Ruth Zylberman et son documentaire sur les « conspirateurs de la liberté » (2e partie)
Deuxième partie de l’entretien avec la réalisatrice française Ruth Zylberman qui a présenté, cette semaine, à l’Institut français de Prague, son documentaire intitulé « Dissidents. Les artisans de la liberté ». Le film évoque, à travers des images d’époque et des témoignages recueillis vingt ans après la chute du mur de Berlin, le mouvement d’opposition contre le régime communiste dans trois pays : en Tchécoslovaquie, en Pologne et en Hongrie. Anna Šabatová, Petr Uhl, Karol Modzelewski, Miklos Haraszti, Laszlo Rajk ainsi que des personnes moins connues, voire inconnues figurent dans le film de Ruth Zylberman. La dernière fois, nous avions parlé de la circulation clandestine de la pensée qui unissait « souterrainement » la Tchécoslovaquie, la Pologne et la Hongrie communistes et que Ruth Zylberman a tenté de restituer dans son film. Cette fois-ci, nous nous intéresserons au tournage même du film…
« Non ! (rires) J’ai vraiment tout tenté avec Adam Michnik. Je l’ai rencontré longuement à Varsovie pour tenté de le convaincre. Je voulais vraiment qu’il figure dans le film. Il s’y refusait par principe. Il refuse d’apparaître à la télévision, d’être son propre biographe, ce qui est une position que je respecte. Quant à Václav Havel, je crois qu’il n’était pas disponible au moment du tournage. Au fond, cela ne m’a pas tant dérangé que ça. J’aurais eu peur qu’ils éclipsent, finalement, le reste des personnes qui étaient là. Par ailleurs, je crois qu’il y a un certain nombre d’archives qui parviennent à évoquer de façon suffisamment forte leur présence. Ils sont dans le film, sans y être de façon traditionnelle. »
L’ambiance du tournage, a-t-elle changé d’un pays à l’autre ?
« C’était différent, parce que moi, j’étais différente. Je connaissais mieux Prague, j’étais déjà venue. Je connaissais bien la République tchèque, alors je m’attendais plus à un certain nombre de choses. La Pologne, je n’y étais jamais allée avant. C’est vrai que les rencontres avec les Polonais étaient pour moi très fortes, très émotionnelles. Il y a aussi des caractères nationaux… J’ai eu l’impression qu’en Pologne, les choses étaient un peu plus vivantes, alors qu’à Prague, il y avait plus de calme dans l’évocation de l’histoire. Est-ce lié au fait que, malgré tout, en Pologne, le mouvement de la dissidence a été ensuite relayé par un mouvement beaucoup plus populaire, incarné par Solidarnosc…Par exemple, la première fois que je suis arrivé en Pologne pour des repérages, c’était le jour de l’enterrement de Bronislaw Geremek, qui venait de mourir dans un accident de voiture. J’ai rencontré à cette occasion une ou deux personnes qui interviennent dans le film. Il y avait quelque chose d’à vif, d’extrêmement émotionnel. Tandis qu’en République tchèque, c’est peut-être plus relégué dans les couloirs du passé. »Avez-vous eu un accès facile aux archives ?
« Ce n’était pas difficile, c’était surtout une grosse masse de travail. C’étaient des archives qui sont pour la plupart connues dans chacun des pays. Ce qui fait peut-être le mérite de ce film, c’est le fait de mettre en écho ses archives, de montrer que la police politique en Pologne faisait les mêmes films que la police politique en Tchécoslovaquie. Les deux principales sources que j’avais, c’était les archives de la police et les archives des télévisions occidentales, comme cette fameuse archive de Václav Havel interviewé à Hrádeček, avec la maison des flics juste à côté et qui a été tournée par la BBC. Avec ces deux types de sources, c’était un travail de masse. »