Jan Čep, un écrivain entre l’angoisse et l’émerveillement (1ère partie)
L’œuvre de l’écrivain Jan Čep est un univers modeste en apparence mais riche dans le fond. Le lecteur qui s’y hasarde tombe peu à peu sous le charme et il lui est alors difficile de s’en détacher. Jan Čep a enrichi la littérature tchèque de plusieurs recueils de nouvelles, d’un roman et de nombreux essais. Sa vie, qui a commencé en 1902 et s’est achevée en 1974, reflète la condition difficile des intellectuels tchèques du XXe siècle. Ecrivain catholique qui craignait le pire de la part du régime communiste, Jan Čep choisit l’exil en 1948 malgré un attachement profond pour son pays. Il se réfugie en France, où il rencontre sa future femme, Primerose, fille de l’écrivain et critique Charles du Bos. Elle lui donnera deux enfants, Jean et Claire. C’est grâce au dernier concours de Radio Prague que nous avons eu l’occasion d’accueillir dans nos studios la fille de l’écrivain, Claire Le Bris-Cep, qui vit avec sa famille en France mais qui n’a pas perdu le contact avec la patrie de son père. Nous avons profité de cette rencontre pour évoquer la vie, la personnalité et l’œuvre de Jan Čep.
A quel moment de votre enfance avez-vous réalisé que votre père n’était pas un homme comme les autres, que c’était aussi un écrivain?
Pratiquement toutes les pièces de l’appartement étaient tapissées de rayonnages. Papa passait ses journées, surtout avant qu’il soit malade, assis à son bureau à écrire et à lire. Je crois que je n’ai jamais eu besoin d’apprendre ce que c’était un écrivain, je l’ai su, instinctivement, en vivant avec lui.»
Comment viviez-vous tout cela ? Le voyiez-vous comme quelque chose de positif ou de négatif?
«Il y avait un petit peu des deux. Il y avait des choses positives. Il pouvait venir nous chercher à l’école à l’heure où les autres parents étaient au travail et les enfants rentraient soit tout seul, soit avec une nounou. Et quant aux choses négatives, il ne fallait pas faire trop de bruit quand papa travaillait. La porte de son bureau était une des rares portes d’appartement où il n’y avait pas quelque chose d’accroché et c’était donc une porte extraordinaire pour jouer à la balle. Je me souviens qu’une fois j’ai joué à la balle contre cette
porte, et forcément le bruit a dû le déranger. Il est sorti et, dans ce cas-là, il n’avait même pas besoin de nous gronder, il suffisait qu’il fasse ses yeux noirs et on avait très peur avec mon frère.»Vous a-t-il parlé de sa jeunesse, de sa vie en Tchécoslovaquie?
la première fois en 1966 ou 1967, je ne me souviens plus. Il a pu venir à Paris. Il a eu l’autorisation et ses sœurs aussi. Donc, à partir de ce moment-là, on en a beaucoup plus parlé.»
Votre père vous a-t-il expliqué sa décision de quitter la Tchécoslovaquie, de prendre le chemin de l’exil?
«Il ne l’a pas expliqué pour nous à la maison. Quand il nous a raconté comment il avait traversé la frontière, c’était évident qu’il n’avait pas pu faire autrement. Je ne sais pas si vous connaissez cette histoire selon laquelle Graham Green lui a sauvé la vie?»
Non, je ne la connais pas.
s’est prolongé très tard dans la nuit. Et quand mon père est rentré chez lui, sa concierge lui a dit : ‘Ecoutez, heureusement que vous n’êtes pas rentré plus tôt, parce que la police vous a attendu à votre table, chez vous, jusqu’à trois heures du matin.’ Et lui, il est rentré à quatre heures. Voilà, Graham Green a sauvé, en quelque sorte, la vie à mon père. En tout cas, il a sauvé mon père de la prison cette fois-là.»
On sait que Jan Čep était un grand voyageur, mais, une fois à l’étranger, il ressentait tout de suite un besoin impérieux de retourner à la maison. Comment un tel homme supportait-il l’exil?
«Très, très mal. Il pensait toujours à sa famille. Quand il voyait des amis tchèques, c’était toujours à la fois très joyeux, ils se mettaient à chanter des chansons du pays, et en même temps, je voyais souvent que mon père était très, très ému. Je sais que c’était un déchirement pour lui de ne pas pouvoir retourner chez lui.»
Pourtant, on pourrait dire qu’il a commencé en France une nouvelle vie. Dans quelles circonstances y a-t-il fait connaissance de votre mère?
«Alors, c’est très intéressant aussi. Il a rencontré ma mère au mariage de Vladimír Peška, qui était émigré aussi. Vladimír Peška s’est marié avec une Française qui était amie de ma mère. Ma mère était témoin de la future femme de Vladimír Peška et mon père était témoin de Vladimír Peška. Ils se sont rencontrés à cette occasion-là.»
Se souvenait-il parfois de ses amis de jeunesse, par exemple des poètes Vilém Závada et František Halas ? Ou parlait-il du sort tragique de l’écrivain Jan Zahradníček, mort des suites d’une longue incarcération?
«Il faut aussi vous dire que quand mon père est tombé malade, j’avais onze ans. Il a eu une hémorragie cérébrale et après il parlait avec beaucoup de difficultés, il se déplaçait avec beaucoup de difficultés. Donc, si vous voulez, les souvenirs que je peux avoir des conversations vraiment suivies avec lui, datent d’avant l’âge de onze ans et ils sont forcément un petit peu lointains. J’avoue que je ne me souviens pas vraiment de l’avoir entendu parler de Halas, mais Zahradníček, oui, certainement, il en parlait.»
(Nous vous proposerons la seconde partie de cet entretien, samedi 21 novembre, toujours dans le cadre de la rubrique Rencontres littéraires.)