« Le Poème harmonique » - une autre vision de la musique baroque
«Une soirée à Venise » - tel est le titre de la dernière manifestation du festival «Les festivités d’été de musique ancienne ». L’ensemble français « Le poème harmonique » a préparé pour le public pragois un programme de musique vénitienne du XVIIe siècle. L’occasion pour Vaclav Richter de poser quelques questions sur ce répertoire et sur la musique baroque en général au chef de l’ensemble, Vincent Dumestre. Voici la première partie de cet entretien.
Comment définir la production que vous présentez à Prague, est-ce un concert, un spectacle musical ou peut-être une représentation de théâtre?
«C’est vraiment un concert, c’est un projet de concert qui a évolué puisqu’il a démarré sur une forme de concert traditionnel avec des présentations de musiques vénitiennes jusqu’à devenir effectivement un concert mis en espace, mis en gestes avec le travail de Benjamin Lazar, une rampe de bougies, un travail je dirais scénographique très léger mais basé sur les geste des chanteurs.»
Nous connaissons bien sûr Monteverdi qui figure au programme du concert, mais les noms comme Marini, Manelli, Ferrari sont moins connus et on n’entend pas souvent leur musique. Pourquoi ces musiciens et quelle a été leur place dans la vie musicale vénitienne?
«Je les ai choisis par affection et par intérêt pour la musique. Je dirais que ce sont les compositeurs qui m’ont intéressé tout au début de la création du Poème harmonique. A l’époque où je cherchais des compositeurs autour des grandes figures, comme Monteverdi que vous citez, ou Cavalli. Et il se trouve que Manelli est l’inventeur de l’opéra vénitien, c’est-à-dire que c’est la personne qui a créé les premiers opéras vénitiens. Malheureusement on a perdu tous ses opéras. Il a écrit 25 opéras et on a tout perdu. Il ne reste que des bribes de son travail avec Ferrari, quelques airs, quelques récits probablement tirés d’opéras. Et on a des sources qui prouvent qu’une musique écrite par un compositeur qui s’appelle Fasolo serait en fait de lui. C’est à dire que Fasolo serait son surnom qu’il a avait pris pour écrire une musique beaucoup plus légère, pour le carnaval, pour l’extérieur, des choses simples, des musiques populaires. Donc c’est intéressant pour un compositeur d’avoir deux figures, une sérieuse et une moins sérieuse.
Mais, d’une manière générale, avec le Poème harmonique, c’est un peu le travail que l’on fait, c’est d’essayer de montrer un autre baroque, une autre vision de la musique baroque, entre autres montrer tout simplement l’aspect des compositeurs un peu moins connus et qui ont pourtant énormément d’intérêt.»
Votre ensemble joue surtout la musique du XVIIe siècle. Pourquoi cette période, puisqu’on dirait que la musique baroque s’est épanouie vraiment dans la première moitié du XVIIIe ? Peut-on résumer les différences substantielles entre la musique du XVIIe et celle du XVIIIe siècles?
«Je ne dirais pas que la musique baroque s’épanouit au XVIIIe siècle. Je dirais qu’elle se transforme, se métamorphose, trouve d’autres centres d’intérêt et notamment une forme de virtuosité qu’on adopte, virtuosité technique de chanteur par exemple, mais qui fait parallèle à une virtuosité plus sensible d’un chanteur au XVIIe siècle. Au XVIIe le chanteur s’appuie uniquement et très fortement sur le texte qu’il déclame. La naissance de cette musique intervient vraiment avec la naissance du baroque. C’est une époque où le chanteur est totalement dans le texte, il doit exprimer la poésie. Quand on passe au XVIIIe siècle le chanteur exprime plus sa personnalité, sa virtuosité. Ce sont deux écritures différentes.
J’avoue ma préférence pour une musique jusqu’à dans les années 1640 - 1650 où il y a une recherche extraordinaire parce que la tonalité n’est pas encore mise en place dans la structure musicale en Italie. Après les marches harmoniques, toutes les carrures d’écriture musicale sont plus connues, plus répertoriées et la musique de cette époque-là m’intéresse moins. Avec des exceptions, il y a évidemment des choses fantastiques mais de mon goût, je dirais effectivement que je suis plus attiré par ce qu’on appelle le premier baroque.»