Pierre Brice dans le rôle de Winnetou : le plus célèbre des Français du Rhin aux Carpates
Depuis le week-end dernier, et pendant toute cette semaine, s’est déroulé à Mladá Boleslav le Festival des sourires européens. Parmi les invités prestigieux de ce petit festival des comédies qui grandit peu à peu depuis sept ans, le comédien français Pierre Brice, inoubliable inteprète de l’Apache Winnetou pour les Tchèques et les Allemands. Avant Pierre Brice, rencontre avec le critique de cinéma Philip Bergson, qui était cette année membre du jury :
« Il faut sourire dans les salles de cinéma, on en a besoin absolument, notamment ces temps-ci avec les crises mondiales. Je vois que ce petit festival, organisé à Mlada Boleslav, dans la ville des voitures Škoda, devient de plus en plus important. Pas seulement pour réunir des films européens de pays minoritaires, qui ne circulent pas du tout hors de leur frontières, que ce soit la Lituanie ou d’autres pays. Mais cette année, on a vu plutôt des films au sourire amer, entre la tragédie et la comédie. »
Est-ce le reflet de l’humeur actuelle ?
« Absolument. Ce sont des films qui allient tristesse, mélancolie et rires. »
Vous parliez de crise tout à l’heure. Vous vous rendez à de nombreux festivals à travers l’Europe et le monde. C’est quelque chose que vous ressentez dans les équipes des festivals, chez les cinéastes ?
« Tout à fait. Très concrètement le festival de Mladá Boleslav a dû couper une journée, pour cette raison. Ailleurs c’est tous la même histoire. Mais je pense que dans les moments de crise, il faut construire de quelque manière possible une forme de fête : la vie continue, et surtout la culture. Il faut que les gouvernements ne fassent pas de coupes dans la culture. C’est important les transports et les hôpitaux, mais sans la culture, que faire ? »
Parmi les invités de ce festival de Mlada Boleslav il y avait Pierre Brice qui s’est rendu célèbre par son rôle de Winnetou. Comment expliquez-vous qu’il soit un illustre inconnu en France et si renommé en Allemagne et en République tchèque ?« C’est difficile à dire. Regardez Karel Gott qui est très renommé en Allemagne, en République tchèque, n’est pas du tout connu en France et en Grande Bretagne. A l’époque de tels films circulaient bien à l’étranger mais pas en France. Winnetou est un phénomène exclusivement allemand, d’après Karl May. Les Français ont Proust et Baudelaire, je crois qu’ils ne s’intéressent pas trop à ça. Ils ne s’intéressent pas à de faux Indiens (rires)... »
Et vous-même que pensez-vous de Winnetou ?
« Il n’est pas du tout connu en Grande Bretagne. Jeune, je n’ai jamais vu ces films. Par contre je connais très bien un acteur tchèque, très connu, qui habite Londres depuis des années, et qui a joué dans de tels films : Herbert Lom. Mais ces films qu’il a fait avec Pierre Brice, n’ont jamais circulé en Grande Bretagne. En même temps c’est la richesse de l’Europe... Il faut apprendre à se connaître... »Comme le disait Philip Bergson pour la Grande Bretagne, demandez à n’importe quel Français qui est Pierre Brice, il vous regardera avec un air dubitatif. Né en 1929, à Brest, Pierre Brice a d’abord fait la guerre d’Indochine, puis la guerre d’Algérie avant de se lancer dans le théâtre et le cinéma. Manque de chance, il arrive au moment où une autre étoile montante, au physique similaire, perce sur les grands écrans français : Alain Delon. La gloire, ce ne sera donc pas en France qu’il la trouvera, mais en Allemagne, et en Tchécoslovaquie avec le rôle de l’Apache Winnetou dans les années 1960. Production allemande tournée en Yougoslavie, cette série tournée d’après les romans de Karl May, a eu un succès fulgurant. Aujourd’hui encore, des générations entières se souviennent avec émotion des films de leur jeunesse qui continuent à être diffusés. Alors, chaque visite de Pierre Brice est évidemment un événement en RT. Il était à Mladá Boleslav, et je lui ai demandé comment il expliquait son incroyable succès en Europe centrale :
« Pourquoi vous ne demandez pas aux Allemands, aux Tchèques ? Karl May n’est pas connu en France. »Mais les Français aiment les westerns...
« Ce n’est pas un western. Les Français aiment les westerns, oui, mais les coups de revolver. Dans les autres pays où Karl May est connu, c’est un hymne aux Indiens. Quand il a écrit ses livres, il a réhabilité les Indiens. Les Indiens ont été massacrés par les Blancs. »
C’est ce qui vous a attiré dans ce rôle ?
« Oui. »
Qu’en retirez-vous encore aujourd’hui ? Vous avez parfois dit que c’était une cage dorée...
« C’est vrai. Mais ça a été aussi une cage dorée parce qu’il y avait un public. Comme je le dis souvent un acteur ne fait pas ce métier pour son concierge ou son voisin, mais pour avoir du succès. Le personnage était aimé, adulé. Le personnage d’Old Shatterhand aussi. Pourquoi ne pas accepter et avoir du plaisir à faire un film ou une pièce de théâtre pour le public ? D’ailleurs quand on m’a demandé de jouer ce personnage au théâtre je n’y ai pas tellement cru. Le théâtre est différent du cinéma. Je me suis aperçu que le succès était exactement le même. Parce qu’il y avait un public. C’est pourquoi pendant dix saisons de suite j’ai joué ce personnage là. Jouer Winnetou devant 10 000 spectacteurs enthousiastes, c’est un bonheur ! »La manière de jouer est évidemment totalement différente au théâtre. Comment avez-vous appréhendé votre rôle au théâtre ?
« Comme c’est du théâtre en plein air, d’un coup on s’aperçoit que sa voix a changé. On porte beaucoup plus la voix pour un public en plein air. »
L’an dernier, Arte vous a consacré une soirée thématique entière, avec notamment un documentaire. Il y a eu à cette occasion de nombreux articles dans la presse française. C’est un peu une consécration tardive en France ?« Non... Ca a été apprécié par les Allemands, par tous ceux qui aiment Karl May. J’ai trouvé le reportage très bien. Ca a été en fait pour moi une occasion fantastique : j’ai reçu des coups de fil de commandos de marine qui avaient fait la guerre avec moi au Vietnam. J’ai retrouvé beaucoup d’amis grâce à ce reportage. »
Vous parlez de votre expérience en Indochine. Est-ce quelque chose qui vous a servi pour votre rôle ?
« Les militaires sont là pour aider, pas forcément pour tuer. Le personnage de Winnetou veut aider son peuple. En Indochine, on était là pour défendre les Vietnamiens contre les communistes qui les martyrisaient, pas pour les tuer. La première personne que j’ai vu en arrivant en Indochine, c’était une auxiliaire féminine de l’armée empalée. C’était ma première expérience avec le Viet-minh. »
Avez-vous des souvenirs de tournage de Winnetou marquants ?
« Ce qui est important dans les tournages de Winnetou, c’est l’amitié qui existait entre Lex Barker et moi. C’était tout à fait différent de ce qui a existé avec Stewart Hunter après. Lex était un ami, que nous avons malheureusement perdu trop tôt. »Quels sont vos projets ?
« J’écris un scénario. Ce sont deux personnages : un Français et un Allemand. L’Allemand est un ancien militaire qui a fait la guerre de 39-45. Et qui après la guerre s’est engagé dans la légion étrangère. L’autre personnage est un commando de marine qui a fait la guerre d’Indochine et qui a été sauvé par cet Allemand qui est devenu un clochard. C’est l’histoire des retrouvailles entre cet homme devenu clochard et un noble. »
Une parabole de l’amitié franco-allemande ?
« Oui, on peut dire ça comme ça. »