Première dame : « En Tchéquie nous avons besoin d’une figure comme celle de Michelle Obama »
Eva Pavlová est devenue nouvelle Première dame tchèque. L’occasion de revenir, avec l’historienne Marie Koval, sur cette fonction particulière et sur les femmes qui l’ont incarnée en Tchéquie.
Marie Koval est historienne spécialiste de la question du genre et travaille pour l’organisation à but non lucratif « Gender Studies » à Prague. Pour Radio Prague Int., elle explique ce qu’implique le rôle d’une Première dame en Tchéquie.
« En République tchèque, le rôle de la Première dame n’est pas clairement défini. Il n’existe pas de définition officielle et il s’agit essentiellement d’un rôle symbolique, celui de compagne du président. On attend habituellement d’elle qu’elle participe à des activités de bienfaisance ou accompagne son mari lors d’événements publics pour représenter son pays. »
« Lors de cette campagne présidentielle, et pour la première fois dans l’histoire tchèque, la candidature de Danuše Nerudová a fait surgir l’éventualité d’une présidente à la tête du pays. Cela aurait signifié que son mari, Robert Neruda, aurait porté le titre de ‘Premier homme’. Mais aurait-il fait l’objet de commentaires et de critiques comme l’ont été les Premières dames avant lui ou l’aurait-on traité différemment simplement parce qu’il est un homme ? En Tchéquie, les Premières dames, ou plus généralement les femmes politiques, sont souvent scrutées par les médias et sont commentées sur les réseaux sociaux quant à leur apparence, leurs vêtements, leur maquillage et même leur âge. Malheureusement, elles sont associées à beaucoup de stéréotypes sexistes. »
Comment ces femmes sont-elles perçues par l’opinion publique tchèque ?
« Il faut, bien sûr, mentionner la Première dame Charlotte Garrigue Masaryk (1850-1923), épouse du premier président tchécoslovaque Tomáš Garrigue Masaryk et, à l’époque, très populaire au sein de la population tchèque. Elle était féministe et croyait en une politique sociale-démocrate. Selon elle, ce que l’on appelait alors la ‘question des femmes’ faisait partie, plus largement, de la question sociale. Avec son mari et leur fille, Alice, elle a contribué de manière significative à l’obtention du droit de vote pour les femmes. En 1920, la Tchécoslovaquie était ainsi un des premiers pays au monde où les femmes pouvaient voter. »
« Plus tard, dans les années 1990, Olga Havlová, mariée au premier président tchèque Václav Havel, avait une personnalité extraordinaire. Elle était très instruite, attentionnée et populaire parmi les Tchèques. Militante, elle a, notamment, été l’une des signataires de la Charte 77. Olga Havlová a également consacré beaucoup de son temps à des activités caritatives, à la culture, au théâtre et à la littérature. Avec son mari, Václav Havel, ils formaient un couple de combattants pour la liberté et la démocratie. En tant qu’historienne, je considère que l’Histoire est une véritable source d’inspiration et, malheureusement, beaucoup de femmes intéressantes, des fortes personnalités et des politiciennes ont été oubliées. »
« Il y a également eu Dagmar Havlová, la deuxième épouse de Vaclav Havel. Elle aussi était très populaire, sûrement du fait qu’elle était actrice, mais elle était aussi connue pour son travail caritatif et son soutien à la culture. Mais en ce qui concerne les deux dernières Premières dames, ni Livia Klausová ni Ivana Zemanova, qui étaient toutes deux économistes, n’apparaissaient beaucoup en public et n’étaient pas très actives. Elles n’ont donc pas bénéficié d’une grande popularité parmi les Tchèques. »
Comment le rôle a-t-il évolué au fil du temps ?
« Au départ, la fonction consistait surtout à lutter pour la liberté et à créer des fonds sociaux. Des personnalités fortes étaient donc nécessaires et Charlotte Masaryk en est un parfait exemple. Plus tard, durant les années communistes, le rôle est devenu beaucoup plus effacé et dans la retenue. Je pense que les Tchèques s’identifient plus aux Premières dames de la période survenue après la chute du communisme en 1989. En effet, Olga Havlová et Dagmar Havlová étaient très populaires. Néanmoins, au cours des dernières années, l’investissement des Premières dames pour la société s’est à nouveau affaibli, nous verrons donc comment la fonction évoluera à l’avenir. Bien entendu, leur popularité se calque sur celle de leurs maris. Tout au long de l’histoire tchèque, si le président était apprécié par la population, alors sa femme était bien perçue également. »
Eva Pavlová, la femme du président tchèque récemment élu, Petr Pavel, a déclaré qu’elle souhaitait jouer un rôle plus actif que l’ancienne première dame Ivana Zemanová, la femme de Miloš Zeman. Elle souhaite notamment se concentrer sur des questions telles que le rôle des femmes dans la société tchèque. Pensez-vous qu’elle puisse réellement avoir un impact ?
« Personne ne connaît véritablement ses activités passées, je suis donc moi-même curieuse, mais nous verrons à l’avenir la manière dont elle s’impliquera dans le service public, quel genre d’opinions ou d’activités concrètes elle souhaitera mettre en avant. En revanche, ce qui la différencie des autres Premières dames, est son implication dans l’armée. Eva Pavlová est une ancienne lieutenant-colonel et a quitté l’armée tchèque il y a seulement quelques années, en 2018. Puis, elle a commencé à travailler comme assistante dans un centre de médiation familiale. Son passé de femme militaire la différencie énormément des épouses précédentes. »
Pensez-vous que, plus généralement, les Premières dames en République tchèque ont eu un impact sur la perception de la société tchèque des femmes ?
« Je suis certaine qu’il existe un potentiel qui pourrait être utilisé davantage. Des femmes politiques fortes servant de modèle aux autres femmes seraient les bienvenues en République tchèque. Il nous faut voir davantage de femmes occuper des postes de pouvoir dans le pays, qui seraient capables de communiquer clairement, d’articuler différents sujets avec divers groupes sociaux et qui puissent questionner les normes traditionnelles de genre, œuvrer pour une société plus égalitaire et plus inclusive. »
L’intérêt pour la fonction de Première dame (ou ‘First Lady’) est principalement dirigé vers les femmes des présidents américains. Comment l’expliquez-vous et les Premières dames en Europe méritent-elles plus d’attention ?
« Le rôle de la ‘First Lady’ aux États-Unis est très différent de celui en Europe et plus particulièrement, de celui en République tchèque. Je pense que cela s’explique simplement par le fait que les niveaux d’impact, de responsabilités et de possibilités divergent grandement. Et en Tchéquie, le président est avant tout une figure représentative qui dispose d’un nombre limité de pouvoirs. »
« Je pense que nous aurions besoin de figures comme celles de Michelle Obama ou d’Alexandra Ocasio-Cortez, ou encore de Zuzana Čaputová en Slovaquie. Michelle Obama, notamment, a inspiré beaucoup de personnes dans le monde et je souhaite que quelqu’un en Tchéquie soutienne de manière inconditionnelle les femmes et les filles comme elle l’a fait. J’aimerais conclure avec une phrase qu’elle a prononcée : ‘Toute société se mesure à la manière dont elle traite ses femmes et ses filles’. »