Le charnier de Dobronín fait ressurgir le passé trouble des exactions anti-allemandes
Une croix qui avait été placée à l’endroit du charnier de Dobronín, dans la région de Vysočina, charnier contenant les restes de quinze Allemands assassinés en mai 1945, a été sciée mi-mars par un inconnu. Quelques jours auparavant, des inscriptions anti-allemandes avaient été trouvées sur le même lieu. Le chapitre des exactions anti-allemandes à la fin de la Deuxième Guerre mondiale est loin d’être refermé. Le cas de Dobronín bénéficie d’une couverture médiatique assez importante et cela ne plaît pas à tout le monde. Les représentants de la localité ont voté récemment en faveur du déplacement des restes des corps dans un cimetière du village.
Le journaliste et écrivain Miroslav Mareš, qui est à l’origine de cette enquête, a accordé un long entretien à la Télévision tchèque en août 2010, suite à la découverte du charnier. Il donne une explication du motif de la tuerie :
« Je peux offrir une explication au public qui m’a été donnée par la partie allemande. L’explication la plus fréquemment citée est celle d’une vengeance. Les paysans allemands employaient des palefreniers tchèques, et ils se comportaient avec eux d’une manière sévère. Ceux-ci auraient pu se venger à cause de ce comportement. Mais c’est une explication parmi d’autres, fournie par les Allemands. »
Il pourrait donc s’agir d’un motif mêlant d’une part les rapports difficiles qu’entretenaient les paysans et leurs employés et d’autre part la haine anti-allemande, à l’époque élevée dans une bonne partie de la population tchèque. Néanmoins, l’écrivain dément que les rapports dans l’enclave de Jihlava étaient plus tendus qu’ailleurs entre Tchèques et Allemands :« Les témoins de l’époque me disent que c’est le contraire. Il y avait des différences en 1938 entre l’enclave linguistique de Jihlava et les Sudètes. L’enclave était entourée par les populations tchèques et était relativement plus calme que dans les Sudètes. L’enclave de Jihlava, tout au long de la guerre, a fait partie du Protectorat de Bohême et de Moravie et non pas du Troisième Reich comme c’était le cas pour les Sudètes. »
La tuerie de Budínka s’inscrit dans le contexte des représailles anti-allemandes qui ont suivi l’effondrement du Troisième Reich. Elle intervient quelques jours après l’insurrection de Prague. Les Allemands des Sudètes, dont la plupart avaient soutenu l’instauration du Protectorat nazi, sont alors en proie à l’hostilité de la population tchèque. L’hostilité de celle-ci a été nourrie par les exactions de l’occupation nazie tout au long de la guerre. Les massacres commis dans les villages tchèques de Lidice et de Ležáky sont bien présents dans les mémoires. Lorsque les forces d’occupation commencent à se déliter, les civils allemands ne sont plus sous la protection réelle d’une autorité.
Le maire de Dobronín, Jiří Vlach (KSČM, parti communiste), a réagi pour Radio Prague aux derniers événements. Tout en qualifiant de « tragique » la tuerie de 1945, il pense que les derniers actes de vandalisme ne sont pas des actions dirigées mais ressemblent plutôt à une forme de provocation. Toujours selon lui, les habitants de Dobronín s’étaient accommodés de la croix plantée depuis plusieurs mois par le propriétaire du terrain. Jiří Vlach nous a également livré son analyse sur le fossé générationnel qui existe entre les habitants de Dobronín par rapport aux événements. Il dénonce également la surmédiatisation ainsi que l’attitude du journaliste Miroslav Mareš :
« Vous savez, les jeunes gens, à quelques exceptions près, sont assez indifférents à tout cela. Les générations plus anciennes sont plus sensibles, car pour certains cela fait partie de leurs propres souvenirs, tandis que d’autres connaissent les événements à travers ce que leur ont raconté leurs parents. Ce qu’il faut dire aussi, c’est que cet événement est inutilement surmédiatisé. Deux citoyens de la commune souhaitent tirer un profit politique de cet événement qui est malheureusement sans cesse remué par un certain journaliste. Tout cela aurait pu être réglé sans problème, mais, apparemment, ce n’est pas dans l’intérêt de ces gens-là. »
Les témoins de l’époque qui avaient au moins 20 ans à l’époque des faits commencent à se raréfier. Nous avons néanmoins recueilli le témoignage de Jaroslava Hodačová, 94 ans, dont la famille est originaire de la région de Dobronín. Elle n’était pas au courant de la tuerie qui a eu lieu le 19 mai 1945. Il semble que les témoins directs ou les gens ayant été au courant de l’exécution soient peu nombreux. Jaroslava Hodačová a toutefois pu nous décrire l’atmosphère de l’époque et elle se rappelle du jour où l’insurrection de Prague a éclaté :
« Le jour de l’insurrection je me rendais de Prague à Dobronín. Je me souviens, c’était un samedi. Sur le chemin j’ai pu voir les drapeaux aux fenêtres des maisons et bâtiments. Les trains se sont arrêtés et n’allaient pas plus loin, j’ai donc dû descendre à Kolín et j’ai repris à pied la direction de Prague. Deux hommes qui voulaient acheter de la nourriture à la campagne m’accompagnaient. Lorsque j’ai vu que deux soldats allemands passaient en voiture, je leur ai demandé s’ils pouvaient nous transporter jusqu’à Prague. Ils ont accepté bien volontiers. Il faut dire que l’insurrection avait éclaté dans un premier temps uniquement à Prague. »Cet épisode illustre que les relations entre soldats allemands et population tchèque n’étaient pas toujours d’une tension extrême. Les représailles collectives des Tchèques seront effectuées plus tard à travers les décrets Beneš. La tuerie de Budínka ressemble à un règlement de compte local qui s’est probablement passé à plusieurs endroits de la région sans qu’il s’agisse d’une entreprise organisée et systématique.
Ce sont justement des tensions au niveau local qui ont surgi récemment à Dobronín. L’exécutif devait décider du déplacement des corps vers un cimetière du village. Dans une atmosphère orageuse, le conseil municipal a débattu à propos de la pierre tombale. Quatre des conseillers souhaitaient que soient gravés sur la pierre les noms des Allemands tués à Dobronín mais également ceux du village voisin de Polná ainsi que d’autres endroits de la région. C’est finalement la solution minimale qui a été adoptée avec neuf voix qui souhaitaient restreindre la liste aux gens tués dans la prairie de Budínka.
Cet épisode ne se déroule donc pas dans la plus absolue des sérénités. Certains accusent le maire de vouloir faire le minimum pour rendre hommage aux victimes tandis que celui-ci accuse ces derniers d’exploiter politiquement cette affaire.
La tuerie de Budínka risque de faire parler d’elle, notamment si les actes de vandalisme se répètent. Il est aussi possible, comme l’a confirmé l’actualité de ces derniers jours, que de nouveaux charniers soient mis à jour. Pour l’instant, la classe politique tchèque n’a pas jugé nécessaire de s’exprimer sur ce passé peu glorieux, préférant laisser ce fardeau aux administrations locales. Le pays a subi les horreurs de l’occupation allemande et la population allemande des Sudètes, dans sa grande majorité, a, elle, fait le mauvais choix de soutenir Hitler. Cela justifie-t-il néanmoins les exactions commises à l’égard de civils innocents ? Ce serait à l’honneur de l’Etat tchèque de reconnaître que ce passé fait partie d’une page sombre de l’histoire de la Nation.