Joueuse, de Caroline Bottaro : quand la séduction se joue sur un échiquier
Parmi les films présentés au Festival du Film Français, Joueuse, premier long métrage de la réalisatrice Caroline Bottaro. Dans un petit village de Corse, Hélène, jouée par Sandrine Bonnaire, travaille comme femme de chambre dans un hôtel et semble apparemment heureuse avec son mari et sa fille. Sa vie bascule le jour où elle surprend un jeune couple d'américains amoureux qui joue aux échecs sur une terrasse. Dès lors, Hélène ne vit plus que pour apprendre les règles de ce jeu qui l’intrigue et c’est un étrange personnage, le docteur Kröger, joué par Kevin Kline, qui va l’y aider. Hélène va se révéler une joueuse de talent. Mais cette passion sortie de nulle part bouleverse sa vie et celle de ses proches. La réalisatrice Caroline Bottaro était présente au Festival, elle rappelle la genèse de son tout premier film.
Le hasard fait bien les choses...
« Oui, même si je ne sais pas si c’est une question de hasard, ou de coïncidence. En tout cas c’était écrit quelque part. Littéralement. Je me suis dit qu’il y avait un univers et des personnages, surtout un personnage féminin qui me touchent. Deux jours après je lui ai demandé si je pouvais l’adapter. Après, les choses se sont mises en route à la maison. Ça a été un parcours assez long puisqu’il a fallu cinq ans entre ce moment-là et le tournage. Pour des raisons de scénario, car il y a eu 18 versions de scénario, trois producteurs différents... »Vous avez quand même un peu adapté et pris quelques libertés par rapport au livre. Normalement ça se passe sur une île grecque, là c’est en Corse. Du coup, il y a vraiment deux objets : le livre et le film...
« Oui, mais de toutes les façons, c’est toujours le cas. C’est très difficile d’adapter littéralement. J’ai pris pas mal de libertés mais qui sont finalement de petites libertés car le sujet de cette femme qui a l’air simple au départ, dont la vie indique la simplicité, qui ensuite évolue, s’épanouit et devient elle-même grâce à cette passion que sont les échecs, c’était déjà dans le roman. En effet, j’ai pris quelques libertés, car elle a deux enfants dans le roman, et surtout le personnage que joue Kevin Kline, était son instituteur, un homosexuel qui n’avait jamais assumé son homosexualité, mourait à la fin... »... ce qui n’est pas du tout le cas dans le film. Pourquoi l’avoir appelé Joueuse, et non pas La joueuse ? Il y a quand même une petite nuance, qui n’est peut-être pas sensible dans d’autres langues, comme le tchèque qui n’utilise pas d’articles, mais qui fait la différence...
« La joueuse, ça devenait un nom. Alors que joueuse est aussi un adjectif et ça a plein de sens différents. Ca peut aussi être associé à un trait de caractère. Je trouvais ça plus joli et surtout, par rapport au livre qui s’appelle La joueuse d’échecs, c’était moins réducteur. J’avais envie que ça ouvre au maximum parce que pour moi le sujet du film n’est absolument pas les échecs même s’il en est question en permanence. C’est vraiment le personnage féminin et son évolution. »C’était évident Sandrine Bonnaire dans le rôle principal ?
« C’était absolument évident. Quand j’ai eu le manuscrit en main et que je me suis dit qu’il y avait un sujet de film à faire, j’ai instantanément pensé à Sandrine Bonnaire. Il se trouve que j’avais la chance de la connaître puisque j’étais scénariste avant d’être réalisatrice et que j’avais co-écrit un film où elle joue, ‘C’est la vie’. Je connaissais Sandrine et je lui ai raconté l’histoire assez vite. Elle a été liée au projet dès le début. Elle m’a encouragé et était enthousiaste. Quand je disais qu’il y avait eu 18 versions du scénario et cinq ans d’attente, je suis devenue plus proche de Sandrine pendant ce temps-là. Et plus les versions évoluées, plus le film a été littéralement écrit pour Sandrine Bonnaire. »
Ça lui collait à la peau du coup...
« Oui, en fait c’était une démarche un peu particulière parce que souvent on écrit une histoire, et même si on pense déjà à un acteur, l’acteur doit s’approprier le rôle. Là, c’est un peu comme si le rôle s’était peu à peu approprié Sandrine. Je n’avais pas l’intention de lui faire jouer un grand rôle de composition, j’avais envie que le film soit aussi un portrait de Sandrine Bonnaire. »Vous dites que les échecs ne sont pas forcément le sujet principal du film, mais il n’empêche qu’ils sont très présents. Vous avez une vision très féminine du jeu d’échec que vous voyez comme un outil de séduction dans un couple. Une vision très féminine à ce niveau-là, mais en même temps, vous n’occultez pas pour autant le côté ‘bataille’ des échecs puisque dans le jeu de la séduction, il y a cet aspect combatif...
« C’est cela. C’était un des enjeux, et c’est un peu différent de ce qui se passait dans le livre : associer les échecs à une forme de sensualité car la scène de départ, dans la chambre d’hôtel, où elle découvre le couple d’américains, ce qui l’attire aussi c’est la sensualité et la communication entre ces deux personnes. »
Une communication muette puisque ça ne se passe que par le déplacement des pions...
« ... par les frôlements, les regards. Au départ, elle se dit qu’elle est entrée dans un quotidien avec son mari où les choses sont moins piquantes. Elle se dit qu’en jouant aux échecs ça va peut-être recréer quelque chose avec son mari. Finalement, et la passion du jeu et le regard de cet homme joué par Kevin Kline sur elle vont faire que les échecs vont prendre le dessus. »
On retrouve la thématique des échecs dans de nombreux films, dont le plus emblématique est le Septième sceau d’Ingmar Bergman. Est-ce que vous pensez que le jeu d’échecs est photogénique au cinéma ?« C’est une vraie question en fait. Parce que dans l’enthousiasme de départ sur l’évolution de la femme, l’épanouissement, après, quand on se retrouve en tant que réalisatrice concrètement à l’avant-veille du tournage et qu’il faut tourner des parties d’échecs, on se dit que c’est pas forcément la chose la plus palpitante qui soit. En plus je ne suis pas du tout joueuse d’échecs, ce que je ne regrette pas par ailleurs parce que je ne suis pas passionnée par le jeu lui-même. Quand on rencontre des joueurs d’échecs ils sont complètement à fond dans leur passion et vivent dans une sorte de bulle. Donc si ma priorité avait été ce qui se passe sur l’échiquier, ça aurait été beaucoup plus opaque pour le public extérieur. En revanche, et ça j’y tenais beaucoup, tout ce qui concerne les échecs dans le film est juste. Je me suis documentée, j’ai rencontré des champions, assisté à des tournois, j’ai été très soutenue par la Fédération française des échecs pour le film. Il y avait toujours un coach. Toutes les parties sont réelles, écrites en fonction du scénario. Tout est juste, même les temps de réflexion que prennent Sandrine et Kevin entre deux coups. Evidemment, la chose la plus importante est ce qui se passe dans les regards et autour de l’échiquier. »
La vision traditionnelle des échecs, c’est qu’il s’agit d’un sport ou d’une occupation d’élite. Le personnage de Sandrine Bonnaire est une femme ordinaire. Est-ce que vous vouliez cette dimension de fable sociale ou de revanche sociale ?« Oui, absolument. C’était important cet aspect fable sociale mais je n’emploierais pas le mot de revanche. Ce qui rend le personnage original c’est qu’elle n’est pas dans la revandication de quoique ce soit. C’est un personnage pris d’une passion qui va accéder à autre chose. Mais il n’y a pas cette volonté de changer de milieu social. Elle fait tout spontanément. Ca l’amène naturellement ailleurs, mais il n’y a pas de militantisme, de dépit. Ce n’est pas une femme malheureuse au début du film. »
Elle n’est pas malheureuse, mais n’est-elle pas plus heureuse après ?
« En même temps, c’est une vraie question, parce que lors d’une dispute avec Kröger, elle lui dit qu’elle préférait avant, quand elle ne se posait pas de questions ! C’est un vrai sujet de débat. Ca demande aussi du travail... A partir du moment où elle est prise de cette passion, elle travaille vraiment pour arriver où elle veut. Elle en devient dingue. C’est quand elle a la possibilité de faire un tournoi qu’elle se rend compte de ce que ça implique. Kröger lui dit d’ailleurs : ‘c’est du travail, qu’est-ce que tu croyais ?’ »Comment avez-vous obtenu d’avoir Kevin Kline pour interpréter ce personnage et parlait-il français ?
« C’est lié. Il parlait français. Moi j’ai des origines étrangères donc j’ai toujours eu l’habitude d’entendre des accents autour de moi. Tout d’un coup quand j’ai atterri chez mes producteurs, je leur ai dit : si on essayait d’avoir un acteur américain. Je dois reconnaître que j’aime beaucoup le cinéma américain, évidemment. Ca m’a toujours fait rêver. On s’est renseigné sur les acteurs américains qui parlaient français. Ils sont peu nombreux. Assez vite est arrivé le nom de Kevin Kline. Je n’y croyais pas beaucoup. Je ne peux pas dire avoir écrit le rôle pour Kevin Kline, j’aurais été folle en tant que réalisatrice qui fait son premier film. Ca a été assez magique. Il a eu le scénario assez vite. Trois jours plus tard, j’étais à Paris, il était une heure du matin, je dormais déjà, et mon téléphone a sonné. J’ai entendu : ‘allo c’est Kevin Kline à l’appareil’. On a passé une heure et demi à parler. Il était très enthousiaste. Il connaît et admire les films de Sandrine Bonnaire. Il m’a dit : ‘c’est le meilleur scénario que j’ai lu depuis dix ans’. Après avoir lutté pour faire ce film, tout d’un coup tout était magique. »