Vol au-dessus du Parnasse tchèque
Ces derniers temps le public tchèque est confronté à un phénomène qui pourrait être appelé « la banalisation des prix artistiques ». En effet, les prix de théâtre, de cinéma, d’art et de littérature se multiplient, leur prestige en souffre et le grand public devient las de ces innombrables cérémonies de remises de prix souvent retransmises par la télévision. Malgré cette banalisation, les prix Magnesia Litera ne perdent pas leur importance : ils restent la distinction littéraire la plus prestigieuse en République tchèque et leurs lauréats font partie de ce qu’on pourrait appeler le Parnasse tchèque. Comme lors des éditions précédentes, la dernière remise des Magnesia Litera 2011 a donné aux lecteurs la possibilité de s’orienter dans la littérature contemporaine tchèque et de trouver les auteurs et les ouvrages qui méritent d’être lus.
« En tout cas, nous avons tous obtenu du temps pour agir. Le ministère dispose maintenant de temps pour préparer les projets de soutien de l’édition. Nous avons déjà préparé deux projets allant dans ce sens, au cas où cette augmentation d’impôt entrerait finalement en vigueur. En même temps, j’ai demandé maintes fois à tous les éditeurs, écrivains et distributeurs de chercher des réserves dans leurs propres activités. Si tous ensemble nous mobilisons nos réserves, pas même l’augmentation de la TVA ne nous mettra en danger. »
Malgré des perspectives qui s’annoncent donc plutôt sombres, la création littéraire en République tchèque reste riche. Pavel Mandys, de l’association Litera, s’est félicité de la qualité des ouvrages nominés dans les sept catégories des prix Magnesia Litera :
« C’est une année très forte en ce qui concerne les nominations, notamment dans la catégorie de la prose. En même temps les qualités des candidats étaient quasi égales. J’espère que même les prochaines éditions des Prix Magnesia Litera seront aussi fortes et équilibrées que celle-ci. »C’est la dernière œuvre de Jan Balabán qui a été proclamée « Livre de l’année ». Le jury a distingué in memoriam ce prosateur disparu en avril 2010 à l’âge de 49 ans. Ce n’est pas la première distinction remportée par ce roman intitulé « Zeptej se táty » (Demande à ton père), déjà sorti vainqueur d’une enquête du journal Lidové noviny. Selon le jury, le dernier roman de Jan Balabán est une confession d’une sincérité profonde sur la vie « in extremis ». Représentant de la maison d’édition Host qui a publié ce dialogue entre un fils et un père défunt, Miroslav Balaštík rappelle la situation très particulière ayant marqué la gestation de cette œuvre qui parle de la mort, mais aussi de la vie et du rapport de l’homme vis-à-vis de son passé :
« Bien sûr, de nombreuses circonstances fatales ont accompagné la création de ce livre. Le livre évoque la mort du père de l’auteur. Pour Jan Balabán, c’était donc un livre fatal. Je crois que cet ouvrage parachève en quelque sorte ce qu’il y avait dans ses livres précédents. »
Et Miroslav Balaštík d’attirer l’attention sur les spécificités de la forme que Jan Balabán a donnée au texte qui est finalement devenu son dernier livre :
« On disait souvent de Jan Balabán qu’il était le maître du conte. Je pense cependant que ce n’est pas tout à fait vrai parce qu’il a cherché pendant toute sa vie à marier les genres. On dirait que le roman et le conte se côtoyaient dans ses textes. Et je pense que le livre ‘Demande à ton père’ est une forme qu’il a inventée, le roman en contes. L’histoire forme un ensemble uni qui est cependant composé de plusieurs chapitres, plusieurs sondes, plusieurs petits récits. Parmi les aspects intéressants du livre, il y a donc aussi son genre. »La victoire dans la catégorie de la prose a été remportée pour la deuxième fois déjà par l’écrivain et cinéaste Martin Ryšavý. Comme pour son succès précédent, « Voyages en Sibérie », c’est en Russie que Milan Ryšavý a trouvé la matière pour son deuxième grand succès littéraire. Le roman intitulé « Vrač » lui a été raconté par le Russe Alexandre Ivanovitch Poutkine. Martin Ryšavý a présenté ce conteur infatigable au public de la cérémonie de la remise des prix au Théâtre des Etats :
« Lors du voyage de retour d’un tournage en Sibérie, je me suis arrêté à Moscou et c’est là que j’ai fait sa connaissance. Nous avons été présentés l’un à l’autre par des amis communs. J’ai mis cependant beaucoup de temps à réaliser que les histoires qu’il me racontait pourraient être réunies dans un livre. J’avais déjà pas mal d’histoires mais il me manquait toujours une idée centrale, un thème majeur. Ce livre n’est pas qu’un ensemble d’histoires. Il y a donc eu une évolution. »Le jury a attribué également les prix Magnesia Litera dans les catégories « Poésie », « Livre pour enfants » et « Traduction ». C’est l’écrivaine Radka Denemarková qui a décroché le Magnesia Litera pour avoir traduit de l’allemand d’une façon magistrale le roman « Atemschaukel » (La bascule du souffle ) de Herta Müller, prix Nobel de littérature. Radka Denemarková, déjà deux fois lauréate des prix Magnesia Litera pour ses propres œuvres, a déclaré lors de la cérémonie au Théâtre des Etats :
« Je remercie la rédactrice Jitka Nešporová et bien sûr aussi Herta Müller pour le courage avec lequel elle travaille avec la langue. Merci également aux phrases et aux personnages de ce livre de m’avoir laissée entrer dans leur compagnie. J’espère les avoir compris. J’ai cherché à les traduire comme je désire que mes textes soient traduits dans d’autres pays. » Le prix des lecteurs a été remporté par Hana Andronikova pour son livre « Nebe nemá dno » (Le ciel est sans fond), texte autobiographique qui retrace les expériences de l’auteure atteinte d’une grave maladie et qui décide de partager la vie des habitants de la forêt amazonienne. C’est l’ouvrage intitulé « Straka v říši entropie » (La Pie dans l’empire de l’entropie) que le jury a proclamé « Découverte littéraire de l’année ». Son auteure Markéta Baňková a réussi un véritable exploit en mariant dans ce livre pour enfants et adultes la popularisation de la physique avec un récit captivant :« L’aspect scientifique de mon livre n’est qu’une valeur ajoutée. Pour les enfants, qui risquent de ne pas toujours comprendre quand j’écris sur la physique, c’est l’histoire qui est essentielle. S’ils comprennent en plus le côté scientifique du livre, tant mieux, mais s’ils ne le comprennent pas, cela ne fait rien, parce que c’est l’histoire que je raconte qui est importante, ce récit qui concerne les rapports entre les gens, les choses de la vie quotidienne autour de nous. » Pour la première fois a également été décerné le Prix du lecteur de l’année. Il a été remporté par Dagmar Černá, lycéenne de la ville de Hustopeče qui a emprunté à la bibliothèque municipale et lu pas moins de 849 livres au cours de l’année 2010.