Rozálie Kohoutová : entre fiction et documentaire (I)
Rencontre avec Rozálie Kohoutová, une toute jeune documentariste tchèque qui partage sa vie entre Prague et Paris. A 26 ans à peine, elle a déjà à son actif un bon nombre de films, parmi lesquels Roma Boys, un autre sur le Sokol de Paris ou sur trois générations de Tchèques en France. Voici la première partie de cet entretien.
« Oui, c’est la seule école nationale du film ici. »
Vous avez réussi à combiner ces types d’études, à la fois, les études de culture rom, et le cinéma de façon très intéressante, dans un des films que vous avez réalisés et pour lequel vous avez reçu des prix. Notamment le prix du meilleur film au Fresh Film Fest, le festival du film étudiant. Ce film, c’est Roma Boys, une histoire d’amour. Pourriez-vous nous parler de ce film très touchant qui met en scène David Tišer, un des représentants importants de la communauté rom en République tchèque ?
« David Tišer est un ami. On s’est rencontrés quand on faisait des études de langue rom ensemble. On est devenu amis. On a réalisé plusieurs projets ensemble pour la télévision tchèque. Un jour il m’a fait part de son homosexualité et que ça posait des problèmes au sein de la communauté. On a eu envie de faire quelque chose autour de ce thème. J’ai toujours voulu utiliser ses idées, sa créativité, et donc son scénario. D’où la forme du film. »C’est une forme très particulière en effet puisque c’est une sorte de film dans le film…
« Voilà… J’aime beaucoup mélanger les genres, les formes, mélanger la fiction et le documentaire. J’ai utilisé son propre scénario pour un film de fiction potentiel en en faisant un documentaire. Le scénario était autobiographique donc on a vraiment tourné quelque chose qui était presque la réalité. »
En même temps, il y a des scènes assez piquantes avec des personnages auxquels vous faites jouer leur propre rôle…
« En fait, on m’a souvent posé cette question. Je pense d’ailleurs que c’est un peu un problème du film, parce qu’on mélange à la fois acteurs et personnages réels. David joue son propre rôle, d’autres sont des acteurs ou des acteurs amateurs, comme des amis de David. »Il faut un peu résumer l’histoire : dans le scénario de David, celui-ci en tant que jeune rom homosexuel qui cherche un partenaire, contacte par un site internet de rencontres un autre rom, également homosexuel, qui fait son coming-out auprès de ses parents. Il y a une crise familiale, il se fait battre par des membres de sa famille, il est marié de force à une femme… Ce qui est intéressant, c’est qu’on voit que tout cela est joué, parce que parfois les acteurs rient devant la caméra…
« Une chose était claire pour moi dès le départ : il fallait que le scénario soit bien visible. Du coup, j’ajoute le commentaire de David dans le film : il raconte tout au long le scénario. C’est le fil rouge et on suit son histoire grâce aux scènes jouées du film. David dit ce qui va se passer et ensuite on voit la scène. »
C’est une forme originale qu’on ne voit pas souvent. Est-ce que c’est difficile de faire passer ce genre de forme mélangée ? Les spectateurs sont souvent assez conservateurs, veulent voir un certain type de documentaires…« Il faut dire que j’ai été très inspirée par Jean Rouch qui est un cinéaste français. Il est assez peu connu. Par exemple son film Moi, noir, que j’aime beaucoup fonctionne de la même façon : il mélange la vie réelle de quelqu’un en ajoutant des scènes jouées. »
A l’heure actuelle, on voit beaucoup de documentaires, notamment historiques, qui s’efforcent de faire rejouer des scènes où l’on voit que c’est mis en scène. Ce n’est pas très naturel. Alors que le second degré dans votre film est une forme d’honnêteté vis-à-vis du spectateur…
« Oui. Peut-être est-ce à cause de mes études au sein du département du documentaire. On a toujours beaucoup discuté sur la forme du film documentaire. Sur la différence entre documentaire et fiction. Si on prend par exemple Robert Flaherty, considéré un documentariste, qui a tourné avec des Inuits à qui il a fait jouer leur propre vie. Et ce film, Nanouk l’Eskimo, est considéré comme le premier film documentaire. Or les scènes ont été jouées. Ca m’intéresse beaucoup ce rapport. Pourquoi une forme cinématographique serait-elle plus vraie qu’une autre ? »
Evidemment vous avez bien d’autres documentaires, dont un en particulier qui est visionnable sur le site de ČT2. Il s’agit d’un film consacré aux sculptures et aux plastiques de l’époque de la normalisation en Tchécoslovaquie, qui meublaient l’espace extérieur des banlieues HLM, ces « sídlistě » tchèques. Ce film s’appelle Vetřelci a volavky, c’est-à-dire Intrus et hérons. Pourriez-vous nous dire de quoi il retourne dans ce documentaire ?« Avec un autre de mes amis, qui fait l’Ecole des Arts et Métiers de Prague, on a découvert qu’à l’époque de la normalisation, vue comme une époque de stagnation pour la génération de ma mère, où l’art de qualité était interdit, il existait une loi qu’il fallait accorder 5% à la création artistique lors de la construction d’une nouvelle cité. Et 5% c’est beaucoup ! Parce qu’il s’agissait de commandes de l’Etat. On a découvert que dans les années 1970 et 1980 beaucoup d’artistes interdits, des anciens participants au Printemps de Prague, ont ainsi pu créer. »
Il faut dire qu’il s’agit de sculptures assez particulières aujourd’hui : elles ont pas mal vieilli, sont souvent peu entretenues, et ont donc une sorte de patine qui s’est forgée au fil des années…« Il y a des œuvres d’art très intéressantes, de valeur. Evidemment on considère cette époque comme mauvaise, mais on voit que le régime a produit aussi des choses intéressantes. C’est vrai que ces 5% étaient obligatoires, comme autant de choses qui étaient obligatoires sous le communisme. Parfois ce n’était même pas des œuvres d’art, mais des choses étranges, un peu folles, juste pour produire quelque chose ! Mais souvent ce sont de très bons artistes qui ont pu travailler sur ces projets. »
Et pour eux, c’était un moyen de gagner leur pain… surtout pour ceux qui autrement étaient interdits…« Les années 1970 et 1980 en Tchécoslovaquie sont des années assez compliquées. Je pense qu’on attend encore une vraie explication historique de cette époque. Ces artistes, par exemple, devaient toujours donner un titre positif à leur œuvre. Il fallait que ce soit optimiste. Ensuite, quand ils obtenaient le projet, le résultat, c’était un peu n’importe quoi : ça s’appelait par exemple ‘Printemps’, mais ça avait une forme complètement abstraite. »
La forme ne correspondait pas du tout au titre de l’œuvre !« C’était une œuvre d’art destinée à la banlieue, mais sa place aurait dû être ailleurs. »
Ces sculptures sont des formes d’OVNI, d’où le titre de votre documentaire Intrus et hérons…
« Oui, c’est cela. »
Retrouvez Rozalie Kohoutová dans l’émission culturelle de la semaine prochaine.