Zuzana Štromerová, profession : sage-femme
En janvier 2011 a commencé, à Prague, le premier procès tchèque suite à une naissance à domicile qui a mal tourné. Cet événement a relancé la polémique entre les partisans et les adversaires de l’accouchement en milieu familial. Ce dernier est pratiqué en République tchèque, avec beaucoup de difficultés, depuis une dizaine d’années. Pour y voir un peu plus clair sur ce phénomène qui suscite tant de réactions controversées, nous avons rencontré Zuzana Štromerová, une sage-femme libérale qui milite, sans succès, pour la mise en place de structures intermédiaires, des maisons de naissance attenantes aux hôpitaux. Portrait…
« Dans mon cas, c’était une préférence pour une atmosphère d’intimité qui est liée, dans mon imagination, à l’accouchement. A l’hôpital, il y a du monde, il faut se déplacer… Quand la sage-femme est venue et m’a demandée si je voulais aller à l’hôpital, j’ai refusé. Même après, il me serait difficile d’interrompre le procès pour aller à l’hôpital, pour passer toute la procédure d’accueil. Comme ça, tout a été naturel. »
Avez-vous facilement trouvé votre sage-femme ?
« Depuis mon premier accouchement qui a finalement eu lieu à l’hôpital, j’essaye de m’orienter dans ce domaine. Mais vous avez raison, ce n’était pas tout à fait évident. Pour le premier accouchement, j’ai trouvé une sage-femme que je voulais et pour le deuxième, à domicile, j’ai trouvé une autre personne. Il faut dire qu’elle m’a un peu poussée à m’enregistrer dans un hôpital au cas où des complications se produiraient. »
Jeune fille, Zuzana Štromerová a échoué deux fois au concours d’entrée en médecine. Elle a alors opté pour une école de sages-femmes et a exercé ce métier, depuis 1981, dans une grande maternité pragoise. 1993 représente un tournant dans sa vie professionnelle : elle effectue un stage de trois semaines dans une maternité de Göteborg, en Suède. Une expérience qui lui a « ouvert les yeux » : là-bas, la conception même de l’accouchement, ainsi que l’attitude du personnel hospitalier à l’égard des femmes enceintes lui apparaissent tout à fait différents du système en République tchèque. Riche de cette première expérience d’une pratique plus intime, plus humaine et plus naturelle de l’accouchement, Zuzana Štromerová effectue, dans les années 1990, de nombreux voyages en Europe de l’Ouest, notamment en Allemagne, au Danemark, aux Pays-Bas, en Italie ou en Suisse, voyages qui lui permettent d’évoluer à tel point dans sa profession qu’elle fonde, en 1998, un Centre dit « de l’accouchement actif » auprès de l’Hôpital universitaire Na Bulovce, dans le VIIIe arrondissement de Prague. Ce Centre est une première structure alternative dans le pays, associant confort, intimité, approche individuelle et sécurité. Zuzana Štromerová raconte les débuts de ce Centre pionnier :
« En 1996, lorsque j’étais encore sage-femme à la maternité, une maman, enceinte de son troisième enfant, est venue me voir, en me disant qu’elle ne voulait plus accoucher à l’hôpital. Mais moi, à l’époque, j’en savais encore très peu sur les accouchements à domicile, je n’étais même pas sûre que l’on puisse le faire ici, en République tchèque. Cette maman avait l’idée d’accoucher dans une sorte de maison de naissance : elle s’imaginait une seule pièce dans un hôpital qu’elle était d’ailleurs prête à équiper, en tant que sponsor. Avec cette idée, elle s’est adressée à plusieurs hôpitaux tchèques, mais partout, elle s’est heurtée à des refus. Moi, à l’époque, j’ai décidé de quitter la maternité où je travaillais, alors j’ai eu le temps de me consacrer à ce projet. Je ne sais plus pourquoi, mais nous nous sommes finalement retrouvées à l’Hôpital Na Bulovce, où le chef du service gynécologie-obstétrique était partant. Il a dit : ‘pourquoi pas, Bulovka est la première clinique à avoir autorisé la présence du père à l’accouchement, donc nous aurons encore une nouveauté.’ »Les négociations avec la direction de la clinique sont longues et difficiles et, finalement, le Centre de l’accouchement actif n’ouvre ses portes que deux ans plus tard, en 1998. Zuzana Štromerová :
« Evidemment, cela ne concernait plus la maman qui avait été à l’origine de ce projet – elle a accouché toute seule, chez elle. Après son ouverture, le centre est devenu assez recherché par les femmes enceintes. Nous étions une équipe de cinq sages-femmes, dont Ivana Königsmarková, cette sage-femme qui est actuellement poursuivie en justice. Nous avons, pas à pas, appliqué ce que nous avions appris de la part de nos collègues à l’étranger et dans des conférences. Nous avons aussi essayé de modifier le comportement des médecins : on leur demandait de frapper à la porte avant d’entrer, de dire bonjour, de parler bas, de ne pas entrer toutes les cinq minutes pour examiner la femme. Autant de choses qui paraissent automatiques, mais qui ne le sont pas encore aujourd’hui. Finalement, les médecins l’ont accepté et je dois dire que nous avons plutôt bien collaboré. Ils ont vu que presque tous les accouchements chez nous ont été physiologiques, qu’ils ne devaient pas craindre de complications. »
Le Centre de l’accouchement actif n’est resté ouvert que deux ans. D’après Zuzana Štromerová, il a fermé suite aux difficultés d’organisation du travail notamment. Depuis, les sages-femmes tchèques travaillent chacune à leur compte et sans aucun appui de la part de l’Etat. Zuzana Štromerová, elle-même, donne des cours de formation aux sages-femmes, ainsi que des cours de préparation aux futurs parents, elle publie des livres et ne cesse de travailler sur le projet d’une maison de naissance « U čápa », « A la cigogne ». Pour l’instant, sans succès.
« L’Etat tchèque se comporte comme si les femmes n’étaient pas intéressées par cette pratique, comme si les accouchements à domicile n’avaient pas lieu. Les autorités ignorent que le système actuel leur coûte beaucoup d’argent, car les hôpitaux traitent de la même manière les grossesses physiologiques et celles ‘à risque’. De plus, la politique de l’Etat est tout aussi risquée, car les couples, surtout ceux qui habitent en province ne trouvent souvent pas de sage-femme dans leur région et font appel à une ‘doula’, une éducatrice pour la naissance. Certains ne font même pas la différence entre une ‘doula’ et une sage-femme, ce qui est alarmant. Puis, il y a des couples qui restent tous seuls, sans aucune assistance pendant l’accouchement. Voilà le résultat du flou législatif autour des accouchements à domicile. Dans ce contexte, les autorités interdisent aux sages-femmes libérales d’exercer leur métier, en affirmant qu’elles représentent un danger public. C’est absurde. »
En République tchèque, où le taux de mortalité infantile est l’un des plus faibles au monde, les médecins sont unanimes : ils mettent en garde contre les risques encourus lors d’accouchements en dehors du milieu hospitalier. L’accouchement à domicile n’est certainement pas recommandé à toutes les femmes, surtout pas à celles qui présentent des problèmes pendant la grossesse. Or, Zuzana Štromerová estime que la médecine crée des problèmes là, où il n’y en a pas : par exemple la surmédicalisation lors de l’accouchement provoque automatiquement des complications.La sage-femme Ivana Königsmarková est actuellement poursuivie en justice à la suite d’un accouchement à domicile qui s’est fini tragiquement : le bébé a survécu, mais il est handicapé. Elle risque une peine allant de 6 mois à 4 ans de prison. Zuzana Štromerová qui assiste à une trentaine d’accouchements à domicile par an, avoue avoir été confrontée à deux reprises à des complications graves : dans les deux cas, un transport urgent à l’hôpital a eu lieu. Il n’empêche que pour Zuzana Štromerová, être sage-femme est une expérience belle et unique :
« Chaque accouchement vous apprend des choses nouvelles. Chaque accouchement est très enrichissant. C’est un travail tellement varié ! Je crois que je continuerai, même dans ces conditions qui se dégradent. »En comparaison avec la situation dans les années 1990, l’ambiance dans les maternités tchèques, ainsi que l’approche du personnel se sont sans doute améliorées. A titre d’exemple, les femmes enceintes peuvent formuler leurs souhaits et suggestions dans un « plan d’accouchement » qu’elles remettent ensuite à leur médecin dans la maternité. Dernière nouvelle en date qui témoigne de l’évolution des esprits dans ce domaine : l’Hôpital universitaire de Brno autorise désormais des « accouchements ambulatoires », suivis donc d’un retour rapide de la mère et du bébé à domicile.