Jan Balabán : «Mes contes, même déprimants ou tristes, ne sont pas nihilistes.»
« L’écrivain donne le témoignage sur la façon dont nous vivons. Ainsi lorsqu’il rencontre la solitude en son for intérieur et chez les gens qui l’entourent, lorsqu’il voit que la communication est bloquée, lorsqu’il voit chez les jeunes et chez les vieux l’incapacité de vivre avec quelqu’un, cela devient un thème de son œuvre. » Ces paroles de l’écrivain tchèque Jan Balabán pouvaient être considérées comme sa profession de foi. Depuis le 23 avril dernier, nous sommes obligés de parler de lui au passé. Ce témoin sensible et compatissant des détresses humaines est parti soudainement, à l’âge de 49 ans, en plein travail littéraire.
« Pendant les années de son activité littéraire Jan Balabán a trouvé une position, un registre, une corde qui manquait dans la littérature tchèque. Malgré sa disparition subite l’œuvre qu’il nous laisse n’est pas dans un état fragmentaire. En ce moment déjà, c’est une œuvre achevée. Nous ne pouvons pas dire que ce n’est qu’une promesse, qu’un espoir pour l’avenir, il nous laisse une grande œuvre accomplie. »
Le conte, que d’aucuns considèrent comme un genre mineur, a permis à Jan Balabán de développer son talent. Il est auteur de toute une série de recueils de contes qui ont remporté plusieurs prix et distinctions littéraires. Les héros de ses livres se trouvent souvent dans des situations qui leur semblent sans issue. Et c’est à ce moment que l’écrivain plonge avec une sensibilité à fleur de peau dans leur âme et réussit à faire comprendre au lecteur leur souffrance. On se demandait parfois si Jan Balabán ne donnait dans ses contes qu’un portrait chaque fois légèrement modifié de lui-même, de sa propre détresse. L`écrivain refusait cependant cette interprétation autobiographique de son œuvre :
« Il faut toujours prendre en considération que chaque personnage littéraire même s’il figure dans une autobiographie reste un personnage littéraire. Ce n’est pas la vie. On ne peut pas copier la vie, ce serait ennuyeux. Si je puise dans ce que je connais intimement et que je me permets d’utiliser, en transposant dans une certaine mesure les histoires des gens que j’ai rencontrés, je le fais dans le cadre de la création. C’est une sublimation des choses. Ce n’est pas une copie de ce qui a été. »
Jan Balabán a passé la majorité de sa vie à Ostrava, ville industrielle, ville noire, ville polluée où la vie n’était pas facile. La ville d’Ostrava joue parfois un rôle quasi symbolique dans les vies des personnages de ses contes. Ce sont des vies gâchées par des mariages malheureux, des divorces, des vies vouées à la solitude. Miroslav Balaštík souligne un trait spécifique des œuvres de Jan Balabán :
« Ces œuvres présentent l’homme dans une situation où il croit perdre tous les supports de son existence, dans la famille, parmi ses amis et même dans la foi. Ainsi le combat qu’il doit livrer, un combat pour son âme, se déroule uniquement à l’intérieur de lui-même et donc sans aucun soutien des autres. »
Les personnages de ces contes se retrouvent donc souvent face à l’effondrement des illusions fragiles sur lesquelles reposait leur existence. En général leur désarroi n’est pas dû à des causes matérielles et Jan Balabán cherche ces causes dans les sphères plus profondes de leurs êtres :« Je pense que nous menons tous une vie relativement aisée et que c’est nous-même qui transformons cette vie en enfer. La vie vraiment dure, ça existe peut-être en Afrique ou ailleurs. C’est donc nous qui en sommes responsables. Ce qui m’intéresse, c’est plutôt le cœur humain et ses aspirations vers le bien ou vers le mal comme le disait Erich Fromm. Ce qui m’intéresse, c’est le combat que l’homme mène en lui et ce drame que l’homme vit tous les jours. »
Et Miroslav Balaštík d’ajouter que l’œuvre de Jan Balabán reflète aussi peut-être une certaine déception, la perte de certaines illusions et la gueule de bois de la période post-communiste :
« Il faisait partie d’une génération qui a grandi dans les années 1970 et 1980 et pour laquelle les valeurs spirituelles et surtout l’art n’étaient pas qu’une possibilité de fuir la réalité, mais aussi une forme de résistance contre un régime arbitraire. Et c’était aussi le point de vue qu’il a adopté après la chute du communisme vis-à-vis de la situation post-révolutionnaire. Je dirais qu’il ressentait un certain manque parce qu’il s’attendait à ce que la société commence à vivre après la révolution beaucoup plus en accord avec les valeurs spirituelles. Et c’est ce qu’il cherchait aussi à saisir dans ses écrits. »On a beaucoup parlé du pessimisme de Jan Balabán et ses contes étaient parfois présentés comme des images du désespoir. Sans nier le caractère douloureux de ses œuvres, l’écrivain ne partageait pas cette opinion :
« Mon dernier livre est plein d’espoir, ou peut-être pas plein, mais l’espoir y est sans doute présent, c’est le moins qu’on puisse dire. Même si l’on écrit un conte déprimant, on espère faire ainsi pression sur le lecteur pour qu’il mobilise les forces positives qu’il a en lui. Mes contes, même déprimants ou tristes, ne sont pas nihilistes. »