Burn Baby Burn : vivre à fond et se brûler les ailes
Mercredi soir s’est déroulée la dernière première de la saison théâtrale du Studio Saint-Germain, la petite scène alternative du Rock Cafe à Prague. Spécialisé dans la mise en scène de pièces françaises, grâce aux traductions de Jaromír Janeček, le Studio Saint-Germain est également une occasion unique pour de jeunes comédiens de la DAMU de participer à des projets de théâtre importants. Parmi les pièces du répertoire, Terre Sainte de Mohamed Kacimi, Léviathan Coccyx de Jean-Daniel Magnin. Pour cette dernière pièce de la saison, le Studio Saint-Germain a choisi de présenter Burn Baby Burn de Carine Lacroix, un huis-clos mettant en scène trois personnages : deux jeunes filles un peu paumées qui se tombent dessus par hasard et que finira par lier à la vie, à la mort, le meurtre imprévu d’un livreur de pizza. Si la pièce semble se passer en France, dans une station service isolée, elle pourrait tout aussi bien se dérouler ailleurs, et on ne peut s’empêcher d’imaginer un décor type Nevada, perdu au milieu de la caillasse et du sable, accablé par un soleil de plomb. Après la première tchèque de sa pièce, Carine Lacroix a replanté pour nous le décor de son récit.
Et de ce qu’elle va provoquer au fur et à mesure qu’elles vont se découvrir...
« Ce sont deux personnes qui ont comme point commun leur âge mais sinon qui sont assez différentes car il y en a une qui est un peu ‘homeless’ puisqu’elle n’a pas d’attaches. L’autre vient du patelin voisin et est un peu bloquée dans sa vie, qui trafique de la drogue, qui a une histoire avec un dealer et qui n’est pas très à sa place non plus. »
Finalement, elles ont aussi en commun la marginalité...
« Oui. Pas la même, car il y en a une qui a plus d’expérience avec la vie concrète : la drogue, le boulot et les hommes, alors que l’autre apparemment n’a pas beaucoup d’expérience et qui pour combler un manque affectif, s’invente des histoires pour avoir l’impression d’exister. »
Elle est toujours dans l’imagination, le rêve, comme les petites filles qui rêvent à des contes de fées...
« Oui, sauf que ses contes de fées ne ressemblent pas à ceux des petites filles, mais elle a envie de vivre à sa façon. Sa façon, c’est comme elle le dit à un moment donné : écouter les petits oiseaux, regarder la vie, les plantes, le temps qui passe. Parce qu’elle n’est pas très adaptée à la société, elle ne sait pas travailler. On ne sait pas trop d’où elle vient, et on peut très bien imaginer qu’elle s’est échappée d’un endroit où on l’avait placée. »C’est intéressant puisqu’on parle de leur marginalité : quand on dit marginalité, on pourrait penser, si on n’a pas vu la pièce, problèmes sociaux, problèmes d’intégration dans la vie. Mais ce n’est ni une pièce politique, ni sociale, ni engagée dans le sens parfois galvaudé du terme, mais c’est vraiment une pièce de fiction, avec une histoire forte, comme j’ai l’impression qu’on n’en fait parfois plus beaucoup...
« Ça je ne sais pas... Mais ça pourrait être juste un fait divers. Cette pièce pourrait se résumer le lendemain de ce qui se passe dans cette station essence puisqu’après il y a une troisième personne qui arrive et qui meurt. L’histoire, c’est comment ces filles peuvent en arriver là, dans cette situation, où elle vont être confrontées à un problème de société, en France et ailleurs, où la jeunesse est livrée à elle-même. Et qui, à cause de beaucoup de frustrations, en vient à des actes de violence comme la fin de la pièce où il y a quand même quelqu’un qui y passe. »
Qu’avez-vous pensé de la mise en scène tchèque ?
« C’était très vivant. J’ai beaucoup aimé parce que déjà, les comédiennes correspondent bien à l’âge ! J’ai trouvé qu’ici c’était très intéressant. Et la musique aussi... »Parce qu’il faut dire que la pièce est entrecoupée d’intermèdes musicaux qui servent en fait un peu d’entractes dans la pièce. Il y a de la musique, du chant, et des sortes de poèmes...
« Pour ne pas cantonner les personnages à leur langage qui est très simple, très brut de décoffrage, j’avais envie de mettre entre ces dialogues des passages poétiques. Ça a toujours été très intéressant pour moi de voir comment les metteurs en scène mettaient en scène ces textes ! Certains les enlèvent, d’autres les disent en voix off. Là, en l’occurrence, j’ai trouvé que c’était très bien car c’était jamais forcément la même personne qui disait ces textes. Soit c’était une des filles, soit c’était celui qui joue le garçon après. Tous ces passages de musique sont très bien. »Et le décor, avec la vieille pompe à essence, la vieille moto, le mur en tôle tapissé de vieux posters ?
« C’était bien. Ce que j’ai beaucoup aimé dans les costumes, c’est les traces de saleté, de sueur. C’est censé se passer en pleine chaleur, donc ça j’ai beaucoup aimé parce que je l’ai rarement vu. Le personnage qui est pieds nus, aussi... Ça n’a pas toujours été respecté, même si chacun fait comme il veut. »
On imagine finalement bien par votre texte et la mise en scène les sensations... Comme les peaux cuisent au soleil, comme cette fille dans sa station service est accablée par sa vie, le soleil, la chaleur...« Voilà, parce que mine de rien cette chaleur empêche la fille de partir, de bouger. Elle est en rade. La chaleur est importante... »
Et puis le titre de votre pièce, c’est Burn Baby Burn. On peut imaginer beaucoup d’interprétations. Ça peut évoquer ce qu’on vient de dire, la chaleur... Ensuite, elles sont toujours dans cet environnement d’essence. Ça a une odeur forte et ça peut s’enflammer en un rien de temps. Ou bien encore le fait de se brûler les ailes : ce sont de toutes jeunes filles, mais qui finissent par se brûler les ailes quand même...
« Oui, se brûler les ailes, et brûler aussi à l’intérieur. Qu’est-ce qui fait qu’on est là, vivants, sur terre ? C’est aussi parce qu’on peut avoir la possibilité de brûler. Pour moi, brûler, c’est aussi vivre, ne pas s’empêcher de vivre des choses. Donc oui, c’est à la fois pas de mal de choses intérieures et extérieures. »
Comment votre pièce a-t-elle été reçue en France, par rapport à la violence des rapports qui animent les personnages ?
« C’est ce qui me plaisait dans ces personnages, c’est qu’elles ne prennent pas de pincettes pour communiquer entre elles, elle n’ont pas appris la politesse, comment dire bien les choses... Ça a été bien perçu ! Mais dans la mise en scène de la Comédie française, elles ne se roulaient pas de joint ! Alors que là, ce que j’ai beaucoup aimé, c’est l’odeur, on sent bien le joint, l’essence, le déodorant... Ce parti-pris réaliste j’aime bien parce que c’est lié aux sens. Les joints, par exemple, c’est quand même particulier à cet âge et à cette ambiance ! »Vous êtes aussi comédienne, vous avez écrit un roman-poème, vous êtes auteur de théâtre... Pour quoi bat votre cœur ? Pour le théâtre ou un peu tout à la fois ?
« Pour l’écriture. Comédienne, j’ai arrêté, car j’ai besoin de temps pour écrire. C’est l’écriture en général, et plus le théâtre. J’ai été comédienne et ce que j’aime c’est le dialogue, la répartie, le côté vivant, le corps... Alors que dans la littérature romanesque, c’est un livre et c’est au lecteur de ressentir les choses. J’aime beaucoup le théâtre, mais j’aime bien aussi écrire des chansons... La poésie, le roman, je les travaille un peu à côté, quand j’en ai marre d’écrire du théâtre. »
Cette pièce a été écrite en 2006, mais mise en scène en France uniquement en février dernier. Avez-vous des projets en France à l’heure actuelle ?« Oui, il y a une autre de mes pièces qui devrait se mettre en scène, mais c’est toujours très long. Il y a deux pièce radiophoniques qui ont été diffusées. Je vais partir en résidence pour deux autres projets de théâtre. »