Adriena Šimotová : la magie du corps humain sur papier

Adriena Šimotová en 2001, photo: Jiří Jiroutek, CC BY-SA 3.0

« Le travail est un pilier sur lequel repose mon existence », dit la plasticienne Adriena Šimotová dans le catalogue de sa récente exposition pragoise, organisée à l’occasion de ses 85 ans. Cette exposition est en deux parties : la première qui jette un regard en arrière est à voir jusqu’au 25 avril au Musée Kampa et la seconde, consacrée aux nouveaux travaux d’Adriena Šimotová, est ouverte jusqu’au 19 juin prochain à la Galerie Rudolfinum. Etroitement liée à la France, Adriena Šimotová est une des plus importantes artistes tchèques contemporaines, une femme remarquable et courageuse. Ses tragédies personnelles, l’histoire troublante de son pays, la richesse de sa vie intérieure : tout cela se reflète dans ses travaux sur papier – son matériel de prédilection – travaux admirés tant en République tchèque qu’à l’étranger. Rencontre.

« Ma grand-mère était originaire d’Yverdon, en Suisse romande. Elle vivait avec mes parents et moi à Prague. Moi, je suis allée en France pour la première fois quand j’avais trente ans déjà : avant la guerre j’étais petite, pendant la Deuxième Guerre mondiale on ne pouvait pas voyager, et après la guerre on ne pouvait pas voyager non plus. Jusqu’en 1964, j’ai fait des tableaux… On ne peut pas dire que c’étaient des paysages, mais plutôt des œuvres inspirées de la nature, des reflets de l’eau par exemple. Des choses qui ressemblent, pour moi, à la musique de Debussy. »

Adriena Šimotová dans les années 60,  photo: Karel Kuklík,  CC BY-SA 3.0

Ce premier voyage en France, Adriena Šimotová l’a effectué en 1959. Dans sa monographie française intitulée « L’œil éphémère » et éditée en 2002 à l’occasion de son exposition au Musée des Beaux-Arts de Dijon, l’artiste se souvient :

L’exposition 'Vyjevování'  (Révélation)

« En général, l’idée que nous nous faisons des choses ne correspond pas à la réalité. Mais dans ce cas, Paris était absolument semblable à ce que j’avais dans mes rêves ! Je me souviens par exemple de mes promenades d’enfant avec ma grand-mère dans les parcs de Prague (…), je traînais des pieds dans les feuilles mortes et je me disais que ce devait être à peu près à cela que ressemblaient les jardins français. Et en effet, les feuilles mortes des Tuileries ressemblaient beaucoup à celles de mon enfance. »

En 1968, Adriena Šimotová revient en France, en Bretagne et à Paris, cette fois-ci en compagnie de son mari, le peintre et graveur Jiří John. Elle retiendra de ce séjour notamment une rencontre avec Josef Šíma, peintre tchèque installé à Paris, qui avait alors exposé au Musée d’Art moderne. Elle se souviendra « d’une table de bois sur laquelle brillait le soleil », de Josef Šíma leur apportant « une omelette flambée ».

La France représente donc, pour Adriena Šimotová, des sensations, des images, des couleurs, des odeurs… C’est aussi un certain équilibre qu’elle dit avoir retrouvé dans la culture française, « l’équilibre entre la vie et l’art, le sentiment et la raison, entre le contenu et la forme ».

L’exposition 'Vyjevování'  (Révélation)

Dans les années soixante, Adriena Šimotová est une artiste accomplie. Diplômée de l’Ecole d’arts graphiques et de l’Ecole supérieure des Arts décoratifs de Prague, elle est membre du célèbre groupe artistique d’après-guerre UB 12. Dans sa création, Adriena Šimotová se détache de la peinture réflexive inspirée par des paysages et des milieux urbains, pour se concentrer, pour le reste de sa vie en fait, sur le motif de la figure humaine.

« Après 1964, j’ai trouvé mon thème : l’homme, le personnage. J’ai aussi dessiné des objets, mais des objets touchés par quelqu’un, qui ont une vie. Ce n’est pas n’importe quoi. »

Pensez-vous que les objets qui nous entourent ont une force magique ?

« Pour moi, oui. J’ai fait une exposition à Plzeň qui s’appelait ‘La Magie des choses’. Par exemple, quand je vois un escalier courbé par les pas, cette trace de l’homme me fascine. »

Adriena Šimotová,  de cycle 'Les têtes' - 'La tête en vent',  2009,  photo: Galerie Rudolfinum

Pourquoi vous intéressez-vous au personnage humain, à son visage, à ses gestes ? D’où vient cette passion ?

« C’est parce que j’aime l’homme. Je l’aime infiniment, même avec ses fautes. Ce n’est pas un idéalisme, parce que je connais le bien comme le mal. Le bien un peu plus peut-être… »

« Ces vingt dernières années, je travaille presque uniquement avec du papier, mais du papier très différent : cela peut-être du papier calque, du papier chinois, du papier fait main. J’aime ce matériel, parce que comme je travaille avec les mains, avec les doigts, il réagit bien, il est sensible. Avant, je travaillais aussi avec le tissu, mais c’était trop artificiel pour moi. Le papier a plus de métaphysique en soi. Ce n’est pas une décoration, mais quelque chose de plus profond. »

Adriena Šimotová,  'La figure',  photo: Musée des Arts décoratifs et du Design

En effet, la manière dont Adriena Šimotová s’approprie le papier est assez exceptionnelle : elle se concentre sur les procédés de perforation, arrachage, collage, frottage. Ses dessins perforés sur des rouleaux de papier carbone à multiples couches, ses frottages opérés à son propre corps ou aux corps de ses proches, réalisés entre 1975 et 1991, sont exposés au Musée Kampa. On y retrouve les travaux que l’artiste a réalisés, dans les années 70 et 80, notamment ceux créés dans un ancien monastère franciscain désaffecté à Hostinné, au pied des monts des Géants. Retirée de la scène officielle et marquée par la mort de son mari, en 1972, elle y créé des dessins monumentaux, qui sont aujourd’hui au cœur de la collection d’art contemporain de Meda Mládková, la fondatrice du Musée Kampa.

De l’exposition 'L’âme de paysage,  l’esprit de lieu',  photo: Galerie u Betlémské kaple

Jusqu’à la chute du régime communiste, Adriena Šimotová expose dans un cadre non-officiel. La situation change au début des années 1990, où l’œuvre de Šimotová est montrée un peu partout en Europe et, bien sûr, redécouverte dans son pays, où sa grande rétrospective a lieu en 2001 à la Galerie nationale. Invitée par la Galerie de France, Adriena Šimotová peut également travailler à Paris :

Adriena Šimotová,  'Les yeux fermés III',  2000,  photo: Galerie Rudolfinum

« La Galerie de France a réservé pour moi un studio-atelier en face du Centre Pompidou où j’ai pu travailler à plusieurs reprises pendant deux - trois mois. C’était formidable, parce que j’étais absolument libre et je pouvais aller là où je voulais. »

En 1996, deux ans après la disparition subite de son fils Martin, Adriena Šimotová expose à la Galerie de France à Paris un cycle de dessins intitulé « Mémoire de famille » :

« Je ne savais pas comment survivre. Alors j’ai commencé à évoquer les visages de mes parents, de mon mari, qui est mort jeune. Finalement, cette évocation est devenue un bonheur, quelque chose de très positif dans ma vie. Car avant, j’avais un regard existentialiste et un peu dépressif. A cette époque-là, lorsque ma tristesse était la plus profonde, quelque chose a éclairé ma vie. »

Adriena Šimotová,  'Sans titre'  (La tête),  1984

Même les récents dessins d’Adriena Šimotová, fragiles comme le papier qu’elle utilise et exposés à la Petite Galerie du Rudolfinum, dégagent cette « lumière d’espoir ». Cette petite femme au chignon blanc, souffrant d’une maladie dont elle ne parle jamais, continue à travailler dans son atelier, sous le toit d’un immeuble ancien dans le quartier de Letná. Ne pouvant plus dessiner par terre, elle est assise sur une chaise et travaille à l’aide d’un long pinceau. Ses fameux frottages sont en fait des empreintes des corps humains, dessinés avec des pigments de couleurs vives. Les silhouettes, les jambes, les bras, les têtes qui apparaissent ainsi sont comme venues d’un autre monde. Elles reflètent les états d’âme de l’auteur, à la fois enfermée dans son monde intérieur et ouverte aux autres, états d’âme qui peuvent être fortement ressenti par le spectateur. Par ailleurs, dans sa monographie française, Adriena Šimotová a écrit :

« Une fois j’ai noté : ‘čím jsi osobnější, tím jsi obecnější’ - ‘Plus tu es toi, plus tu es tous’. »

Les travaux d’Adriena Šimotová sont exposés jusqu’au 25 avril 2011 au Musée Kampa et jusqu’au 19 juin à la Galerie Rudolfinum, à Prague, dans le cadre de l’exposition « Vyjevování » (Révélation).