Un âge d’or des relations tchéco-allemandes
Le touriste qui se promène aujourd'hui dans certains Länder de l'est de l'Allemagne pourra constater, de manière épisodique, quelques traces d'influence tchèque : des noms de rue se rapportant à la Bohême jusqu'aux photos du chanteur Karel Gott dans certains restaurants ! Aussi superficielles soient-elles, ces traces rappellent que régions tchèques et allemandes vécurent, durant le Moyen-Age dans une grande perméabilité réciproque.
Certes, des relations approfondies entre mondes tchèques et germaniques existaient-elles déjà auparavant. Au Xe siècle, l’évêque Adalbert, Vojtěch en tchèque, avait étudié à Magdebourg, dans l’empire germanique. L’évêque de Prague, Daniel, jouera un rôle de premier plan dans la participation tchèque à la politique impériale des Hohenstauffen, marquée par une lutte de légitimité avec la papauté. En 1158, le Přemyslide Vladislav II obtient de l’Empereur le titre de roi de Bohême. Il faudra attendre 1204 pour le que le pape reconnaisse la seule validité de ce titre et on comprend mieux l’implication des Přemyslide dans la politique impériale. La même année, la Bohême participe à l’expédition impériale contre Milan et les succès militaires tchèques seront rappelés par des nombreuses chroniques médiévales, dont les Annales de Vincenci. En 1182, une rencontre entre les nobles tchèques et Frédéric Ier Barberousse, à Ratisbonne, aboutit à la crétion du margraviat de Moravie, avec à sa tête Conrad de Znojmo.
Mais c’est au XIIIe siècle que les terres tchèques cessent d’être habités par une seule nation et que prend forme, jusqu’à 1948 au moins, leur visage bi-national. Est-ce à dire, que, du Moyen-Age jusqu’au lendemain du conflit mondial et à l’expulsion des Sudètes de Tchécoslovaquie, le lien serait continu ?
Dater du XIIIe siècle l’apparition d’une conscience Sudète n’a aucun sens. Le concept de conscience nationale est à peine en gestation à l’époque médiévale. Et les faits démentent l’idée d’un conflit entre colons allemands et populations tchèques.
Certes, au XIIe siècle, des conflits très localisés résultent de l’incursion de collons allemands, en particulier dans la région de Loket. Dans les zones frontalières, certains seigneurs installent des serfs chargés de monter la garde. Mais les colons allemands vivants dans le royaume de Bohême sont soumis à l’autorité du souverain et ils sont intégrés au fonctionnement de la société féodale, qui se développe alors. Pour l’héritage des terres, les seigneurs allemands sont ainsi représentés par un locator, chargé de l’affermage.
Loin de former un ensemble homogène – ils parlent souvent des dialectes différents – les collons allemands s’identifient d’abord à leur seigneurie ou à leur ville et finalement à la société tchèque environnante, participant également au développement du royaume. Le roi premyslide Venceslas II sera même l’auteur de quelques chansons allemandes, tandis que les Minnesänger Ulrich von Etzenbach et Heinrich von Meissen se produisent à la cour de Bohême.Il faut d’ailleurs noter que les mobilités démographiques s’opèrent parfois dans l’autre sens. Ainsi la ville de Dresde, dans le sud-est de l’Allemagne, à environ 150 km de Prague, a été en partie fondée par des colons tchèques. En témoignent, dans le quartier de Neustadt, la Böhmischer Strasse, ou encore la Prager Strasse, dans la vieille ville.
Avec le règne de Charles IV de Luxembourg, roi de Bohême mais aussi chef du Saint-Empire romain germanique, Prague prend la tête de la Chrétienté et connaît un âge d’or sans précédent. Pour un temps, c’est de la captiale tchèque que part l’impulsion du pouvoir, sur un territoire rassemblant les maisons de Luxembourg, des Habsbourg et des Wittelsbach. En 1356, la bulle d’Or proclamée aux diètes de Nuremberg et de Metz consacre officiellement la position du royaume de Bohême, premier parmi les Electeur laïques.
La fin du règne de Charles IV clôt une période particulièrement constructive dans les relations germano-tchèques, avant l’âge des Habsbourg et des grands conflits européens.