Philippe Ducros, poète citoyen

Philippe Ducros, photo: Maxime Côté
0:00
/
0:00

Philippe Ducros est un homme de théâtre québécois. Auteur, acteur, metteur en scène, mais aussi photographe, il sillonne la planète et alimente son écriture de ces voyages. S’il écrit sur la guerre en Yougoslavie, il part sur place ; s’il choisit de parler du conflit israélo-palestinien, il est également dans la région, où il va à la rencontre des gens. Et pourtant, ce n’est pas du documentaire ni du reportage. C’est le regard d’un artiste sur les soubresauts de ce monde. Philippe Ducros était à Prague en prévision de la 8e édition du festival Afrique en création qui commence mercredi prochain. Il est l’invité de Culture sans frontières cette semaine...

Philippe Ducros vous êtes invité du festival Afrique en création. Une de vos pièces, Boulevard Sauvé va être donnée dans le cadre de ce festival, et elle s’inscrit dans un projet intitulé ‘A la maison’. Ce projet de trois pièces sera joué le 20 mars prochain, à l’Institut français de Prague. Pourriez-vous nous parler de ce projet ?

« Le projet se compose de trois textes, de vingt minutes chacun, qui tournent autour du thème de la maison. C’est une coproduction entre trois compagnies : la compagnie 3C de Lomey au Togo, dirigée par Rodrigue Norman, le théâtre du Mantois, de Mantes-la-Jolie, dirigé par Eudes Labrusse et Jérôme Imard et ma compagnie, Hôtel-Motel de Montréal. Nous avons tous écrits un court texte autour du thème de la maison qui devait être joué par deux comédiens. Le but, c’était d’aller monter le spectacle, à Lomey, au Togo et de le diffuser dans les domiciles : on joue chez les gens, dans leur salon... mais on a aussi un peu triché, on a joué dans des bibliothèques, des universités, sur des places publiques... C’est ce spectacle qui va être joué pour deux représentations en République tchèque, à Prague et à Hradec Králové. Ce sera joué par Rodrigue Norman et Jérôme Imard eux-mêmes. »

Trois auteurs, donc, trois auteurs de pays et de continents différents. Je suppose que vous avez des perceptions de la ‘maison’, du chez-soi, de l’appartenance à un lieu, très différentes. Vous-mêmes êtes québécois. Les québécois sont d’origine française, mais sur le continent américain...

« Une chose est sûre, au Québec, ça fait longtemps qu’on ne se sent plus d’origine française, mais qu’on se sent bel et bien d’origine américaine. Je parle bien sûr du continent, pas des Etats-Unis. Ce rapport-là à la France ne fait plus du tout partie de notre mode de vie, à part le fait que l’on parle français. Sinon, oui, l’appartenance à la maison est vécue différemment selon les continents. Etant donné que l’action se passe en Afrique j’ai pris un malin plaisir à faire que l’action se déroule la journée de Noël, il fait - 30 degrés dehors, et une bonne partie de mon texte parle des méthodes que l’on a pour isoler nos maisons face au froid. La pièce parle entre autres d’un vieillard qui est très pauvre donc qui n’a pas isolé ses fenêtres. Il se réchauffe devant sa cuisinière. En plus, les trois pièces sont sur trois registres différents : la première est plus de l’ordre de la farce, la deuxième plus absurde et je finis la soirée avec quelque chose de plus sérieux, un peu plus ‘coup de poing’. »

D’après ce que j’ai pu comprendre des différents thèmes que vous abordez dans vos pièces – je pense à L’affiche, une autre pièce qui parle de l’occupation en Palestine, ou bien à cette pièce, Boulevard Sauvé, ou une autre qui évoque le massacre de Srebrenica, vous avez des thèmes extrêmement actuels. Est-ce important pour vous de parler de l’actualité ? Vous sentez-vous en résonnance avec ce monde-là ? Avez-vous besoin un besoin intime d’en parler ?

« Oui, j’ai définitivement un besoin intime de parler de ça. On me dit souvent que je parle de choses qui sont très loin, et pourtant j’ai l’impression de parler de moi à chaque fois. Je me sens très impliqué et j’ai un grand sentiment de responsabilité face à ce qui se passe dans le monde. Je trouve que l’artiste a, tranquillement, au fil des dernières décennies, laissé sa place de citoyen dans le monde, pour parler d’autres sujets, probablement très importants à l’époque. Je revendique le retour du citoyen dans le travail artistique et la prise de responsabilité qui découle de nos sociétés. Ça m’est aussi très intime car j’ai l’impression d’être un citoyen du monde, je me suis beaucoup formé en tant qu’être humain et en tant qu’artiste sur les routes dans une espèce d’errance et un mode de vie un peu nomade. J’applique cette vision du monde-là et cette construction intérieure à mon art. Quand je prends la parole sur scène, j’ai besoin d’avoir quelque chose à dire, et peut-être naïvement, besoin de dire quelque chose qui m’est urgent, qui est ma position par rapport à ma société. Etant donné que le théâtre est un moyen de communication, quand on prend la parole, il faut avoir quelque chose à dire. »

Vous alimentez vos écrits par vos voyages. Vous êtes un vrai globe-trotter, d’ailleurs le nom de votre compagnie évoque le voyage... N’avez-vous pas l’impression d’être un peu un troubadour des temps modernes ?

« C’est un beau terme, troubadour... Je fais définitivement partie des mouvements de ces nouveaux nomades. J’ai commencé à voyager assez jeune. A un moment je me suis dit que j’allais arrêter de voyager pour ne pas que le voyage devienne une fuite, à moins que le voyage ne soit relié directement à un projet artistique. Je me suis mis à voyager encore plus que jamais ! Il y a dans la communauté québécoise une place qui était libre et que j’ai prise : ce besoin de faire miroiter notre mode de vie avec le reste du monde. On est arrivé à une étape dans notre vie neuve de pays neuf où on a le besoin de se positionner par rapport au reste du monde. »

Vous dites trouver triste que les gens aujourd’hui estiment que les poètes sont des personnes risibles. Est-ce que le monde est devenu aussi cynique ?

« En France, il y a eu un mouvement de réhabilitation du poète, dont Olivier Py fait partie avec le théâtre de l’Odéon, Lagarce... C’est le poète dans son mode de vie, pas nécessairement celui qui écrit des poèmes. Chez nous, c’était un peu risible. Les gens se moquaient beaucoup des poètes. La poésie n’est pas lue, c’est ce qui se vend le moins, les gens ne s’intéressent pas à la poésie. Moi je n’ai jamais publié de poèmes, peut-être que je le ferai un jour. Mais il s’agit surtout de la place de la poésie dans mon travail d’artiste. Mes pièces sont des pièces de poète. Ce positionnement-là, j’ai envie de le revendiquer : la poésie comme mode de vie, et dans tout son côté subversif, où les mots deviennent les pierres les plus efficaces à lancer. Je fais partie d’une tradition américaine de théâtre, en ce moment il y a un mouvement très fort vers le naturalisme. Moi je revendique aussi la prise de parole, le mot. J’aime beaucoup les mots, même si je m’en méfie beaucoup. Je suis un dyslexique et c’est finalement très étonnant que je me retrouve à être auteur. J’ai toujours eu un rapport très étonnant aux mots, à la grammaire, au français. »

Pour terminer cet entretien, une petite curiosité... Vous avez fait une lecture au Festival du Jamais lu. Une des salles où vous avez lu s’appelle ‘O patro výš’, qui veut dire, en tchèque, ‘A l’étage supérieur’. Comment se fait-il qu’il y ait une salle avec un nom aussi tchèque à Montréal ?

« C’est une petite salle de cabaret et de spectacle où se déroule le Festival du Jamais lu, qui est un très beau festival de nouveaux textes, qui n’ont jamais été lus au théâtre. Le ‘patro výš’ est en haut d’un autre bar qui s’appelle le Bílý kůň (le cheval blanc, ndlr). Son propriétaire est un brasseur et il y a une bière qui s’appele le cheval blanc. Peut-être est-il d’origine tchèque, je ne sais pas... »

‘A la maison’, triple représentation de pièces (dont celle de Philippe Ducros, Boulevard Sauvé), c’est le 19 mars au Théâtre Klicpera à Hradec Králové et le 20 mars au café de l’Institut français de Prague. Plus d’informations : www.ifp.cz et www.afrikaonline.cz.