Le hockey tchèque, un siècle d’un sport phénomène de société

Nagano, 1998, photo: CTK

« Un siècle de hockey tchèque » : tel est l’intitulé d’une exposition qui se tient actuellement, et jusqu’à la mi-mars, au Musée national de Prague. L’occasion de rappeler aux plus jeunes générations que plus que tout autre sport, le hockey sur glace a souvent tenu une place prépondérante dans l’histoire contemporaine du pays, notamment pendant l’occupation du pays sous le régime communiste. Aujourd’hui encore, le hockey reste en République tchèque un phénomène qui dépasse, parfois, le cadre du sport.

Nagano,  1998,  photo: CTK

« Réécrivez l’histoire, la République tchèque est championne olympique de hockey sur glace ! »

Il est six heures du matin le 22 février 1998, lorsque les Tchèques sont sacrés champions olympiques de hockey pour la première fois de leur histoire. Le commentateur de la Télévision publique baigne dans l’euphorie. Après avoir battu à la surprise générale les Etats-Unis et même le Canada en quarts puis en demi-finales du tournoi olympique de Nagano, au Japon, Jaromír Jágr, Dominik Hašek et leurs coéquipiers viennent à bout en finale de la Russie, grâce à un but de Petr Svoboda, un joueur émigré au Canada avant la révolution en 1989 et dont le nom, traduit en français, signifie « liberté ». Tout un symbole !

Photo: CTK
Depuis trois jours et la qualification aux dépens des Américains, le pays s’est pratiquement arrêté de vivre pour suivre les exploits de ses héros à l’autre bout du monde. Dans les écoles, le vendredi matin, jour de la demi-finale contre les Canadiens, la retransmission du match en direct remplace les heures d’enseignement. Et dans les bureaux, on ne parle de plus rien d’autre que de hockey.

Le lendemain de la finale, malgré le froid, des centaines de milliers de personnes se réunissent sur la place de la Vieille Ville pour accueillir les joueurs. Jamais autant de monde ne s’était rassemblé depuis les manifestations qui avaient entraîné la chute du régime communiste.

Une nouvelle fois, en République tchèque, le hockey sur glace a dépassé le simple cadre du sport pour devenir, sans exagération, un phénomène de société.

En 2008, année anniversaire s’il en est avec le 90e anniversaire de la fondation de la Première République tchécoslovaque, le 60e du Coup de Prague et le 40e de l’écrasement du Printemps de Prague, la Fédération tchèque de hockey sur glace a elle aussi célébré le centenaire de sa naissance. Pour marquer le coup, le Musée national a mis sur pied une exposition intitulée « Un siècle de hockey tchèque ». Installé entre les maillots frappés du Lion de Bohême et les dizaines de médailles, dans les couloirs de l’imposant bâtiment qui domine la place Venceslas, Vojtěch Scheinost, responsable du département de l’histoire de l’éducation physique et du sport du Musée national, nous a présenté l’objectif de cette exposition :

« Il s’agit avant tout de présenter au public un des sports préférés des Tchèques, dans lequel ceux-ci ont obtenu quelques-uns des plus grands succès de leur histoire sportive. Nous voulons aussi montrer que les Tchèques ont contribué au développement du hockey dans le monde à ses débuts en s’impliquant notamment dans la création de la Fédération internationale. Et puis c’est l’un des rares sports collectifs dans lesquels ce petit pays a toujours fait partie des grandes nations européennes et même mondiales avec le temps. En un mot, nous voulons rappeler que le hockey est ici un phénomène. »

Dès son arrivée dans ce qui était alors encore l’Autriche-Hongrie, le hockey s’est enraciné dans les Pays tchèques, très vite adopté par ses pratiquants. Ce n’est toutefois qu’après la Deuxième Guerre mondiale que le hockey sur glace est devenu ce qu’il est aujourd’hui : un moyen de reconnaissance internationale pour les Tchèques. Un moyen de s’affirmer aussi, comme l’explique Vojtěch Scheinost :

« Cela est sans doute le plus évident pendant la période communiste et la rivalité extrême avec l’Union soviétique. Pour l’anecdote, ce qui est amusant, c’est qu’après la guerre, ce sont les Soviétiques qui ont invité les Tchèques à venir chez eux pour que ceux-ci leur fassent découvrir le hockey sur glace, le hockey dit ‘canadien’. Les Tchèques ont parfaitement rempli leur mission, puisque en quelques années seulement, les Soviétiques ont fait partie de l’élite mondiale et sont devenus pratiquement imbattables. Mais pour en revenir à cette rivalité sous le communisme, le contexte politique de l’époque faisait que les matchs se déroulaient dans une atmosphère presque de guerre. Les Tchécoslovaques voulaient se venger de ce qui s’était passé en 1968 et de l’occupation du pays en battant les Soviétiques sur la glace. »

Deux des matchs les plus mémorables de l’histoire du hockey tchèque et slovaque restent les deux victoires obtenues en l’espace d’une semaine contre l’URSS en mars 1969 au Championnat du monde. Sept mois à peine après l’invasion du pays par les chars soviétiques, les Tchécoslovaques ont le sentiment de se venger et entendent le faire savoir à l’occupant honni. Après la deuxième victoire, ils descendent par dizaines de milliers dans les rues du centre de Prague. Vojtěch Scheinost se souvient :

« Les hockeyeurs n’avaient qu’un but : rendre leur monnaie de la pièce aux Russes. Et ils ont tout donné dans ces deux matchs. Ils n’ont finalement pas été sacrés champions du monde, mais tout le monde s’en moquait au pays. Les Russes avaient été battus et c’était l’essentiel. Et les manifestations qui s’en sont suivi étaient le reflet de l’atmosphère qui régnait au sein de la population. Il n’y avait rien d’artificiel là-dedans. Les gens et les hockeyeurs ne faisaient vraiment qu’un à ce moment-là. »

Mais la politique, dont le rôle a progressivement disparu après 1989, n’est pas la seule explication au succès populaire du hockey auprès des Tchèques, toutes générations et tous sexes confondus, comme le confirme Vojtěch Scheinost :

« Le hockey est un sport qui ne plaît pas seulement aux hommes mais aussi beaucoup aux femmes. Les femmes disent souvent que le foot est trop lent, que les matchs durent trop longtemps et que les joueurs sont toujours à se rouler par terre. L’athlétisme ou le tennis ne sont pas des sports collectifs, on ne supporte pas de la même façon. Tandis que le hockey possède tous les ingrédients pour séduire les femmes. Il y a beaucoup de tension, c’est un jeu dynamique, très rapide, bref il se passe toujours quelque chose. Quand vous allez dans les patinoires, les femmes composent la moitié du public. Et puis toutes les générations sont présentes, du grand-père au petit-fils. C’est une autre explication au phénomène hockey en République tchèque. Pour les gens, un grand match de hockey est l’occasion de sortir le drapeau national et de supporter l’équipe nationale sur les places devant les écrans géants. »

Et le mot de la fin revient à Jirka, 16 ans, venu à l’exposition en compagnie de son père, un nostalgique, lui, des années 60-70 :

« Nous sommes un petit pays, c’est vrai, mais il y a au moins une chose où nous sommes les premiers, et c’est le hockey ! »