Jarmila Najbrtová-Lorencová reçoit une haute décoration française
Une petite cérémonie a eu lieu ce lundi dans un vieil appartement de Prague. Plusieurs personnalités officielles et un cercle d’amis y ont assisté à la remise de la médaille de Commandeur de l'Ordre des Arts et des Lettres à Mme Jarmila Najbrtová-Lorencová, ancienne employée de la Bibliothèque française de Prague.
Mme Jarmila Najbrtová-Lorencová a travaillé à la Bibliothèque française de Prague dans les années soixante et soixante-dix, à deux époques qui se sont succédées mais qui ont été bien différentes l’une de l’autre : celle du Printemps de Prague qui a été pleine d’espoir, et celle de la "normalisation" qui a vu les espoirs s’effondrer après l’invasion des troupes soviétiques. Lors de la petite cérémonie de ce lundi, M. Lucien Chamard-Bois, à l’époque secrétaire du service culturel de l’Ambassade, a évoqué ces périodes dans la vie de Jarmila Najbrtová-Lorencová qui était beaucoup plus qu’une simple bibliothécaire:
«Comme je ne manquais pas de naïveté, je ne remarquais pas que vous saviez passer l’information utile à ceux qui, politiquement, se sentaient ou se savaient encore mal venus dans ce lieu. Les courageux qu’ils fussent enseignants, écrivains, traducteurs, étudiants ou simples lecteurs, recueillaient là des informations par le truchement des journaux, les périodiques interdits dans la rue et ailleurs, mais que complaisamment vous abandonniez à leur lecture. Vous saviez à qui prêter tel ou tel imprimé et quel bon usage en serait fait par la suite. C’était là votre tâche invisible mais essentielle. Après l’invasion de 1968, il y a eu des jours, je m’en souviens bien, où vous repreniez votre poste, la mine sombre, le visage fermé. Nous comprenions alors que vous aviez du subir une rencontre interrogatoire avec les autorités dont normalement vous ne releviez pas. Cependant vous continuiez à communiquer à des lecteurs sûrs les livres et les journaux qui, comme le monde, étaient interdits.»
Pour Mme Najbrtová-Lorencová la décoration qui vient de lui être remise raffermit encore les attaches qui la lient avec la France:
«Je me sens encore beaucoup plus liée avec la France et sa culture, particulièrement avec la littérature française qui était la nourriture terrestre de ma jeunesse. J’ai eu la chance de travailler dans la Bibliothèque française ouverte en 1967et il faut dire que la bibliothèque et la salle de lecture sont devenues une île de liberté dans notre vie sombre de l’époque. La salle de lettres était toujours pleine et les lecteurs étaient très contents. Nos amis français, Roselyne Chenu et Roger et Irène Errera, venaient souvent à la bibliothèque, avec des livres, des médicaments et une matérielle qu’on pouvait distribuer aux personnes persécutées. Cette face cachée de la Bibliothèque a fonctionné malgré la police et la surveillance qui était assez grave. Maintenant c’est du passé, tout cela, ce sont les neiges d’antan, mais pour l’époque c’était une grande aide et un grand secours apportés aux Tchèques.»
Aujourd’hui, malgré l’âge et la maladie, Mme Jarmila reste ouverte au monde et ne perd pas l’esprit et l’humour. C’est avec émotion qu’elle a entendu ces paroles prononcées par Lucien Chamard-Bois:
«Chère Jarmila, votre fidèle attachement à la culture française et la peine que vous avez prise dans la défense de cette culture française au milieu des difficultés quotidiennes et les tracasseries policières dont je fus l’un des témoins, méritaient reconnaissance et hommage de la part de la France. (…) Cette année le ministère de la Culture et de la Communication en la personne de Mme Christine Albanel vous nomme Commandeur des Arts et des Lettres qui est le plus haut grade dans cet ordre. Je suis heureux et fier que vous m’ayez demandé de vous remettre cette cravate ce que je fais avec beaucoup d’émotion au souvenir d’un temps dont vous n’avez jamais douté qu’il s’ouvrirait sur un avenir plus lumineux…»
Nous aurons encore occasion de reparler sur les ondes de Radio Prague de la vie de Jarmila Najbrtová-Lorencová et nous évoqueront aussi les années soixante et soixante-dix à la Bibliothèque française avec Lucien Chamard-Bois.