Les entretiens de l’année 2009
La semaine dernière je vous ai proposé un petit retour en arrière, c’est-à-dire quelques fragments d’entretiens présentés dans cette rubrique au cours de l’année écoulée. Il était difficile de faire ce choix car le temps de cette rubrique est limité et j’ai été obligé de laisser de côté plusieurs personnalités importantes ayant pris la parole dans cette émission. Aujourd’hui donc je vous propose une nouvelle série d’extraits d’entretiens avec ceux que je ne pouvais pas vous présenter dans l’émission précédente :
Les 26 et 27 février, Prague a accueilli l’écrivain français Bernard Werber. Venu assister à la première de sa pièce «Nos amis les humains» donnée au théâtre Kalich, il a déployé toute sa désarmante originalité et est devenu pendant son court séjour une véritable vedette des médias tchèques. Il a expliqué entre autres pourquoi il n’aime pas le mot «écologie»:
«Parce qu’il a été récupéré par les politiciens. Le mot ‘écologie’ est devenu un mot qui sert à des stratégies politiques. Je préfère le mot ‘harmonie’ c’est-à-dire harmonie de l’homme avec le milieu, avec des autres espèces animales et végétales. ‘Harmonie’ cela veut dire qu’il n’y a pas un qui veut détruire l’autre, ni un qui est gêné par l’autre. Mais même ce mot ‘harmonie’ est applicable aux rapports humains. Ce qui fait souffrir notre société, c’est le rapport dominant- dominé, il y a eu tout le temps des chefs et des esclaves, et je crois que dans le futur nous allons sortir de ce rapport de dominance pour découvrir une manière de fonctionner en partenaires à égalité, mais aussi en partenaire responsables. L’un des drames de notre société c’est qu’on a découvert la liberté sans avoir la responsabilité. Les gens voulaient ne plus avoir de chefs, mais après ils ne voulaient pas non plus prendre de décisions. Dans mes livres, je donne envie aux gens de s’assumer, de prendre des responsabilités, d’oser prendre des risques, d’oser échouer, d’oser faire quelque chose et ne pas attendre que les autres décident à leur place. »
Parmi les témoignages de ceux qui ont connu Jan Vladislav, le poète et traducteur tchèque disparu en mars dernier à l’âge de 86 ans, il ne faut pas oublier celui de Roselyne Chenu, son amie de longue date qui a pu suivre Jan Vladislav depuis les années 1960 et partager ses espoirs et ses angoisses:
«Vous savez Jan Vladislav était aussi un homme très modeste. Il ne se mettait pas en avant, il parlait relativement peu de lui. Il parlait de sa vie intérieure et de sa conception des choses mais il avait certainement souffert à la fin des années 1970 d’être de plus en plus isolé dans son pays. Et comme il ne voyait guère de jeunes à l’époque pour différentes raisons, il était donc très isolé ici, tandis qu’en France il avait des amitiés en lesquelles il avait confiance.»
Avez-vous un souvenir de Jan qui vous est particulièrement cher ?
«Oui, une lettre que j’ai reçue de lui en 1970. Dieu sait s’il connaissait parfaitement le français et sa lettre commence : ‘Chère Roselyne, vous êtes un vrai ami. Je le sais depuis longtemps.’ »
Qu’est-ce que Jan Vladislav a apporté dans votre vie?
«Je dirais cette sorte de fidélité, d’amitié et de confiance réciproque inébranlable. Chaque fois que je venais à Prague pendant les années 1960-1970, je logeais chez lui parce qu’il disait: ‘Vous êtes chez moi ou chez nous comme chez vous.’ Ce n’est qu’en 1980 qu’il avait du déménager. Il avait un tout petit appartement et en plus il lui était interdit d’héberger des amis chez soi. Donc pour une fois, une seule fois, j’ai logé à l’hôtel pendant ces années-là, sinon c’était toujours chez Jan et Maria.»
Au mois de mai j’ai invité au micro de Radio Prague le poète, romancier et essayiste québécois Pierre Nepveu qui fait partie d’une génération de poètes qu’il qualifie de « post-québécoise » et je lui ai demandé, entre autres, dans quelle mesure sa poésie était influencée par le Québec, par le fait d’appartenir à une minorité canadienne:
«Je suis influencé d’abord par la langue, c’est certain, le choix d’écrire en français en Amérique du nord ne va pas de soi, c’est extrêmement minoritaire, environ 2% de la population. Par un héritage culturel et même religieux on vient tous en général de familles catholiques canadiennes françaises, parce qu’à l’époque on parlait plutôt du Canada français que du Québec. Donc cet héritage-là est présent en moi comme une mémoire littéraire car mon rapport aux poètes québécois qui m’ont précédé est très important. En même temps, mes expériences poétiques sont multiples. Je dirais notamment que j’ai été très influencé par la poésie américaine, j’ai lu beaucoup de poètes américains et de poètes du Canada anglais également. Mais je suis aussi influencé par la poésie française parce qu’elle est de la même langue, par les poètes français du XXe siècle, les poètes surréalistes, etc.» Au XIXe siècle la poésie et la littérature tchèques ont joué un grand rôle dans l’émancipation du peuple tchèque menacé par la germanisation. La poésie et la littérature québécoises ont joué peut-être un rôle semblable face à l’anglophonie.»
Dans quelle mesure ce rôle reste actuel?
«C’était une étape fondamentale. Ce mouvement d’affirmation nationale par la poésie s’est produit beaucoup plus tard chez nous, dans l’après guerre, à partir de 1945. Il y a eu toute une génération de poètes qui ont joué un très grand rôle, notamment le plus connu qui s’appelle Gaston Miron et qui est considéré un peu comme le poète national. Il a écrit son grand livre ‘L’homme rapaillé’ en 1970. Cela a été une étape. Une fois cette étape terminée, on a passé à d’autres thématiques.»
«La galanterie française», tel est le titre d’un livre paru chez Gallimard et dont la traduction tchèque est sortie aux éditions Academia. C’est à cette occasion que nous avons accueilli à Prague Claude Habib, auteure de ce livre qui révèle et illustre des aspects insoupçonnés de la galanterie, la situe dans son contexte historique, social et artistique et la confronte avec les modèles de comportement de notre temps. Claude Habib a expliqué au micro de Radio Prague pourquoi la galanterie s’est développée justement en France:
«Je crois qu c’est par propagande monarchique. Je crois que Louis XIV a fait de cette manière spéciale de traiter le mieux possible les femmes une vitrine de son pouvoir. Après tout, il est roi absolu. Il aurait pu être totalement despotique, or il s’agit de donner une autre image, l’image à la fois d’un prince chrétien et d’un prince soumis au charme, je ne dirais pas au pouvoir, au charme des femmes. Un roi qui s’agenouille devant la beauté. C’est une décision du jeune roi de mettre les femmes sur un piédestal, de leur donner cette importance, cette visibilité … et puis cette importance politique. A la fin de son règne Mme de Maintenon assiste au Conseil et donne son avis.»
Aujourd’hui la galanterie est considérée comme dépassée et l’homme galant devient presque ridicule. Est-ce que la galanterie est encore possible dans une société qui cherche à parvenir à l’égalité des sexes?
«Oui, les vieux aspects de la galanterie, tout le code qu’on a hérité du XIXe siècle est passé de mode. Encore que si un très joli jeune homme s’en serre, ça fait de l’effet. Mais je crois que d’autres traits beaucoup plus importants, comme la retenue masculine, le fait de ne pas abuser d’une femme, le fait de la laisser passer devant soi, le fait de l’aider à vivre, de l’aider à prendre sa place, tout ce qui dans la galanterie invite les femmes à se sentir bien, à avoir de l’estime pour elle-même, à avoir de l’assurance, ça, c’est loin d’être passé. Je crois que c’est toujours très apprécié.»