François Papineau : «On a perdu les rites du deuil et l’art vient nous rappeler leur importance»
Parmi les films en compétition à la 45e édition du Festival du film de Karlovy Vary, Trois temps après la mort d’Anna, un film québécois de Catherine Martin. Celui-ci n’a pas remporté de prix, décerné au film espagnol La Mosquitera, mais la présence, trop rare, d’un film québécois sur grand écran, a été l’occasion de rencontrer l’équipe de ce long-métrage. Film méditatif, il met en scène Françoise, jouée par Guylaine Tremblay, qui vient de perdre sa fille violoniste, retrouvée assassinée chez elle. Elle part s’isoler dans le nord du pays, dans une région hostile en plein hiver. C’est là que peut commencer le deuil. Et c’est là que revient à elle le passé, par les souvenirs de sa grand-mère, de sa mère, et les retrouvailles avec Edouard, joué par François Papineau, qui nous présente son personnage.
Ce n’est pas qu’un ami, pour le coup, puisqu’il lui dit quand même qu’elle est la femme qu’il a toujours aimée...
« On le sent subtilement, mais ça devient une révélation choc pour lui. C’est la seule femme qu’il a jamais aimée qui revient par hasard dans son environnement et elle va bouleverser sa vie aussi. »
Ce sont les retrouvailles entre une personne qui cherche l’isolement, Françoise, qui fuit la ville, pas les souvenirs puisque ceux-ci reviennent, mais l’environnement où sa fille vient de mourir, et un homme qui s’est isolé aussi puisqu’il dit que ça fait deux ans qu’il vit seul sur ces terres solitaires...
« C’est un homme en panne d’inspiration et une femme en grande peine d’amour qui cherchent tous deux l’isolement. Finalement dans leur isolement, ils finissent par rencontrer la seule personne qui pouvait les sortir de celui-ci. Il y a une espèce de hasard formidable de la vie. Ce sont deux personnes qui voulaient se retrouver chacun pour soi. Edouard a un problème d’inspiration, comme si la démarche artistique adoptée il y a longtemps ne fonctionnait plus. C’est un peintre qui a beaucoup travaillé, eu beaucoup de succès, mais peut-être que ce succès l’a vidé de son impression de profondeur. Cet isolement lui sert à se retrouver face à lui-même et face à son art. Je ne pense pas qu’autre chose que la présence de Françoise l’aurait sorti de cet isolement-là. »Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce personnage ou dans le scénario de Catherine Martin ?
« Le scénario m’a semblé subtil et important. Je remarque en voyant d’autres films et les thèmes dont ils traitent, comment la mort, le deuil, la souffrance liés à la disparition d’une personne. C’est un sujet qui revient beaucoup ces derniers temps, même si c’est une partie de notre existence qui est assez occultée dans la société : on n’a pas vraiment de rites de deuil, de passage... »Alors qu’il y avait de tels rites autrefois...
« Oui, il y en avait autrefois, donc l’art avait moins à palier à cela. C’est une grande lacune de nos sociétés modernes : on est trop écervelés ou trop happés par la consommation qu’on en oublie l’essentiel. Ce sont des artistes, comme Catherine ou d’autres, qui vont nous rappeler l’importance de ces rites de passage. J’ai participé à trois films cette année et les trois films traitaient de ce thème-là. C’est un sujet qu’on évite trop souvent et qu’on doit mettre dans l’art pour nous permettre de comprendre. J’ai l’impression que ce film, comme d’autres, peut aider inconsciemment des personnes qui sont aux prises avec de grandes souffrances personnelles qui n’ont pas forcément d’exemple à suivre. Ce film en est un, il ne correspondra pas nécessairement à la vie de quelqu’un mais va donner un exemple de comment la vie nous aide à sortir des impasses qui semblent être des condamnations. »Dans ce film, il y a un personnage à part entière : les paysages magnifiques où le film a été tourné. C’est un endroit isolé, un environnement très dur puisqu’en plus c’est en hiver. Est-ce que vous pensez que se réfugier dans la nature est une solution pour faire un deuil ?« C’est une solution. J’ai l’impression que les solutions sont multiples, ce que montre le film. Il n’y a pas de solution unique pour tous. Dans les autres films que j’ai tournés sur le sujet, ce sont des solutions complètement opposées mais qui correspondent à des parcours individuels. C’est un exemple parmi des milliers d’autres mais qui montre qu’on guérit... L’environnement hostile a, il est vrai, beaucoup aidé à la symbolique du film. L’environnement est hostile à cause de l’hiver, du froid, mais en même temps magnifique, mais ces paysages qui renaissent au printemps sont une métaphore de la renaissance humaine après une longue souffrance. »
Le film est présenté en compétition officielle de Karlovy Vary, c’est important ce type de festivals ?« Oui, ce festival comme d’autres encore. J’espère qu’il sera aussi sélectionné ailleurs. C’est un moyen formidable pour faire la promotion internationale de films qui sinon resteraient à la maison. C’est sûr que c’est important pour tous les films. »
C’est vrai qu’en Europe, on a parfois l’impression que le cinéma québécois, francophone, est un peu négligé. Si on excepte le succès des Invasions barbares et peut-être du Déclin de l’empire américain. Comment l’expliquez-vous ?
« La promotion d’un film coûte extrêmement cher, de même que de faire voyager des films. Les moyens dont on dispose servent presque exclusivement à tourner. Même au Québec la promotion coûte très cher. Pour avoir une carrière internationale, il faut de grands films comme les Invasions barbares l’ont été. Mais au moins ça ouvre la voie à d’autres petits films qui vont pouvoir suivre. Ca crée un intérêt pour les films québécois. J’ai l’impression que les francophones d’Europe voient que même très loin il y a des gens qui ont les mêmes problématiques, capables de les livrer différemment. Nous-mêmes on voit beaucoup de films européens, français, ça fait partie de notre imaginaire. On est conditionné par ce qu’on voit : on voit beaucoup de films français et américains. On est un espèce de concentré de tout ce qui se passe. »
Et après François Papineau, interprète d’Edouard, dans Trois temps après la mort d’Anna, Catherine Martin, la réalisatrice, explique la genèse de son film :« C’est curieux, j’étais entre deux projets. J’ai laissé venir à moi des images, je fais cela parfois. Et tout à coup m’est revenue une image d’il y a longtemps, dont je n’avais rien fait à l’époque. C’est comme le début d’une histoire. C’est d’ailleurs l’image qu’on voit au début dans le film : une jeune femme assassinée où perle une goutte de sang au bout de sa main. Je savais que c’était une jeune violoniste, mais c’est tout. Quand cette image-là m’est revenue en force, je me suis dit : que faire ? Là, m’est venue l’envie de parler de l’effet d’un tel événement sur la mère de cette jeune femme. Je me suis demandé : comment vivre après ça ? »
Comment faire son deuil après la mort d’un enfant...
« Entre autres. Mais le film essaye de ne pas être spécifiquement lié à la perte d’un enfant. Bien sûr c’est au centre, mais c’est aussi un film qui cherche à dire que malgré toutes les douleurs, même les plus extrêmes, il est possible, je crois, de retrouver foi en la vie, en le plus présent au monde et par les vertus de la nature et de l’art, qui sont des baumes pour essayer d’apaiser les souffrances. »C’est un film très lent, qui prend le temps du deuil et de l’acceptation. Tout le film adopte ce rythme et c’est le genre de rythme qu’on a peu l’occasion de voir au cinéma, car c’est un film très méditatif... C’est le type de cinéma que vous aimez ? Un cinéma qui se donne le temps d’explorer les choses...
« Complètement, oui. Je suis plus sensible à cela. Ca ne veut pas dire que je n’aime pas les films au montage plus abrupt, plus saccadé, ça dépend de ce qu’on a à dire. Mais en général c’est un fait : je suis beaucoup plus sensible aux films qui se posent la question de la mise en scène, de la durée, du temps. J’essaye de faire en sorte que le spectateur puisse entrer dans l’image, qu’il puisse faire partie de ce que je lui propose, qu’il puisse être à l’écoute. Je travaille aussi beaucoup les bandes sonores pour lui permettre de le mettre dans un état où le sensoriel permet de ressentir ce que sent le personnage. »Trois temps après la mort d’Anna : pourriez-vous décrypter le titre ?
« C’est un titre lié à la structure du film mais qui est aussi assez ouvert. Ça pourrait être le rapport à la musique, les grandes étapes du deuil, même si je ne pense pas qu’il y a nécessairement trois étape. Mais le film se déroule en trois mouvements, trois temps, trois actes. »La sélection à Karlovy Vary, c’est important pour votre film évidemment...
« Oui, c’est très important. Je suis très honorée. Le film n’a pas encore été vu au Québec, c’est la première fois qu’il a été présenté à un public. C’est assez exceptionnel comme situation. Même la plupart des gens de l’équipe ne l’ont pas vu. Il va sortir le 13 août dans les salles au Québec. En tout cas, c’est assez particulier pour moi de présenter un film pour la première fois à l’étranger. »