tombée aux oubliettes si, juste avant de quitter le sol américain, le ministre n’avait insulté ses partenaires de la coalition gouvernementale restés à Prague en les qualifiant de « paka ». Et c’est donc à ce petit mot difficilement traduisible en français et dont l’usage n’était pas anodin que nous allons nous intéresser pour cette fois…

Karel Schwarzenberg
Aristocrate adepte du baise main et du pince-sans-rire malgré un important défaut de prononciation qui rend certains de ses discours pratiquement incompréhensibles, ancien proche conseiller du président Václav Havel dans les premières années post-révolutionnaires après un long exil en Autriche et en Suisse sous le communisme, le prince Karel Schwarzenberg, actuel ministre des Affaires étrangères, est l’un des rares hommes politiques tchèques à pouvoir à l’heure actuelle se permettre de dire ouvertement et publiquement le fond de sa pensée. En utilisant un idiome tchèque très usité, on peut dire que son importante cote de popularité, qui n’a jamais faibli depuis sa première entrée en fonctions en 2007, lui offre la liberté de « dire ce que la salive lui apporte sur la langue » - « říct, co mu slina na jazyk přinese ».

A la fin de son récent voyage aux Etats-Unis, le chef de la diplomatie tchèque, qui est également le leader de l’un des trois partis composant la coalition gouvernementale, a donc dit ce qu’il avait sur la langue (ou sur le cœur, comme on dirait plutôt en français) en qualifiant ses collègues de la coalition gouvernementale de « paka », forme plurielle du mot « pako ». Bien évidemment, et comme à n’en pas douter l’espérait l’intéressé, la déclaration de Karel Schwarzenberg, maître dans l’art de l’usage des bons mots et mots d’esprit, n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd et a été aussitôt reprise par l’ensemble des médias tchèques. Même à Prague, les collègues visés s’en sont amusés… C’est dire.

Ce petit mot « pako », que l’on pourrait ranger dans le cas présent dans la catégorie des insultes gentilles, tous les Tchèques l’ont déjà entendu et le connaissent. Relativement rares sont pourtant ceux qui l’utilisent. Et, paradoxalement, si tous ont une idée de ce que « pako » signifie, peu savent le définir précisément, et pour cause, le mot possède un sens quelque peu ambigu, en tous les cas assurément pas univoque. C’est sans doute la raison pour laquelle, dans les jours qui ont suivi la déclaration du ministre, toute une série de commentaires et d’analyses du mot ont été publiés dans la presse. Le moment est donc venu de l’analyser à notre tour.

Première constatation, « pako » ne figure ni dans le « Dictionnaire de la langue tchèque littérale », qui fait souvent usage de référence, ni dans le pourtant plus récent « Dictionnaire du tchèque littéral pour les écoles et le public ». Il faut dire que le mot n’est apparu dans la langue tchèque qu’il y a une vingtaine d’années de cela. Il s’agit donc d’un terme encore relativement récent dont on trouve cependant trace dans les encyclopédies « Les nouveaux mots de la langue tchèque » et « Ce que vous ne trouvez pas dans les dictionnaires ».

Avant d’être une insulte, et à en croire le dictionnaire des mots étrangers, il semble que « pako » désigne d’abord un lama des Andes péruviennes, plus précisément un alpaga, un animal qui donne une laine éponyme et dont le nom binominal en latin est « lama pacos ». Bon, mais même si ce lama pacos n’était pas un animal spécialement intelligent (ce qui, au contraire, semble être le cas) ce premier sens n’est pas celui que nous recherchons.

Le second sens, argotique cette fois, nous intéresse, lui, beaucoup plus. Un « pako » peut donc désigner ce que les Tchèques appellent un « nešika », soit un gaffeur, un maladroit, mais aussi un « nemotora » - un lourdaud, un empoté, un « hlupák » - un idiot, quelqu’un de niais, ou encore un « blázen » - c’est-à-dire un fou, un maboul, un loufoque, un toqué, un timbré.

On constate alors que le mot « pako » peut désigner plusieurs types de personnes à la fois, et il existe une nuance entre traiter quelqu’un de « gaffeur » ou « d’empoté » et de « fou » ou de « maboul ». Toutefois, on peut également remarquer que, même en français, les mots « maboul », « timbré » ou « cinglé » ne sont assurément pas les pires insultes qui existent.

En tchèque, le mot « pako » englobe un peu toutes ces notions à la fois, et il s’agit donc bien de ce que nous avons appelé une « insulte gentille ». S’il fallait le traduire en français, les termes les plus appropriés seraient probablement ceux de « charlot » ou « guignol », même si, et pas seulement à la pensée des Guignols de l’info, leur usage est sans doute plus péjoratif et mal intentionné que celui de « pako » en tchèque. Peut-être Karel Schwarzenberg a-t-il alors pensé que ses collègues du gouvernement étaient plutôt et tout simplement des rigolos, une insulte qui peut aussi ne pas en être tout à fait une…

C’est donc avec les « paka », ces guignols rigolos de la politique tchèque que s’achève ce « Tchèque du bout de la langue ». On se trouve dans deux semaines pour d’autres « guignoleries ». D’ici-là, portez-vous du mieux possible - mějte se co nejlíp!, portez le soleil en vous - slunce v duši, salut et à bientôt - zatím ahoj !