Ondřej Horký : « Il est important que le développement fasse partie de l’espace politique »
Coopération, développement, ces mots sont devenus familiers, notamment sous l'influence de l'ONU et de ses « objectifs du millénaire pour le développement ». Les politiques de développement et de coopération en République tchèque, c'est aussi le sujet auquel s'intéresse Ondřej Horký, chercheur à l'Institut des relations internationales de Prague.
« Dans le cadre européen, quand on dit ‘politiques de développement’, on pense surtout aux politique de développement international. Et quand on parle de la politique de développement international, ou de développement tout court de la République tchèque, on entend par là surtout la coopération et le développement, c’est-à-dire l’aide que l’Etat tchèque ou des ONG tchèques proposent aux pays du Sud. En général, quand on parle de développement, surtout par l’image médiatique, on pense surtout à l’Afrique. La coopération et le développement tchèque sont aussi plus tournés vers l’Europe, l’Europe de l’Est, c’est-à-dire les pays comme la Moldavie par exemple ou les pays des Balkans, de l’Europe du Sud-Est, comme la Bosnie, la Serbie ou tout récemment le Kosovo. »
Et les politiques de développement et de coopération en République tchèque semblent être plutôt récentes, dans la décennie des années 90, la République tchèque s’était un peu désintéressée de ces questions, qui ont ressurgi avec l’accession à l’UE. Ces politiques s’inscrivent dans un cadre européen, n’est-ce pas ?
« Oui, c’est le cadre européen, mais pas seulement. La politique de coopération et de développement tchèque a commencé en 1995, par le premier décret du gouvernement, déjà à la moitié des années 1990. C’était déjà lié à l’entrée dans l’OCDE, l’Organisation de la coopération et de développement économique. Bien sûr, tout le développement de la République tchèque est un peu dans la vision du retour à l’Europe, du retour à l’Ouest, mais dans ce cas précis, c’était plus le retour à l’Ouest que l’entrée dans l’UE. »
Et, peut-être peut-on donner des exemples de ces politiques de coopération ?
« Peut-être la meilleure façon d’approcher l’aide au développement est de parler en termes de budget. Aujourd’hui, l’aide totale pour la coopération et le développement est de 150 millions d’euros à peu près, mais vous trouvez aussi de l’aide humanitaire, des missions à moitié militaires en Afghanistan, l’aide qui est faite pour les réfugiés qui viennent en République tchèque ou des bourses pour les étudiants qui viennent du Sud. Mais proprement dit, les projets bilatéraux que la République tchèque mène à l’étranger, cela compte 30 millions d’euros par an, un budget qui malheureusement aujourd’hui est un peu en stagnation. »
Et ces 30 millions d’euros, comment sont-ils affectés ?« Le cadre institutionnel est assez compliqué parce qu’il est en ce moment en mutation, le but de ces transformations est que le système soit plus efficace et qu’il y ait moins de place pour des intérêts particuliers, parce qu’il faut bien dire qu’il y a quelques années, et encore aujourd’hui, il y a des cas d’aides au développement qui sont clairement tirés, pas par la demande, pas par des besoins des pays en développement, mais plutôt par des exportateurs en République tchèque ou alors par le ministère des Affaires étrangères qui veut promouvoir ses intérêts sécuritaires ou autres, ses intérêts politiques, plutôt que la réduction de la pauvreté dans les pays en développement. »
Et pour ce qui est de la coopération et des politiques de développement à l’échelle de l’UE, est-ce que la République tchèque a une vision particulière de ce que devraient être ces politiques de développement coordonnées à l’échelle européenne ?
« Oui, c’est assez difficile à dire. Je pense que le problème principal est que, comme la coopération et le développement est une politique qui a été, en quelque sorte, un peu imposée de l’extérieur, à cause de l’entrée dans l’OCDE, à cause de l’entrée dans l’UE, le problème est qu’il n’y a pas assez de volonté politique, pas assez de soutien de la population. Du coup les acteurs qui sont connectés au développement, y compris les ONG - parce qu’il ne faut pas oublier que les ONG sont en grande partie payées par l’Etat : du coup, les ONG ne sont pas assez critiques vis-à-vis de la politique du gouvernement. Le problème de la politique du gouvernement consiste dans le fait qu’il n’est pas assez européen : ce qui est aujourd’hui numéro 1 sur l’agenda de la politique européenne de développement, c’est surtout la coordination entre les 27 pays plus la Commission européenne qui est elle aussi un donateur très important. Aujourd’hui, l’intérêt de la politique européenne de développement, et de toute la communauté internationale, est la coordination et la complémentarité. Et c’est là, je pense, que le gouvernement tchèque a le plus à faire. »Et justement, vous avez travaillé sur la cohérence dans les politiques de développement, vous avez écrit par exemple un article sur la notion de cohérence. Qu’est-ce qu’on veut dire précisément par des politiques « cohérentes » ?
« L’autre problème que la coopération et développement rencontre est ce problème de cohérence des politiques. Qu’est-ce que cela signifie ? Par exemple vous pouvez très bien avoir de très beaux projets de développement du secteur agricole dans un pays, mais en même temps l’UE, avec la Politique agricole commune, ou alors la politique agricole des Etats-Unis vont à l’encontre de l’intérêt des politiques de développement. C’est un très grand problème je pense de voir avec l’ensemble des acteurs pour rendre les politiques plus cohérentes. Et le problème de la PAC est le plus important. Dans mes recherches, j’ai trouvé un cas où justement une entreprise, un fabricant de sucre a fermé une entreprise en République tchèque et a reçu un dédommagement de la part de la Commission européenne très important : le secteur agricole en République tchèque, les agriculteurs, ont vu cette entreprise qui a quitté la République tchèque comme quelque chose de très négatif, car il y avait toute une tradition du sucre, de la betterave, etc. Mais personne n’a vu qu’en même temps le fait que la République tchèque s’est retirée de la production du sucre qui était très fortement subventionnée par la CE, cela a laissé sur le marché assez de place justement pour les importateurs des pays du Sud. »
C’est-à-dire que les politiques de développement subissent un peu parfois l’hypocrisie des différents Etats et des populations européennes ?
« L’hypocrisie, c’est difficile à dire, parce que souvent ce n’est pas très conscient. Ils n’ont pas assez d’informations, ils ne se rendent pas compte, donc on ne peut pas vraiment dire que c’est de l’hypocrisie. Parfois si, le ministère de l’Agriculture sait très bien quels sont les effets de la PAC sur les pays du Sud. Mais même dans la recherche c’est assez difficile de trouver des informations, de retrouver quels sont les impacts précis de nos politiques sur les pays du Sud. Donc évidemment, c’est beaucoup plus difficile à vendre pour les ONG qui n’ont pas assez d’informations précises. C’est clair que l’aide au développement a une valeur symbolique très forte et qui aussi au niveau politique se vend beaucoup mieux que des actions pour promouvoir la cohérence des politiques pour le développement, qui est un processus très difficile parce dans les ministères vous avez des différentes cultures de pensée. Quand vous dites ‘le développement’, à l’Agence tchèque pour le développement, ils ont une idée complètement différente, ils vont penser surtout à l’efficacité dans la lutte contre la pauvreté, alors que si vous dites développement au ministère du Commerce et de l’Industrie, ils vont tout de suite penser que le développement est la même chose que le volume de marchandises échangées entre la République tchèque et le Mali. »Pour établir une bonne politique de développement, il faut réussir à concilier tous ces intérêts-là, ce qui ne doit pas être facile pour mener une politique efficace…« Non, c’est extrêmement difficile. Je pense que le problème principal c’est qu’en République tchèque – mais cela concerne aussi d’autres pays de l’UE, quand je rencontre des collègues ou même des gens qui travaillent dans des pays comme l’Allemagne où il y a un ministère du Développement et qui a beaucoup plus de poids dans les décisions du gouvernement – le développement est très loin de la politique intérieur des pays, n’est pas vraiment sur l’agenda. Je pense qu’il est très important que le développement du Sud fasse partie de l’espace politique, des discussions plus courantes : aussi si nous pensons au développement du Sud, nous pensons au développement de la République tchèque, de l’UE, des pays du Nord. En même temps, nous faisons face aux mêmes problèmes, bien sur à des échelles différentes, des problèmes sociaux, de plus en plus des problèmes écologiques avec le réchauffement climatique… Penser au développement du Sud, ça signifie aussi penser à notre propre développement, et peut-être mettre en cause, en question, les choses que nous faisons depuis longtemps, un petit peu par habitude. »