« Opération Roméo » : du théâtre pour mieux saisir la vie sous le communisme (2nde partie)
Suite de l’entretien avec Éric Cénat et Jaromír Janeček, respectivement metteur en scène et traducteur d’« Opération Roméo – Tchécoslovaquie 1984 », une pièce écrite par le dramaturge slovaque Viliam Klimáček et produite par le Théâtre de l’imprévu d’Orléans. Le spectacle sera présenté ces prochains jours dans plusieurs villes tchèques ainsi qu’au Théâtre national à Bratislava. A travers l’histoire d’une famille, cette pièce traite de la réalité et du quotidien sous le régime communiste en Tchécoslovaquie, comme le rappelle tout d’abord Jaromír Janeček :
Le titre fait également référence à la Tchécoslovaquie en 1984…
EC : « Ce qu’il faut expliquer, c’est que le mot ‘communisme’ n’a absolument pas la même signification en France. En France, nous n’avons pas du tout vécu sous un régime totalitaire communiste. Du coup, les références ne sont pas les mêmes… »
JJ : (Il coupe) « Nous non plus n’avons pas connu de régime communiste. C’était un régime socialiste… »
EC : « Oui, c’est vrai, mais c’est pour cette raison que j’ai trouvé un autre titre et que j’ai voulu que soit indiqué ‘Tchécoslovaquie 1984’. ‘Opération Roméo’ seul aurait été un titre vide, qui n’aurait rien signifié. Il me paraissait donc important de la situer dans le temps et l’espace. Et puis George Orwell est quelqu’un d’extrêmement important pour moi. Cette référence à 1984 est présente dans le texte parce qu’un des personnages, le fils, est pris en flagrant délit de lire ‘1984’, un livre qui était totalement interdit sous le régime communiste. Il est donc convoqué par la police. Ensuite, le livre d’Orwell ressort encore avec toute une analyse qui en est faite par un inspecteur de la police secrète. 1984 n’est donc pas anodin pour moi et je voulais que cela soit bien situé dans le temps et l’espace. »
Comment avez-vous mis en scène cette histoire ? Aujourd’hui, en République tchèque, on voit beaucoup de films qui reviennent sur certaines périodes concrètes de l’avant-révolution. La Télévision tchèque diffuse avec un certain succès une série intitulée ‘Vyprávěj’ (‘Raconte’), etc. Était-il donc important pour vous de présenter cette Tchécoslovaquie des années 1980 ?
EC : « C’est vrai qu’on est quand même en Tchécoslovaquie en 1984 et pas dans un autre pays et à une autre époque, et je trouve qu’on retrouve cet élément. En plus, l’action se passe vraiment sur une seule journée, le 14 février 1984. On ne peut donc pas en faire abstraction. C’est pour ça que j’ai demandé à Jaromír qu’il me présente une scénographe costumière tchèque, Kristina Novotná en l’occurrence. Je voulais avoir le regard d’une personne qui connaît parfaitement le pays et l’époque. Après, on est au théâtre. L’idée n’est donc pas non plus de faire une reconstitution historique complète. Les personnages sont habillés comme à l’époque, mais dans la scénographie, il fallait aussi trouver la symbolique. Une pièce de théâtre, ce n’est pas un film ou un téléfilm, il faut toujours aller vers le symbole. Le théâtre, c’est aussi l’onirisme et la poésie, et nous avons été très vigilants sur cet aspect dans la scénographie. »
Que dire de l’auteur Viliam Klimáček ?
EC : « C’est quelqu’un qui se passionne pour l’histoire de son pays. Et il le charge pas mal son pays… Il a écrit une pièce qui s’intitule ‘Holocauste’ qui parle de ce qui s’est passé en Slovaquie pendant la Deuxième Guerre mondiale et comment les populations juives de Slovaquie ont été déportées. Il y a beaucoup à dire sur le peuple slovaque et lui, il y va franco. Il a une vision vraiment acérée de l’histoire et c’est ce qui est intéressant. Et quand on était en France, le public lui demandait si ‘Opération Roméo’ était son histoire, si lui avait vécu ça. Et Viliam Klimáček répondait que non, alors les gens étaient un peu déçus parce qu’ils avaient envie d’entendre le contraire. Il a précisé quand même qu’il avait pris des choses qui s’étaient passées en Tchécoslovaquie, mais qu’il s’était aussi inspiré d’autres faits qui avaient pu se passer dans d’autres pays du bloc communiste. Et il a dit que le personnage du jeune garçon qui a 19-20 ans, s’appelle Viktor et est étudiant en médecine, se rapprochait beaucoup de lui. Viliam Klimáček a été lui aussi étudiant en médecine et il a donc mis beaucoup de lui dans l’écriture de ce personnage de Viktor. »
Le montage de cette pièce est un projet franco-tchéco-slovaque. Quelle en a été la genèse ?
EC : « Il y a déjà ma présence depuis plusieurs années en République tchèque. Depuis 2007, j’y viens régulièrement pour travailler avec des lycéens. J’ai monté quatre projets avec des lycées dans le but de faire des spectacles en français qu’on a tournés dans le pays mais aussi en France et en Autriche. Cette coopération est possible entre autres grâce au jumelage entre la région de Pardubice (Bohême de l’Est) et la région Centre, puisque mon théâtre est basé à Orléans. J’ai beaucoup travaillé aussi avec les alliances françaises, l’Institut français et je commençais donc à avoir une très bonne connaissance de la République tchèque. Comme je restais longtemps, je me suis intéressé à la culture et à l’histoire. La genèse, c’est donc mon intérêt pour le pays et je souhaitais absolument faire quelque chose en lien avec l’histoire de la Tchécoslovaquie. Et dès que j’ai reçu cette pièce de Viliam Klimáček, je me suis dit que c’était tout à fait la pièce que j’attendais. »
JJ : « Ce qui était très intéressant pour moi aussi, c’est qu’avant nous faisions partie de la même république, du même Etat. Nous avions donc les mêmes souvenirs. Aujourd’hui, la Slovaquie a l’euro tandis que nous avons gardé la couronne. Avant, quand quelqu’un me demandait ma nationalité, je répondais toujours tchécoslovaque. Je ne disais jamais que j’étais tchèque. Maintenant, un Slovaque est un peu un étranger pour moi et il est donc intéressant de voir quel regard Viliam Klimáček porte sur une époque que nous avons vécue ensemble et en étant désormais deux pays différents. »
EC : « Le spectacle est créé en République tchèque pour deux représentations à Pardubice les 12 et 13 septembre. Mais avant cela, nous allons d’abord y travailler pendant trois semaines après avoir passé un mois au Centre culturel tchèque à Paris. Il y a donc une vraie collaboration. Ensuite nous jouerons également à Prague au Švandovo divadlo le 15, au Théâtre national à Bratislava le 16, ce qui est formidable pour notre équipe, puis à České Budějovice le 17. Pour ce qui est dates en France, il faudra attendre le mois d’octobre. »
Le texte traduit sera également édité en France…
« Oui, par les Editions Infimes, une maison qui est basée à Orléans. La femme de son directeur est slovaque. Et quand il est venu voir la pièce au centre dramatique à Orléans, il a eu un coup de cœur. C’est une maison d’éditions qui n’est pas très grande, mais les livres sont très beaux et le directeur a des bons réseaux en Europe centrale. Et j’espère que si le spectacle plaît en France, les gens auront envie d’acheter le livre. »