Vol de velours no 89
Le 17 novembre 1989, commencèrent les manifestations qui allaient sonner le glas pour le régime communiste. Deux cinéastes ont choisi de traiter cet événement fondateur de manière satirique...
Seul hic : Martin Šmíd n’a jamais existé, comme l’a avoué celle qui avait annoncé sa mort, une certaine Drahomíra Dražska.
Paradoxalement, c’est ce personnage mythique, Martin Šmíd, qui occupe le rôle principal du film Sametový let č.89 (Vol de Velours numéro 89), réalisé par Pjeer Van Eck et produit par Martin Procházka. La première est prévue avant fin 2011. Dans le film, Martin Šmíd, grâce à son métier de plombier dans l’entreprise d’Etat OPBH, a accès aux espaces les plus étroitement surveillés des cabinets communistes, comme aux sous-sols de la Charte 77 !Vous l’avez peut-être compris, Sametový let č.89 est une parodie des événements de 1989. Ce tableau satirique et presque fantaisiste apportera-il un éclairage nouveau sur un événement, encore proche et dont on célébre chaque année la mémoire ? Pour les auteurs du film, la production cinématographique tchèque a négligé et ignoré la Révolution de Velours depuis vingt ans.
Pour y remédier, ils mettent en scène, outre le mythique Martin Šmíd, tous les protagonistes de l’époque (de Karel Gott à Gustáv Husák en passant par Havel) et ont employé des sosies pour les jouer.Mais c’est bien un Martin Šmíd, mi-amusant, mi-inquiétant, qui canalise l’attention du film. Désabusé, on le voit, fantôme d’un fantôme, arpenter Národní třída après 1989 et se plaindre de l’indifférence et de l’ignorance des badauds pour les événements qui s’y sont passés.
Peut-être faut-il prendre le film au second degré ? Car, pour mémoire, l’année dernière, les commémorations des vingt ans de la Révolution de Velours avaient mobilisé de nombreux Pragois. Extraits lors du cortège du 17 novembre :
« Dans cette maison, au quatrième étage, vivaient Václav et Olga Havel. Lors du passage des manifestants le 17 novembre 1989, Olga Havlová a salué de la main le cortège. En face, de l’autre côté de la rue, se tenait souvent un véhicule de la Sécurité intérieure, qui surveillait tous les mouvements du couple et tout d’abord qui et pourquoi se rendait en visite chez eux. Olga Havlová n’est pas seulement devenue la première dame. Elle était un membre très actif de la dissidence. Après novembre 1989, elle fut tout aussi active dans ses actions caritatives, dont le Comité de la Bonne Volonté ainsi que dans sa propre fondation. Afin de rendre hommage à votre apport à la démocratie et à la défense des droits de l’homme, madame Havlová, nous vous remercions ! ».Mais le film Sametový let č.89 dépasse aussi parfois les cadres de la Révolution de Velours. Et de rappeler aux spectateurs tchèques certains aspects cocasses de la période de normalisation. Ainsi, la scène du détournement d’avion, tirée de la série Třicet případů majora Zemana (les Trente Affaires du Major Zeman). Ce feuilleton-série télévisé fut tourné dans les années 1970 et servait la propagande politique du régime.
Dans un épisode de 1972 (Mimikry), un groupe d’une dizaine de jeunes gens prend en otage l’avion L-410 sur la ligne Mariánské Lázně–Praha–Bratislava–Lučenec. Leur but : passer à l’Ouest.Le propos des autorités était de dénoncer la culture rock, et plus particulièrement un agitateur aussi dérangeant que Ivan Martin Jirous et le groupe des Plastic People of the Universe.
Sauf que, dans le film, l’auteur du rapt, c’est, devinez qui, Martin Šmíd et son groupe de Big Beat „Telefon“. Ce faisant, les auteurs rappellent ce qu’était la normalisation de la société tchécoslovaque : une stratégie visant à endormir toute velléité de libéralisation par la consommation de masse… quitte à se servir de celle-ci à des fins de propagande.
Mais le questionnement n’est-il pas autre ? En axant leur film sur un personnage n’ayant jamais existé pour aborder la Révolution de Velours, en prolongeant le thème du personnage imaginaire après 1989, Pjeer Van Eck et Martin Procházka n’abordent-ils pas le thème de la manipulation ?Ce concept dépasse d’ailleurs le cadre du régime communiste. Dissident notoire, Ludvík Vaculík, dans les années 1990, comparait, non sans une pointe de provocation, les masses manipulées par le régime et la fascination collective pour la consommation de masse après 1989.