Vers une fusion de la musique, de la parole et de la danse

Le Poème harmonique

La 10e édition du festival «Les festivités d’été de musique ancienne » s’est achevée, ce mardi, à Prague par un concert très applaudi donné par l’ensemble français «Le Poème harmonique». Dans la première partie d’un entretien que le chef de l’ensemble, Vincent Dumestre, a accordé à Vaclav Richter et que nous vous avons présentée ce mardi, il a été question notamment du programme du concert pragois. Dans la seconde partie de l’entretien que voici, Vincent Dumestre évoque, entre autres, le répertoire et l’évolution du «Poème harmonique» et aussi le rapport entre les interprètes de la musique ancienne et leur public.

Vous avez commencé votre carrière avec le luth et la guitare baroque. Vous considérez-vous aujourd’hui plus comme un instrumentiste ou comme un chef d’orchestre?

«Je considère que c’est dans l’altérité des deux, de pouvoir passer de l’un à l’autre, que cela enrichit un musicien. Le fait d’avoir des grandes productions orchestrales ou opératiques me donne une vision différente, une force pour travailler sur nos petites productions et celles de musique de chambre, mais le fait de faire de la musique de chambre, d’avoir des rapports avec des musiciens particuliers, des rapports plus intimes, plus personnels, nourrit le travail qu’on fait en grands effectifs.»

Nous ne sommes pas prêts d’oublier votre spectacle «Le Bourgeois Gentilhomme». Allez-vous continuer dans cette voie, c’est-à-dire continuer de faire des spectacles qui marient le chant, la parole, la danse et la musique?

«Oui, bien sûr, c’est une des voies qu’on a choisi parce que dans ‘l’authenticité’, dans ce chemin d’authenticité, en essayant de se faire rencontrer une esthétique visuelle, le travail sur la lumière avec les bougies, la déclamation, le français restitué, le français avec la prononciation ancienne, il y a une force qui se dégage de ce travail-là. Cette force doit être non seulement donnée à la comédie-ballet, à Lully et à cette musique mais à beaucoup d’autres musiques, par exemple au projet de donner ‘L’Egisto’ de Cavalli, un des premiers opéras vénitiens, à l’Opéra comique dans deux ans. On a aussi le projet du ‘Malade imaginaire’ de Charpentier et de Molière. Et la tragédie lyrique doit pouvoir être montrée sous ce visage aussi.»

Récemment vous avez monté à l’Opéra comique de Paris l’opéra ‘Cadmus et Hermione’ de Lully. Est-ce un tournant dans l’évolution de votre ensemble ? Allez-vous faire maintenant des opéras purs?

«Oui, si l’on peut appeler ça un opéra pur. Ce n’est pas un opéra pur, justement. C’est un opéra qui est teinté d’airs de cours, qui emprunte à l’Italie des personnages comiques secondaires. De toute façon la musique baroque est un art impur par essence, je crois. Maintenant c’est une étape, ‘Cadmus et Hermione’ comme ‘Le Bourgeois Gentilhomme’ l’a été aussi. Pour nous ce n’est pas une étape, c’est la continuité de notre travail. Pour le public, je crois, c’est une étape parce qu’on a prouvé au public qu’il était intéressant de travailler sur les grands effectifs, sur les grandes tragédies avec ce regard qu’on peut porter sur la musique, avec les rapports entre la danse, l’art déclamatoire et l’orchestre qui est une vraie fusion, une vraie harmonie. Voilà, je crois qu’on a prouvé que cela avait un intérêt sur ‘Le Bourgeois’ et maintenant sur une tragédie lyrique.»

La musique baroque constitue un chapitre important aussi dans l’histoire de la musique tchèque. N’avez-vous pas envie d’adopter des compositeurs tchèques de la période baroque dans votre répertoire?

«Oui, il y a des compositeurs fabuleux que je trouve extraordinaires et que j’aurais envie de jouer. Mais la vie est trop courte. Zelenka par exemple est un compositeur magnifique. Simplement, c’est peut-être un peu plus la musique du XVIIIe, que j’aborde aussi mais plus rarement. Et c’est une question de temps. Je n’ai pas le temps pour faire toutes les musiques que j’aimerais donner. Mais si l’occasion se présente, bien sûr, ce serait un rêve. »

Qu’est ce qui manque aux interprètes actuels et au public pour mieux s’ouvrir à la musique baroque? Nous savons probablement de mieux en mieux jouer cette musique. Savons-nous aussi l’entendre, savons-nous l’écouter comme elle le mérite?

«Je crois qu’il ne manque rien au public, je crois que les gens entendent très bien. S’il manquait quelque chose, ce serait plus dans le domaine de la passation entre un artiste et un public. Les personnes qui font passer le message, qui donnent la possibilité à l’artiste d’être entendu, ça peut être un directeur de maison de disque, ça peut être un directeur de salle de spectacle. C’est peut-être là ce qui pourrait être encore amélioré pour que le public ressente la musique et l’apprécie. En général la musique ancienne remplit les salles parfaitement.»