Usage des diminutifs : quand ce qui est petit n’est plus mignon (1ère partie)

« L’attaque des mots stupides » - « Útok stupidních slov » : tel est le titre qui figurait, jeudi, en couverture du supplément du quotidien Mladá fronta Dnes. A l’intérieur du magazine, l’article était intitulé « Les 100 mots stupides » - « 100 stupidních slov ». De quoi s’agit-il donc ? Une des particularités de la langue tchèque est l’usage très fréquent des diminutifs – zdrobněliny. Et un grand nombre de Tchèques en sont très friands. Ces diminutifs sont formés essentiellement à partir des substantifs, par exemple une bière – pivo, pouvant devenir « pivko », « pivečko », « pivínko », ou encore « pivčo », mais aussi des noms propres, notamment lorsqu’il s’agit d’un petit enfant ou de notre cher(-ère) et tendre. Le problème, cependant, ces derniers temps, semble être leur usage par trop excessif. Certains Tchèques abusent tellement de ces diminutifs que leur emploi en devient risible et souvent même stupide, comme le constate donc le journal.

En tchèque comme en français, les diminutifs possèdent une fonction de base similaire : ils permettent de former de nouveaux mots, qui ajoutent aux mots neutres originels desquels ils sont issus une idée soit de petite taille, soit de fragilité, ou alors une nuance affective, une connotation positive.

En tchèque cependant, plus que l’idée de taille, c’est souvent cette dernière notion d’affectivité qui prévaut. L’exemple de la bière illustre parfaitement ce constat. Dans les brasseries et bistrots tchèques, si un client commande une bière – jedno pivo, le serveur lui ramènera automatiquement une bière dans un verre de 50 centilitres. Un verre pour lequel il existe un mot bien précis, le mot « půllitr », littéralement « demi-litre ». Mais il existe aussi la possibilité de commander une bière en plus petite quantité : il s’agit d’une « petite bière » - malé pivo, de 30 centilitres. Pour précision, le verre s’appelle alors « třetinka », soit « un petit tiers ». Notons pour l’anecdote que ce mot « třetinka » est en quelque sorte un diminutif de « třetina » - « un tiers ». Jusque-là, cependant, rien que de très banal : si un Tchèque commande une bière, c’est-à-dire une grande bière – velké pivo, il en reçoit un demi-litre, et s’il commande une petite bière, il en reçoit en moindre quantité, un « petit tiers de litre » pourrait-on dire.

Mais là où cela devient intéressant pour nous, c’est de remarquer que si le même Tchèque commande « jedno pivko », un diminutif qui littéralement signifie « petite bière », ou même « jedno pivečko », en quelque sorte « une petite bière encore plus petite », eh bien le serveur lui ramènera… une « grande » bière d’un demi-litre ! Et le client ne s’en plaindra nullement puisque c’est précisément ce qu’il souhaitait… Seul l’emploi de « malé pivo » permet donc d’avoir l’assurance de se voir servir une petite bière. Enfin, poussons l’analyse jusqu’à constater que certains ne trouvent rien de choquant, bien que cela soit dépourvu de tout sens, à commander « jedno malé pivko », soit « une petite ‘petite bière’ »… Pas la peine de préciser qu’ils reçoivent alors bien une petite bière…

Ces différents exemples ont le mérite d’illustrer à la perfection le fait qu’en tchèque, l’usage des diminutifs possède très souvent une connotation affective. Dans le cas présent, les Tchèques parlent de pivko et pivečko parce qu’ils apprécient beaucoup la bière. C’est qu’ils l’aiment, leur « petite bière » !

On peut penser qu’il en est de même lorsqu’ils parlent de kafíčko ou de kávička, diminutifs respectifs de kafe et de káva, la langue tchèque possédant deux mots, le premier pour le langage parlé, familier, et le second plus littéraire, pour désigner la même boisson, le café. Là aussi, lorsqu’un Tchèque parle de prendre « jedno kafíčko » ou « jednu kávičku », il s’agit certes littéralement « d’un petit café », mais dans les faits, c’est bien un café de taille normale qu’il a envie de boire. Et dans un restaurant, il faut là encore bien préciser que l’on désire « un petit » en utilisant l’adjectif « malé » pour recevoir une tasse de café de plus petite taille.

D’une manière générale, les diminutifs sont souvent employés par les Tchèques lorsqu’il s’agit de boisson et de nourriture. Il n’est ainsi pas rare d’entendre parler de « polívčička », « masíčko », « kuřátko », « klobáska » ou encore de « gulášek », pour désigner respectivement une soupe – polévka, de la viande – maso, du poulet – kuře, une saucisse – klobása, ou un goulasch – guláš. Et cela conduit même parfois jusqu’à parler de « prasátko », diminutif du mot « prase »– cochon, alors que le cochon n’a vraiment rien d’un petit animal particulièrement apprécié. Non, si un Tchèque parle de « prasátko », littéralement donc de « petit cochon », c’est qu’il a une forte envie de manger un bon morceau de porc. Et plus ce morceau sera gros, moins il sera petit, mieux ce sera…

Notons cependant que cet usage vaut également, à une moindre échelle toutefois, en français, où les gens disent aussi parfois qu’ils ont bien envie de boire « une p’tite bière », « un p’tit café » ou de manger « une p’tite saucisse ». Lorsqu’un Français affirme « je mangerais bien une p’tite saucisse », il ne s’agit pas pour lui non plus de manger une saucisse de petite taille, mais plutôt de manger une bonne (grosse ?) saucisse. Reste qu’un Français ne dira jamais qu’il va prendre « du petit cochon » s’il a envie d’une pièce de viande de porc. Et c’est précisément dans ces cas-là que l’usage des diminutifs en tchèque devient aberrant et souvent même ridicule, comme s’en plaignent et le regrettent eux-mêmes certains Tchèques.

C’est ainsi que s’achève ce « Tchèque du bout de la langue » consacré donc à l’usage des diminutifs dans la langue tchèque. Nous reviendrons sur le sujet dans notre prochaine émission. D’ici-là, portez-vous du mieux possible - mějte se co nejlíp !, portez le soleil en vous - slunce v duši, (et pas « un petit soleil » - sluníčko), salut et à bientôt - zatím ahoj !