« Ici là-bas », ou la poétique de la différence

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Mercredi 20 et jeudi 21 mai, le centre culturel Zahrada, situé dans la « ville du Sud » ou le 11ème arrondissement de Prague, a accueilli la troupe lyonnaise Image Aiguë venue présenter sa pièce « Ici là-bas » dans le cadre du festival « Street for Art ». Dans ce spectacle, la metteur en scène Christiane Véricel montre une fois de plus que les différences de générations, d’origines ou de langues sont loin d’être un obstacle mais plutôt une richesse qu’elle met en valeur.

Christiane Véricel dirige la compagnie Image Aiguë à Lyon depuis 25 ans. Parce qu’elle voulait faire un théâtre différent du théâtre traditionnel avec du texte, elle a créé des spectacles qui intègrent des enfants, des adolescents et des adultes, rencontrés dans un premier temps dans les quartiers difficiles de la ville, qui parlent sur scène dans leur langue d’origine. La pièce « Ici là-bas » entre dans le cadre d’un projet européen qui suit la présidence tournante de l’Union européenne. Pour les représentations en République tchèque, Christiane Véricel a donc fait appel à des acteurs tchèques : deux enfants et une comédienne-chanteuse. Elle explique la façon dont elle travaille :

« Il y a toujours une structure culturelle qui fait appel à nous parce qu’on fait un travail particulier. Nous avons été invités ici à Zahrada pour faire ce travail sur le quartier de Prague 11. Comme chaque fois, nous commençons par des rencontres dans des écoles ; l’école qui nous a été désignée, c’est l’école voisine. Et là nous rencontrons tous les enfants. C’est ce qui me plait dans l’école, on a tout le monde. Et nous donnons une ou deux leçons de théâtre avec les comédiens de la compagnie, en posant de façon évidente la règle de la communication entre comédiens et spectateur – l’importance du comédien mais aussi l’importance du spectateur.

A l’issue de cette leçon de théâtre, où certains enfants, ceux qui le souhaitent, jouent des petites scènes, des scènes très courtes avec les comédiens, il me semble que certains enfants ont plus envie de faire du théâtre ou sont plus intéressés ou plus concentrés. Ce sont ceux-là que nous invitons en atelier extrascolaires et ensuite petit à petit à une sensibilisation théâtrale et puis à une participation au spectacle, en soulignant que ce qui m’intéresse bien sûr, c’est de faire le spectacle avec quelques-uns mais c’est aussi l’impact que l’on peut avoir sur le quartier avec ce théâtre qui est très populaire. Pour moi le rapport au spectateur est très important, c’est-à-dire que ce n’est pas seulement jouer le spectacle, c’est aussi voir et me semble-t-il, avec bonheur. »

C’est un spectacle très métaphorique avec de nombreux thèmes abordés. On sent une démarche engagée. Quels sont les différents messages que vous voulez faire passer ?

« Depuis très longtemps, je travaille inspirée par l’actualité, mais on s’aperçoit très vite que ce sont des thèmes pérennes et que ces problèmes ont toujours existés. Je suis extrêmement intéressée par le problème de la cohabitation, ou plutôt la difficulté que chacun peut avoir à trouver sa place dans le monde ou dans l’Europe, quelles qu’en soient les raisons. C’est souvent parce que ce sont des immigrés, parce qu’ils n’ont pas les moyens de survivre mais il y a aussi des gens qui ont du mal à trouver leur place parce que leur relation avec les autres se font mal. C’est ce qui me plait d’évoquer et même si on montre cette violence parce que les gens sont serrés, ils sont gênés par le voisin, il y a en même temps une tendresse et de l’humour, en tous cas je l’espère.

J’essaie de ne pas trop être didactique et surtout, dans la vie courante, on ne vit jamais qu’une chose à la fois. Heureusement, on a toujours une richesse de vécu et d’impressions qui arrivent en même temps. Donc même si je parle de la cohabitation de façon simple pour que tout le monde puisse entrer dans mes histoires, je pense qu’après, je l’espère, elles sont aussi complexes que peut l’être la vie. »

On trouve aussi l’idée de la force de l’art, par la danse, par la musique, face au pouvoir. Est-ce que c’est quelque chose que vous voulez montrer ?

« Pour moi, le rapport à la musique est quelque chose de très ambigüe. On est toujours sous le charme de la musique et parfois ce sont des musiques formidables mais parfois ce sont des musiques qui nous emprisonnent. Et je pense qu’il est bien de connaitre cette ambigüité pour garder une certaine liberté. Il y a ce personnage qui refuse toute musique mais je crois que c’est parce qu’il est tellement dans son pouvoir à lui qu’il a peur de tout. »

Vous travaillez sur les thèmes de la différence, de la cohabitation depuis plus de vingt ans. Est-ce que ces thèmes sont bien reçus ? Voyez-vous une évolution par rapport aux réactions du public ?

« En 25 ans, j’ai acquis un savoir-faire et une expérience de voyage qui me permet de ressentir et d’affiner mon ressenti par rapport aux cultures que je croise et donc de pouvoir mieux en parler au public. C’est une évolution personnelle et ça m’est plus facile d’ne parler. Par rapport au public, si votre question est de demander si ça se passe mieux maintenant qu’avant, franchement, je ne le crois pas. Je pense que je ressens de plus en plus le besoin d’exprimer ce que nous disons sur scène, c’est-à-dire que la tolérance est indispensable, qu’il faut vraiment que chacun trouve sa place, un toit et de quoi vivre, et se méfier du pouvoir. Même si ces thèmes sont abordés avec humour, sur scène, ils nous touchent tous au sein de la compagnie énormément, parce que certaines personnes de la compagnie ont un vécu ou ont eu un vécu difficile. Et on a vraiment à cœur d’apprivoiser le public par l’humour pour arriver, je l’espère, à le toucher. »