Olga Havlová dans l’unique rôle de sa vie
Les Tchèques, qu’ils la connaissaient ou non, ont pris l’habitude de l’appeler Madame Olga, Paní Olga. La première épouse de l’ancien président Václav Havel est décédée il y a quinze ans, le 27 janvier 1996, à l’âge de 62 ans. Elle restera gravée dans la mémoire des gens comme une dame à la belle chevelure blanche et bouclée, mince, élégante, habillée de noir et étant presque toujours aux côtés de son mari. Portrait.
« Je suis originaire de Žižkov, ma mère et mon père étaient ouvriers. Quand j’ai eu six ans, ma mère a divorcé de mon père et elle nous a élevés toute seule. J’ai un frère et une sœur. J’ai presque grandi dans la rue, j’étais sauvage et non obéissante. Je n’acceptais aucune autorité. Je lisais les livres que je voulais, j’allais voir des films interdits aux enfants. En même temps, j’ai dû m’occuper des enfants de ma sœur de onze ans mon aînée. Ils étaient cinq et moi, dès l’âge de dix ans, je savais les laver, les faire manger, leur changer les couches, les distraire. D’un côté la liberté absolue, de l’autre côté une grande responsabilité. Nous sommes une grande famille, c’est bien d’avoir une grande famille. Ma famille et les Havel, nous sommes très unis. »
C’est ainsi qu’Olga Havlová évoquait son enfance pragoise dans une interview qu’elle a accordée à l’écrivaine Eva Kantůrková, en 1979, au café Slavia, alors que Václav Havel se trouvait en prison. Un des rares entretiens d’Olga qui n’aimait pas parler d’elle-même, être au centre de l’attention.
Le curriculum vitae d’Olga Havlová, née Šplíchalová, est suffisamment connu : une fille issue d’un milieu populaire, ouvrier, elle-même ouvrière et autodidacte dans plusieurs domaines, fait connaissance, au fameux café Slavia de Prague, d’un jeune homme brillant, doué pour la littérature, qui a baigné dans une ambiance familiale totalement différente, intellectuelle et bourgeoise. Amoureux pendant huit ans, ils se marient et vivent, côte à côte, des péripéties incroyables, d’abord comme opposants au régime totalitaire, ensuite comme couple présidentiel.
L’écrivain et journaliste Pavel Kosatík rappelle, dans sa remarquable biographie d’Olga Havlová, parue en 1997 aux éditions Mladá fronta, ce qu’Olga constatait elle-même : c’est elle en réalité qui a donné le goût du théâtre à Václav Havel, intéressé au début davantage par la philosophie et la poésie. La mère d’Olga était une passionnée de théâtre, d’opéra et d’opérette. Olga, elle-même, faisait du théâtre amateur et prenait même de cours privés de théâtre, sans pour autant envisager une carrière de comédienne. Pavel Kosatík écrit :
« L’exhibition, qui maintient la plupart des comédiens sur scène, n’était pas du tout dans sa nature. Dans sa vie, elle se refusait à accepter des rôles. L’unique rôle de sa vie, c’était ‘d’être Olga’. Un tel caractère ne prédispose vraiment pas au métier d’acteur. Ce dernier a pu l’intéresser lorsqu’il l’amusait, la distrayait. Mais quand cela nécessitait de s’appliquer plus sérieusement, Olga a changé de voie. »
Le dramaturge Josef Topol, les écrivains et poètes Josef Hiršal, Jan Zábrana, Jan Vladislav, Viola Fischerová… Ils font tous partie du fameux cercle littéraire qui s’est formé, dans les années 1950, autour de Václav Havel et dont Olga faisait désormais partie. Dans les années soixante, lorsqu’elle travaille comme ouvreuse au théâtre Divadlo Na zábradlí, ce même petit théâtre pragois pour lequel Havel écrira ses pièces à succès, d’autres personnalités culturelles élargissent ce cercle d’amis, notamment le metteur en scène Jan Grossman, le scénographe et plasticien Libor Fára et sa femme Anna Fárová, historienne de la photographie aux origines franco-tchèques qui fera découvrir au public local, entre autres, Henri Cartier-Bresson. Cet univers fascinant, inspirant et excitant, univers de la culture dans le sens le plus large du terme, où l’art non-officiel occupait une place importante, cet univers inconnu auparavant était désormais grand ouvert à Olga – et elle a su pleinement en profiter. Selon Pavel Kosatík, le fait de rejoindre Václav Havel, comme compagnon de vie et artiste, le fait de passer d’une couche sociale à une autre, ce changement a été peut-être plus radical pour Olga que le passage de la dissidence au Château de Prague en 1989. Dans une interview réalisée en décembre 1989 par l’écrivain canadien Paul Wilson, Olga Havlová se souvient :
« L’ambiance au théâtre était magnifique. Les femmes des dramaturges venaient souvent, beaucoup de gens assistaient aux répétitions. Je n’étais pas comme ces ouvreuses que l’on voit dans certains films occidentaux où les spectateurs leur donnent un pourboire et les ignorent ensuite. Non, au Théâtre Na zábradlí, c’était tout autre chose, il y avait un esprit d’amitié. »
Réservée, silencieuse, un peu distante… Telle était, paraît-il, Olga Havlová, au tout début, au sein de la ‘bande à Havel’. Complexée, comme on pourrait le croire ? Pas du tout. Très vite, les écrivains, plasticiens, musiciens, hommes et femmes de théâtre reconnaîtront en elle une fine observatrice, intelligente, capable de jugements sincères et précis, souvent teintés d’humour et ironie, qu’ils seront toujours curieux d’entendre.
Olga Havlová occupera cette même place dans les années 1970-80, au sein du milieu dissident. Toujours terre-à-terre, pratique, réaliste, agissant sans sentimentalisme ni nostalgie, elle s’est, au fil du temps, également impliquée dans le mouvement d’opposition comme son mari. Ne serait-ce que par sa manière d’accueillir les gens dans leur maison de campagne à Hrádeček, lieu de repos, de travail, de concerts, de spectacles, de vacances pour les enfants des dissidents emprisonnés. Par sa manière aussi de soutenir, quoiqu’il arrive, Václav Havel, d’être toujours à ses côtés, de le remplacer en quelque sorte lors de ses incarcérations, d’apporter, comme a dit l’ex-président lui-même dans Interrogatoire à distance, «… une correction sobre à ses idées cinglées, un soutien privé à ses aventures publiques ». Dans les années 1980, Olga Havlová s’est encore plus engagée, et de manière indépendante, dans les activités d’opposition : une revue sur le théâtre et une sorte de journal télévisé tourné en vidéo ont été lancés à son initiative et diffusés en samizdat.
Reste à savoir où est-ce qu’une personne que tout le monde suppose forte, résistante, plus forte même que les autres, où va-t-elle puiser cette force ? Les amis d’Olga Havlová racontent qu’elle aimait marcher des heures et des heures, en compagnie de ses chiens, qu’elle adorait chercher des champignons, tricoter, entretenir et embellir la maison de Hrádeček. Quand le stress devenait insupportable, elle se mettait à faire le ménage. Avant comme après la révolution de velours, être utile lui apportait beaucoup de satisfaction. Devenue Première dame de l’ex-Tchécoslovaquie, Olga Havlová a fondé le Comité de bonne volonté, une première organisation caritative dans le pays qui avait pour but d’apporter un soutien aux personnes souffrant d’un handicap physique ou mental, aux personnes discriminées, âgées, vivant dans la solitude, dans la détresse… Evidemment, elle allait elle-même à la rencontre de ces gens. On écoute Milena Černá, directrice du Comité :
« Olga était une libre penseuse, dans le comportement d’Olga, il n’y avait rien d’artificiel, de conventionnel. Un jour, on lui a demandé si côtoyer des personnes âgées, malades ou handicapées ne la gênait pas. Elle a répondu : pas du tout. Ce qui me gêne, c’est de côtoyer des gens qui ont mauvais caractère. »
« J’ai fait la connaissance d’Olga en 1966, à l’occasion de la première de la pièce de Václav Havel Vyrozumění, Le Rapport dont vous êtes l’objet, au Théâtre Na zábradlí. Depuis, nous nous étions vues assez fréquemment. Je n’habitais pas loin de chez elle, alors nous promenions nos chiens ensemble, par exemple. Nous parlions d’un tas de choses qui nous intéressait. Olga aimait les vieux films tchèques, elle lisait beaucoup. A l’époque de la perestroïka, nous lisions toutes les deux, avec enthousiasme, les œuvres de la nouvelle vague littéraire russe. Evidemment, dans le milieu dissident, nous ne pouvions pas trop en parler… »
On en revient à l’interview où Olga Havlová parlait de son enfance et où elle a résumé, inconsciemment, sa vie : d’un côté la liberté absolue, de l’autre côté une grande responsabilité. Responsabilité qui se manifeste, tout simplement, par le fait de faire de bonnes choses et de les faire bien. Olga Havlová est décédée il y a quinze ans. Et comme de nombreux Tchèques continuent d’appeler Václav Havel « Monsieur le Président », Olga Havlová demeure pour eux « La Première dame ».