« La foi aux couleurs arc-en-ciel » pour rapprocher les mondes chrétien et LGBT en Tchéquie
Alors que le débat sur la loi qui ouvrirait la voie au mariage pour tous se poursuit en Tchéquie, un étudiant pragois a interrogé sur le sujet une cinquantaine de représentants de plusieurs Églises, lançant ainsi un projet en ligne inédit dans le pays.
Quelque 66 grandes entreprises, les chefs de 25 théâtres et d’une trentaine de salles de cinéma et, tout récemment, une vingtaine de sénats académiques d’écoles supérieures : ils ont tous adressé un appel au gouvernement tchèque pour soutenir le mariage pour tous. Alors que plusieurs propositions de loi visant à légaliser le mariage des couples homosexuels sont préparées et discutées au sein de la Chambre des députés, la classe politique reste divisée sur le sujet.
Le débat est en cours également dans le milieu ecclésiastique : en juillet dernier, les représentants des Églises chrétiennes en Tchéquie, avec, en tête, l’archevêque de Prague Jan Graubner, ont publié une déclaration visant à protéger « la famille en tant qu’union entre un homme et une femme ».
Étudiant de la FAMU, l’école supérieure de cinéma de Prague, Tobiáš Frýdl a décidé d’entrer dans le débat, en interrogeant, à son tour, 45 personnalités issues de l’Église catholique et de plusieurs églises protestantes du pays favorables au mariage pour tous, ainsi que des théologiens et spécialistes de la Bible. Ils expliquent leurs positions dans des entretiens vidéo publiés sur le site « Víra v barvách duhy » (La foi aux couleurs de l’arc-en-ciel). Tobiáš Frýdl nous en dit plus en expliquant tout d’abord ce qui l’a motivé à lancer ce projet inédit en Tchéquie, pour lequel il a récemment reçu le Prix Jan Opletal :
« Depuis longtemps, on mène un débat à ce sujet dans la société et dans le milieu chrétien. Or, les réactions des croyants et des représentants des Églises que l’on entend le plus sont celles qui jugent, critiquent, rejettent et évoquent l’enfer. Etant moi-même fils d’un pasteur de l’Eglise tchécoslovaque hussite, je sais pourtant que ces positions critiques envers les personnes LGBTQ+ ne sont pas majoritaires parmi les croyants et c’est ce que je souhaitais exprimer à travers ce projet. En même temps, je voulais montrer qu’être chrétien n’est pas un argument, cela ne doit pas être un moyen de dissimuler son homophobie. Bien sûr que l’on peut s’opposer au mariage pour tous, mais il faut alors que cette position soit argumentée. Dire simplement ‘parce que je suis chrétien’ ne suffit pas à mon avis. »
« Moi-même, je sentais une certaine réticence de la part de mes amis et collègues de la faculté : sachant que ma famille est chrétienne, ils pensaient automatiquement que j’étais conservateur et critique par rapport aux couples du même sexe. Ces idées reçues, qui ne correspondent absolument pas à la réalité, étaient aussi une des raisons pourquoi j’ai lancé ce projet. »
Quels sont plus précisément les questions que vous aviez posées à vos interlocuteurs ?
« Des questions très diverses, parfois assez controversées. Pour le site, j’ai créé sept vidéos assez courtes, où mes invités, qui sont pour la plupart des prêtres, répondent aux questions, je dirais, essentielles : ‘Marierez-vous des personnes du même sexe ? Si oui, pourquoi ? Que diriez-vous aux opposants au mariage pour tous ? Que dit la Bible sur les homosexuels ? Est-il possible que Jésus était gay ?’ Sur le site, j’ai également publié plusieurs interviews plus longues consacrées à la spiritualité et l’orientation sexuelle. »
Quels sont, pour vous, les arguments les plus pertinents ?
« J’ai surtout apprécié la manière dont mes interlocuteurs ont expliqué leur position. Ils sont tous érudits et savent argumenter, ce qui m’a plu, car moi-même, je n’en serais pas capable. Par exemple Petr Šandera, évêque émérite de l’Église tchécoslovaque hussite, a dit que le plus problématique, de son point de vue, était les ‘mais’ qui reviennent souvent dans le débat sur le mariage pour tous. ‘J’accepte les homosexuels, mais…’ : c’est ce genre de propos qui représente probablement l’une des plus grandes barrières entre les personnes queer et leur entourage. Martin Kováč, prêtre de l’Église vieille-catholique, a évoqué la crainte de certains croyants qu’après l’adoption du mariage pour tous, nos sociétés changeront et rien ne sera plus comme avant. Or dans aucun pays qui a légalisé le mariage homosexuel, il n’y a pas eu de révolution et aucun de ces pays n’a décidé d’annuler cette mesure par la suite. »
Était-il facile de persuader les représentants de différentes Églises de participer à votre projet ? J’ai remarqué par exemple que l’Église catholique, la plus importante en Tchéquie, n’est représentée que par sept personnes…
« C’est vrai, mais sept sur quarante-cinq, ce n’est déjà pas mal je trouve. C’est la troisième Église la plus représentée dans le projet. Certaines personnes m’ont dit qu’elles soutenaient le mariage pour tous, mais qu’au vu de la position officielle de l’Église catholique sur le sujet, elles ne pouvaient pas exprimer leurs sympathies en public. Certains étudiants de la faculté théologique et futurs prêtres par exemple ont refusé de participer pour cette raison. »
Avez-vous des réactions de la part des députés et sénateurs ?
« Oui et elles sont pour la plupart positives, mis à part un sénateur qui m’a adressé, via son assistant, un message très négatif voire haineux. Mais j’ai été vraiment surpris par le nombre de réactions que j’ai reçues, tant de la part des représentants politiques que du public. En fait, j’ai créé ce projet pour les athées aussi bien que pour les croyants. Je leur propose à tous une réflexion sur le sujet. »
Alors que le débat sur la loi instaurant le mariage pour les couples de même sexe se poursuit en Tchéquie, qui pourrait devenir l’un des premiers États post-communistes à adopter une telle législation, l’Église évangélique des Frères tchèques a annoncé, en mai dernier, qu’elle était la première dans le pays à autoriser la bénédiction des couples homosexuels.
