Jánošík, le « Robin des bois slovaque » revisité par des femmes
Il aura fallu sept ans pour arriver au bout du projet... Début septembre, le film Jánošík est enfin sorti dans les salles. Le film a été tourné par la réalisatrice polonaise Agnieszka Holland et le rôle principal interprété par un Tchèque quasi inconnu, en tout cas au début du tournage. Long métrage épique et grosse co-production centre-européenne, le film retrace l’itinéraire de Jánošík, une sorte de Robin des Bois slovaque...
AH : « C’était pour moi un peu comme une expérience. Je me suis dit que c’était un peu risqué. La dramatugie n’est pas habituelle. Le personnage principal est très introverti, un peu comme Hamlet, il a des questions existentielles mais ne les prononce pas. Dans l’action, il se laisse diriger par le destin. C’est donc un peu un anti-héros. Normalement Jánošík est une sorte de super-héros de bande dessinée pour les enfants, avec beaucoup de muscles, et pas beaucoup de cerveau, très courageux. Là, c’est différent. Ses ennemis ne sont pas les soldats qui le poursuivent, ni les riches, ni les aristocrates. C’est le destin. »
N’est-ce pas également quelque chose en lui ?
« Oui, c’est cela. Il essaye de se défendre d’abord, mais il décide de suivre son destin. Après ça commence à lui plaire que le destin lui donne le pouvoir, la popularité. Après il comprend que le poids de la responsabilité est énorme mais il est trop tard. L’action n’est pas une action classique, surtout pour un film de cape et d’épée. C’est très visuel. Tout est décrit de façon très sensuelle, mais il y aussi de la poésie et de la cruauté. »
Il y a aussi un aspect médidatif dans votre film, par le biais des paysages. Les montagnes et les paysages sont un peu un personnage à part entière...
« Oui. Et aussi le foklore. J’ai toujours adoté le folkore slovaque. J’ai toujours pensé que c’était l’identité de ces gens, de leur culture : les paysages, le folklore, le mélange de poésie et de cruauté. A l’heure actuelle je prépare une série pour HBO à la Nouvelle Orléans. C’est pareil : c’est impossible d’exprimer la Nouvelle Orléans sans le jazz. C’est la même chose avec un héros slovaque. »Pour interpréter ce héros slovaque nouvelle version, la réalisatrice polonaise a donc choisi un jeune comédien au physique délié. Si Jánošík est un brigand originaire des montagnes sauvages de Slovaquie, Václav Jiráček s’éloigne de l’image d’Epinal du costaud de service. Agnieszka Holland est allée chercher un comédien doué duquel transparaît une sorte de fragilité...
AH : « Je n’ai jamais pensé que Jánošík devait avoir beaucoup de muscles (rires). C’est une vision anachronique. Si vous regardez le cinéma d’aujourd’hui, même le cinéma américain commercial, un personnage comme celui-ci ne sera jamais joué par Arnold Schwarzenerger ou Steven Segal, mais plutôt par Leonardo Di Caprio, Tobey Maguire ou Christian Bale, soit des acteurs qui ont un peu le look de Václav Jiráček. Mais c’est vrai qu’en Pologne et en Slovaquie, les gens ont une vision conservatrice, ancrée dans l’enfance, qu’un héros doit être une sorte de culturiste. »
Un Jánošík complètement repensé, donc, et joué par un Tchèque de surcroît...AH : « Les réactions sont prudentes, mais j’espère qu’il ne vas pas y avoir de révolution nationale à cause de cela, et que ce sera accepté... »
Un choix qui aurait pu faire grincer des dents de l’autre côté de la frontière mais qui a fini par bien passer, d’après Václav Jiráček :
« Ça dépend des gens évidemment. Jánošík est un thème souvent lié à des sentiments nationaux. Il fait vraiment partie de la mentalité des Slovaques. Donc je n’en ai pas voulu aux personnes qui ne croyaient pas en moi au départ. Mais je pense que peu à peu j’ai réussi à convaincre les gens, comme j’avais convaincu Agnieszka Holland. Et puis après tout, j’ai compris le personnage, pourquoi est-ce que je n’aurais pas pu le jouer ? »
AH : « Vous savez, un héros national... En même temps ce n’est pas un héros classique, c’est quand même un brigand, un criminel. La Slovaquie est peut-être le seul pays à avoir pour héros un hors-la-loi. Même en Irlande, ils luttent pour la liberté. Lui, c’est un peu tiré par les cheveux de dire qu’il lutte pour la liberté du pays. Il s’amuse... Parce que c’est un personnage ludique, on peut le regarder de plusieurs façons. C’est vrai qu’il y a un stéréotype profondément établi mais quel intérêt de faire le film de nouveau de la même façon ? Aucun, n’est-ce pas ? »
Et tant qu’on parle de héros nationaux, rappelons que Tchèques et Slovaques ont comme figures emblématiques des personnages bien différents. Un brave soldat Chveïk contre un intrépide Jánošík ... Le contraste est assez saisissant pour être relevé, et pour s’interroger sur la possible adéquation au tempérament national. Václav Jiráček :« Il y a quelque chose de ce genre en effet. C’est possible. En République tchèque, lors d’un concours sur le Tchèque le plus célèbre, c’est Jara Cimran qui a gagné, un personnage imaginaire. On a aussi quelque chose en commun avec lui : on sait tout faire, on connaît tout, mais on n’existe pas. Et pour Chveïk, il y a en effet aussi quelque chose : la bière, tout ça... C’est vraiment intéressant, cette différence Chveïk/Jánošík. »
S’il pèche par de nombreux défauts, un excès de longueur, un trop plein de folklore par endroits, et aurait peut-être mérité une touche d’humour en plus, le nouveau film qui sort sur les écrans a au moins un mérite, celui de débarrasser le personnage de Jánošík de tout le balast encombrant forgé par les récupérations idéologiques et de faire émerger une forme de poésie de la pure légende. La co-production tchéco-slovaco-polonaise permet finalement à ce héros slovaque de dépasser le simple cadre nationaliste qui lui a longtemps été imparti. Puisqu’au XVIIIe siècle les frontières étaient floues, a fortiori dans les montagnes, puisque l’Etat slovaque n’existait pas, Jánošík est à la fois revendiqué par les Slovaques et les Polonais. Et du fait de la création de la Tchécoslovaquie, même les Tchèques connaissent le personnage depuis leur tendre enfance. La logique voulait donc qu’il existe trois versions du film, en polonais, en slovaque et en tchèque. On regrettera quand même qu’on ne puisse pas entendre Jánošík parler slovaque en République tchèque, une version qui aurait été plus authentique.Il existe déjà au moins sept films de Jánošík, mais aucun réalisateur ne s’était encore attaqué au personnage avec d’aussi grandes ambitions. Commencé en 2002, le tournage a été interrompu pendant près de six ans faute de moyens financiers. Une déception alors pour Václav Jiráček, dont c’était le tout premier rôle :
« C’était vraiment malheureux. C’est un peu comme quand votre premier amour vous quitte. C’était une grande déception. Je n’arrivais pas à en parler. Tout le monde me posait des questions. Quand le tournage a recommencé j’ai replongé dans le projet avec le même enthousiasme, mais avec six ans de décalage et plus vieux aussi. Heureusement je n’avais pas trop changé physiquement. Mais ma relation au rôle n’avait pas changé. »
Le projet n’aurait pu voir le jour sans le ralliement d’un producteur polonais. Et, comme le souligne la fille d’Agnieszka Holland, Kasia Adamik, qui a a travaillé à ses côtés, l’équipe du film a vraiment eu de la chance en se retrouvant en 2008 :
« On a eu toutes les étoiles de notre côté ! Certains acteurs ont même l’air plus jeunes ! Je suis persuadée que pour certaines scènes, les gens pourraient penser qu’elles ont été tournées à l’époque alors qu’elles ont été tournées en 2008. En plus, dans notre histoire, ça retrace trois ans de la vie de notre héros, il vieillit, il mûrit. On a tiré avantage du fait qu’il soit plus mûr. »
Et de montrer que même dans cette partie d’Europe on peut faire des grosses productions sans pour autant sombrer dans la copie hollywoodienne. Philip Bergson, critique de cinéma :
« C’est une grande fresque, une épopée européenne, un très grand film, vraiment ! C’est très bien maîtrisé, si ce n’est pas sexiste de dire ‘maîtrisé’ avec une metteuse en scène, et sa fille qui a beaucoup aidé. Il y a des acteurs très forts, et des panoramas visuels de la Slovaquie qu’on n’a jamais vus. C’est un Robin des Bois à la slovaque et j’ai bien aimé le film. »
Jánošík n’est pas la première tentative de filmer un pan historique de l’histoire de l’Europe centrale. Il y avait déjà eu Bathory l’an dernier, mais qui s’était avéré être une piètre tentative de filmer l’histoire de la comtesse hongroise sanglante des Carpates et un gouffre financier malgré la caution d’un grand nom du cinéma slovaque, Juraj Jakubisko. Jánošík, pour sa part, a plutôt réussi son pari en dépit des quelques restrictions déjà mentionnées. Quant à Agnieszka Holland, elle n’en a pas fini avec la République tchèque puisqu’elle a en projet d’adapter le roman de Karel Čapek, La guerre des Salamandres. On l’écoute parler de ce projet qui lui tient à cœur, depuis ses études de cinéma à la FAMU dans les années 1970 :« Le producteur développe le scénario, on verra après où on en est. C’est un projet très difficile du point de vue du budget et du point de vue technique. J’ai toujours adoré ce livre. C’est un livre cruel et ludique en même temps. C’est un peu la préfiguration des livres et des fims de catastrophe. En même temps, c’est très intelligent, très ironique. Je pense que c’est toujours très actuel, dans la description de la stupidité du monde et de l’humanité. Bien sûr, on n’est pas dans la même situation qu’avant la Deuxième Guerre mondiale, mais on n’est pas si loin non plus. Je pense qu’on peut en faire quelque chose d’actuel, mais avec de l’humour. »