Le meilleur de la culture 2008 (II)

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Pour cette première émission culturelle de l’année 2009, je vous souhaite tous mes meilleurs vœux de bonheur et de santé pour cette année à venir... Et avant de clore définitivement l’année 2008, nous continuons tout de suite avec les meilleurs moments écoulés.

On commencera en retrouvant le destin extraordinaire de Dora Diamant, la dernière maîtresse de Franz Kafka, et des derniers écrits de celui-ci. C’est une chercheuse américaine au nom éponyme, Kathi Diamant qui s’est intéressé à cette femme... Elle était à Prague en juin dernier:

« Dora a dit qu’elle avait brûlé certains des écrits de Kafka, à sa demande, alors qu’il était allité et mourant. Il a insisté pour qu’elle les détruise, et elle l’a fait. Mais elle n’a pas brûlé la majorité... »

C’est à 19 ans que Kathi Diamant découvre l’histoire du dernier amour de Kafka :

« Nous étions en cours de littérature étrangère à la fac, et nous traduisions La métamorphose de Kafka. Le professeur a interrompu le cour et s’est tourné vers moi en disant : ‘Fräulein Diamant, êtes-vous de la famille de Dora Diamant ? A 19 ans je ne connaissais pas Kafka, je ne savais pas qui elle était... Il a dit qu’elle était la dernière maîtresse de Kafka et qu’elle avait brûlé ses écrits. J’ai dit qu’elle était peut-être de ma famille, que j’allais chercher. Mais après toutes ces années, la seule question à laquelle je n’ai pas répondu, c’est celle-ci ! »

Dora Diamant était une jeune Polonaise issue d’une famille de Juifs hassidiques, une branche très orthodoxe et mystique du judaïsme en Europe centrale. Elle fuit le foyer familial pour vivre sa vie, se retrouve à Berlin, avec comme rêve : partir en Palestine pour bâtir un pays pour le peuple juif. Mais en 1923, elle rencontre Kafka sur la mer Baltique. C’est le début d’une intense relation, écourtée par la mort prématurée de l’écrivain avec qui elle s’installe à Berlin.

Franz Kafka souhaitait que ses œuvres soit détruites, un vœu que n’a pas respecté Max Brod, son exécuteur testamentaire et son meilleur ami. Dora Diamant, elle, a détruit certains écrits, mais finalement elle ment à Brod en ne lui parlant pas de ceux qu’elle a gardés. Kathi Diamant :

« Une des raisons pour lesquelles Dora a été largement ignorée par les chercheurs, c’est parce que les lettres que Kafka lui a envoyées, ses derniers carnets de notes, toute la documentation relatant leur vie ensemble a disparu. Tout a été volé par la Gestapo dans l’appartement de Dora en 1933, et à ce jour, aucun document n’a été retrouvé. Parce qu’il n’y avait pas de textes, il n’y avait pas vraiment de preuve de leur vie ensemble. »

Dora Diamant, prise de remords, avoue à Brod son mensonge et le supplie de retrouver les papiers. Après la guerre, Max Brod, qui vit à Tel-Aviv, lance des recherches avec un jeune spécialiste de Kafka, Klaus Wagenbach. Ils apprennent que les documents ont sans doute été transférés en Silésie, une région frontalière entre la Tchécoslovaquie et la Pologne, alors que Berlin subissait les bombardements des Alliés. Cette quête interrompue par le début de la guerre froide, Kathi Diamant souhaite l’accomplir aujourd’hui. En 1998, elle a reçu l’autorisation du Kafka Estate à Londres de lancer des recherches. A Berlin, elle trouve confirmation de la confiscation des documents par la Gestapo et découvre plus de renseignements sur Dora Diamant et sa vie après Kafka.

« A la chute du rideau de fer, le gouvernement allemand m’a dit de ne pas renoncer, que cela prendrait encore quelques années avant que les autorités ne sachent où toutes ces archives sont disséminées en Europe centrale. Et nous avons lancé ce Projet Kafka, un texte d’alerte qui a été traduit en tchèque, polonais, slovaque et allemand que nous distribuons aux archives, aux entrepôts, bibliothèques, mairies dans la région pour essayer de cibler où ces documents peuvent se trouver. »

Et Kathi Diamant a bon espoir que quelque part quelqu’un, un employé des archives ou d’une bibliothèque, puisse retrouver ces textes... Des écrits qui pourraient éclairer le personnage de Kafka sous un autre jour. Une chose est sûre pour Kathi Diamant, Kafka est devenu une sorte de caricature des personnages qu’il a inventés, des figures hantées et solitaires, loin de ce qu’était Kafka au quotidien.


En mai dernier, la charmante petite ville de Třeboň située dans le sud de la Bohême au milieu des étangs accueillait pour la 7e année consécutive Anifest, le festival du film d’animation... Břetislav Pojar est une légende du cinéma d’animation tchèque. A 85 ans, il continue de garder un œil grand ouvert sur ce qui continue de ce faire dans ce domaine. A Třeboň, il avait bien voulu se confier, en français, sur l’époque où il a fait ses armes d’animateur dans les années 1950 aux côtés de son mentor, Jiří Trnka, le grand maître des marionnettes. Une rencontre exceptionnelle.

« C’était une période de pionniers. Pendant longtemps ça a existé sans aucun contact avec l’étranger. Quand nous avons commencé avec Trnka, d’une certaine façon c’était plus difficile, mais d’un autre côté, c’était aussi plus intéressant. C’est toujours plus intéressant quand vous devez régler un problème… »

Quels sont les critères pour un bon film d’animation ?

« Il y a tellement de possibilités, c’est difficile à dire. Normalement, on attend d’un film d’animation qu’il raconte quelque chose autrement qu’un film avec des acteurs, avec plus de fantaisie, un autre aspect des choses. Finalement, aujourd’hui il y a tellement de techniques que cela dépend des auteurs et des producteurs. »

Vous parlez de techniques différentes, que pensez-vous du numérique ? L’avez-vous déjà utilisé ?

« Je l’ai déjà utilisé mais seulement comme une aide. Mais je n’ai jamais utilisé la 3-D. D’une certaine façon, c’est beaucoup plus parfait que l’animation à la main, d’un autre côté, ça limite la personnalité du créateur, parce que quand vous travaillez avec un ordinateur, le résultat final est toujours fabriqué. »

Vous voulez dire qu’on perd l’âme du créateur ?

« Oui, parce que la touche est indirecte. Normalement si vous faites un film d’animation, vous touchez les choses avec les mains, vous sentez, vous faites l’éclairage… Vous faites tout vous-même alors que dans le numérique, c’est la machine qui fait beaucoup de choses. »

Quelles sont les qualités pour être un bon réalisateur de film d’animation ?

« Dans tous les cas, il faut être un bon scénariste. Le scénario, c’est le fond, pour toutes les techniques. Sans un bon scénario, on ne peut pas faire un bon film. »


Lors de la fête nationale tchèque du 28 octobre 2006, le Centre tchèque à Paris faisait réinstaller un haut-relief représentant un des symboles nationaux : le Lion tchèque à deux queues, couronné. Un emblème en pierre qui est la réplique en plus petit d’un même haut-relief qui décora la façade du 18, rue Bonaparte à Paris de 1947 à 1997, jusqu’à ce qu’il soit malencontreusement cassé lors de la reconstruction du bâtiment.

A l’emblème s’attache une histoire, celle de son sculpteur et de sa famille. Une histoire entre la France et la Tchécoslovaquie, encore un destin marqué par celle de ce pays d’Europe centrale, agité par les soubresauts du XXe siècle. Milena Vlach vit à Paris, elle est la petite-fille du sculpteur. Son grand-père, l’artiste qui réalisa ce Lion tchèque s’appelait Jan Vlach (1904-1962), un artiste figuratif qui, auparavant, en Tchécoslovaquie, avait sculpté différents grands personnages de la Première république tchécoslovaque. Et comme de nombreux artistes tchèques dans les années 1920, il se rend en France pour parfaire son art :

« C’est au cours de ses études de sculpteur qu’il est allé en France, il a fait le tour de plusieurs capitales européennes. Et aussi Paris, où il a obtenu une bourse, pour étudier aux Beaux-Arts. C’était la première fois. Il y rencontre sa future femme, une Française, une peintre du nom d’Ondine Magnard, il l’épouse et le couple se partage entre Paris et Prague où ils ont chacun des expositions. Tout va bien jusqu’en 1938. Puis Hitler envahit la Tchécoslovaquie. Ils vont se réfugier en France en pensant échapper à la guerre, mais elle les y rattrape. Ils sont restés en France tout au long de la guerre. Le va-et-vient entre la France et la Tchécoslovaquie n’a pas pu se poursuivre car mon grand-père a choisi la France. Ma mère m’a raconté que la dernière fois qu’ils sont allés en Tchécoslovaquie, c’était pendant les vacances de Noël 1947. Ils sont donc partis début 1948 et le Coup de Prague a eu lieu en février. »

En 1947, Jan Vlach avait réalisé cet emblème, le Lion tchèque qui devait figurer sur le bâtiment du consulat tchécoslovaque, au 18 rue Bonaparte à Paris. Au moment de recevoir ses honoraires pour le travail qu’il avait réalisé, les communistes ont déjà pris le pouvoir. Jan Vlach refuse alors de toucher ne serait-ce qu’un centime venant de la poche des nouveaux dirigeants. Une intransigeance qui est sa marque de fabrique. Milena Vlach :

« Son geste est tout à fait emblématique de son attitude vis-à-vis du régime pendant toute sa vie. Il a toujours refusé de mettre son art au service d’un régime qui, pour lui, représentait l’oppression de son peuple. Il a donc refusé d’y mêler son nom. Malheureusement, il est mort avant que son œuvre ne soit réhabilitée. »


Autre personnalité tchèque qui m’a marquée cette année, Zuzana Hulka. C’est une peintre française d’origine tchèque. Elle émigre en 1978 et après quelques années en Tunisie, elle s’installe en France en 1981. Aujourd’hui, elle se consacre exclusivement à une création que les critiques désignent comme « abstraction lyrique ». Je lui avais demandé si elle se reconnaissait dans cette définition de sa peinture...

« On donne toujours des ‘sceaux’ aux peintres. Mais les critiques n’avaient pas tort pendant une longue période : je travaillais beaucoup de façon lyrique et gestuelle. Aujourd’hui on peut parler d’un lyrisme beaucoup plus maîtrisé. Mes références aujourd’hui sont plutôt des intenses pensées vers l’intérieur de moi-même ou d’un peintre et son monde intérieur. Il faut trouver un langage pour exprimer tout ça. »

Vous aimez la couleur en tout cas, ça se voit dans vos tableaux, où vous multipliez les aplats de couleur. Il se dégage de ces aplats qui se superposent sans se mélanger une impression presque musicale. La musique rentre-t-elle en compte dans votre création ?

« J’aime énormément la musique. Pour moi, les plus grands peintres, c’est Beethoven, c’est Janáček… Je compose ma peinture comme un compositeur construit sa musique. Ma démarche est assez semblable à celle du contrepoint. Je commence par exemple sur une grande surface blanche avec un sentiment, une couleur choisie. Je sais où elle va être placée, je sais dans quelle orientation elle va être placée. Ce premier pas franchi, je suis obligée d’ajouter une autre couleur. Après je travaille vraiment comme un compositeur. Dans ce travail qui se découle apparemment de façon libre, il y a un ordre très strict, très exigeant. J’obéis à ce qui se passe sur le tableau jusqu’au moment où le tableau se referme lui-même et je deviens son spectateur, le premier spectateur. Quand je dis qu’il se termine tout seul, ça signifie que rien ne gêne mon œil et je sens que peut-être il a ajouté un petit plus à mon travail. »