Les Piepenhagen : un art né de la mousse

August Piepenhagen, A la patinoire

Un grand artiste sous des allures de simple artisan : c’est ainsi que nous pourrions caractériser August Friedrich Piepenhagen, considéré aujourd’hui comme un des plus grands paysagistes romantiques pragois du XIXe siècle. Boutonnier et passementier, August Friedrich Piepenhagen n’a jamais renoncé à ses métiers et a su concilier sa carrière de peintre avec celle d’artisan. Ces jours-ci, une importante collection de ses toiles est exposée par la Galerie nationale au couvent Saint-Georges à Prague. Parmi les premiers visiteurs il y avait aussi Václav Richter.

L’exposition est intitulée «Les Piepenhagen» parce qu’elle réunit des tableaux de toute une famille. Le peintre n’a pas gardé jalousement pour lui les secrets de son art, mais il les a partagés avec ces deux filles, Charlotte et Louise, et ces dernières ont prolongé la tradition artistique familiale jusqu’au début du XXe siècle. Le père et fondateur de cette tradition, August Friedrich Piepenhagen, est né en 1791 à Soldin, en Prusse. Il apprend le métier de boutonnier avec son père, puis il étudie la peinture dans l’atelier de Johann Heinrich Wuest à Zurich avant de s’installer, en 1811, à Prague. Selon l’auteur de l’exposition, Naděžda Blažíčková-Horová, tout en fabricant des boutons et des passements dans l’atelier d’un boutonnier pragois, ce jeune artiste pratiquement autodidacte a fait des progrès spectaculaires dans la peinture:

«C’était un romantique. Il appartenait encore à ces peintres qui inventaient et composaient les paysages sur leurs tableaux. Sa fille a écrit dans ses souvenirs qu’il cultivait des touffes de mousse aux fenêtres de sa résidence d’été et que c’est dans la mousse qu’il avait imaginé ses paysages. C’était donc un paysage idéal, un paysage imaginaire, une sorte d’échappatoire vers la rêverie.»

August Piepenhagen n’aimait pas les grands formats, il préférait les tableaux de petites dimensions et son style était presque celui d’un miniaturiste. Il créait dans l’intimité de son atelier mais, selon Naděžda Blažíčková-Horová, il n’était pourtant pas un sédentaire:

«Il a beaucoup voyagé avec ses deux filles, surtout après la mort de sa femme en 1850. Au cours de ces voyages il a fait une multitude de croquis, rien que la Galerie nationale de Prague en possède quelque 250. Ce sont de menus fragments de divers cahiers d’esquisses dans lesquels il dessinait des motifs de la nature et avec lesquels il composait ensuite un paysage qui, en réalité, n’a jamais existé.»

La nature transfigurée par son pinceau devient douce, poétique et pourtant étonnement réelle. Forêts, rochers, lacs, torrents de montagne et paysages au clair de lune sur ses tableaux ont le frémissement et aussi la force de la réalité. La spécialité d’August Piepenhagen sont ses boites d’échantillons. Il crée de nombreux ensemble d’échantillons, c’est-à-dire des petites collections de croquis qu’il envoie à des clients potentiels et d’après lesquels il leur peint, sur commande, des tableaux à l’huile. Une amitié pleine de respect mutuel le lie au célèbre écrivain tchéco-autrichien Adalbert Stiffter. D’après Naděžda Blažíčková-Horová, les lettres des deux artistes sont des témoignages éloquents de cette amitié:

«Ils échangeaient une très riche correspondance. Que je sache, leur amitié a commencé quand Stiffter a eu l’occasion de voir quelques tableaux de Piepenhagen. Quand il a vu ces tableaux, il s’est mis à les aimer et son admiration pour les tableaux de ce peintre ne l’a plus quitté de toute sa vie. (…) Nous publions dans le catalogue de l’exposition une lettre qu’Adalbert Stiffter a rédigée pendant plusieurs jours, et cette lettre est pleine de mots d’admiration sur l’œuvre d’August Friedrich Piepenhagen.»

L’exposition du couvent Saint-Georges ne réunit qu’une petite partie des innombrables paysages peints par August Piepenhagen. Elle démontre pourtant que cet artiste modeste, cet artisan de la peinture, a créé, à l’écart des avant-gardes de son époque, une œuvre dont la douce mélodie intérieure se fait entendre encore dans le vacarme du XXIe siècle.