Le meilleur de la culture 2008 (I)
Pour les fêtes de fin d’année Radio Prague vous propose un petit « best of » de ce qui s’est passé dans le domaine culturel pendant l’année écoulée. Retrouvons les moments les plus intéressants passés avec des personnalités de la vie culturelle tchèque et franco-tchèque. Tout cela, ce sera dans la rubrique de cette semaine et dans celle de la semaine prochaine.
« Je revenais juste d’un voyage en Roumanie où je photographiais les Roms, je suis allé dormir, et au beau milieu de la nuit, vers trois heures, le téléphone a sonné. C’était une des mes amies qui m’a dit : les Russes sont ici ! J’ai raccroché en pensant à une blague. Mais elle a rappelé trois fois et elle m’a dit d’ouvrir les fenêtres et d’écouter. Et là, j’ai entendu le bruit régulier des avions. J’ai compris qu’il se passait quelque chose, j’ai pris mes appareils photo et je suis sorti. »
Quarante ans plus tard, Josef Koudelka est devenu le photographe tchèque le plus connu et le plus reconnu à travers le monde... Pourquoi justement ses photos, et non pas d’autres prises par d’autres photographes, sont-elles devenues célèbres ? Anna Fárová, historienne de la photographie et amie de Josef Koudelka :
« Parce qu’elles sont tellement prégnantes. Naturellement il y a beaucoup de photographes qui ont photographié ces événements. Il y a de bonnes photos parmi les photos de ces auteurs. Mais c’est la justesse de la vision, chez Koudelka, ses photos, on ne les oublie pas. On les garde en mémoire pour toujours. Ce que je souligne toujours chez Koudelka, c’est son esthétisme. Je dis toujours que comme il y a des personnes qui ont l’ouïe absolue, lui a la vision absolue. C’est un visionnaire absolu. Il voit, il dépeint la réalité par son objectif avec une maîtrise absolue. C’est ce qu’on retrouve dans toutes les étapes de son oeuvre, que ce soit le théâtre, les gitans, l’exil, ou même ses photos panoramiques. Il y a toujours cette composition spéciale, cette suite des ombres, des gris, des blanc, tout cela est dans une harmonie totale. Elles sont composées avec une telle virtuosité ! Mais ce n’est pas de l’art pour l’art : ses photos parlent en même temps... Il y a cette maîtrise de tous ces éléments, et en même temps, un esprit unique. »
En se replongeant dans les milliers de clichés de ses archives, pour la confection de son ouvrage Invasion 1968, Josef Koudelka a pu vérifier un principe éternel, la fragilité de la mémoire :
« Il y a une chose qui est intéressante quand on se plonge ainsi dans le archives : la mémoire peut être trompeuse, mais pas les photographies. Vous pouvez être totalement persuadé qu’un événement s’est déroulé totalement autrement qu’en réalité. »
En juin dernier, le festival de la culture rom Khamoro accueillait le guitariste manouche d’Alsace Yorgui Loeffler. Ce virtuose de la guitare est souvent comparé au grand Django Rheinardt. Alors, est-ce que cette comparaison n’est pas un poids un peu lourd à porter ? Son frère Gigi Loeffler avait d’abord tenu à répondre, avant de laisser la parole à Yorgui.
Gigi : « Django Reinhardt, c’est un sujet très sensible. Se proclamer le digne héritier de Django Reinhardt, non. Se proclamer de sa musique oui. Mais un Django Reinhardt il n’y en a qu’un. On va dire que le reste, ceux qui sont là maintenant, ce sont de très bons produits dérivés (rires). »
Yorgui : « C’est vrai que ça fait plaisir d’être un des héritiers de Django. Toute personne qui fait du jazz manouche, qu’il soit plus ou moins bon, c’est un héritier de Django. »
Est-ce que c’est facile aujourd’hui de faire du jazz manouche ? J’aurais tendance à dire que vous tombez à un bon moment, où les musiques traditionnelles ou ‘ethniques’ sont plutôt en vogue...
« Il paraît que oui. Mais bon, c’est une musique qui marche depuis Django. Il y a beaucoup de musiciens qui la jouent depuis longtemps, mais c’est vrai qu’elle est beaucoup plus populaire, commercialisée, surtout grâce à Internet aussi. »
Vous venez d’Alsace. C’est un territoire qui est proche de la Bohême en terme de culture. Proche des influences des Roms de l’Est, d’Europe centrale. Y a-t-il des similitudes entre la musique des Roms d’Europe centrale et la musique des Roms d’Alsace ?
« Oui, il y a beaucoup de similitudes. En sachant que Django, c’est quand même un musicien qui a exploité les musiques américaines, le jazz plus traditionnel, et les musiques des pays de l’Est. On est très influencés par les musiques de l’Est, parce qu’à la base, les manouches n’écoutaient pas de guitare. Enfin, je sais que mes grands parents c’était que le violon. Les plus grands musiciens sont dans les pays de l’Est. »
La musique est bien plus qu’une simple tradition folkorique dans la culture rom. La musique, c’est tout un art de vivre. Preuve de cette étroite connexion : le guitariste Yorgui Loeffler a, lui, une idée bien arrêtée sur ce que représente son instrument :
« C’est ma deuxième femme... »
Et comme Yorgui Loeffler est plus un homme musique qu’un homme de mots, c’est sur ces bonnes paroles qu’il a pris sa guitare, laissant à son frère Gigi le soin de préciser :
« Yorgui disait que la guitare c’est sa deuxième femme. Ça veut dire qu’il a sa femme de cœur, et la guitare, c’est une extension du corps et de l’esprit. Quand il se lève le matin, il va jouer de son intrument, il va être un peu infidèle à sa femme. Mais c’est spirituel... »
En mai dernier, le chanteur et harpiste breton Alan Stivell a donné un concert et a même joué avec un groupe tchèque ami, České srdce, en français, le Coeur tchèque. Car en effet, entre Alan Stivell et les Tchèques, c’est une longue histoire, comme il l’avait d’ailleurs confié lui-même avant son concert...
« J’ai connu un peintre tchèque qui s’appelle Reon et qui a habité plusieurs années en Bretagne. Il avait gardé ses relations avec la Tchéquie et connaissait Michal et Karel de České srdce. C’est un peu lui qui a voulu nous ‘marier’. Ca a abouti à un Noël celtique au Lucerna en 1991. C’était deux ans après la révolution. Ca a été très fort, un des plus forts souvenirs de ma vie. »
Après la révolution, cela veut dire que l’atmosphère devait être particulière, surtout pour vous qui veniez de l’Ouest.
« C’était très particulier. En plus, j’étais déjà venu jouer sous le communisme. En 1985. On avait l’impression de se trouver dans un film d’espionnage. Quelques années plus tard, c’était la liberté. En plus, ça venait de se passer donc c’était une vraie émotion d’arriver de l’Ouest. Les gens étaient très ouverts et avaient envie d’entendre des choses. Il y avait déjà une petite minorité qui me connaissait en 1985 parce qu’il y en avait pas mal qui avaient fait le mur, qui allaient au festival de Reading en Angleterre et qui avaient ramené des cassettes de moi. Mais il n’y a pas eu que ça parce que České srdce m’a étonné musicalement. On a fait une petite répétition et j’étais très surpris de voir que c’était tout à fait au point. On en a refait trois ou quatre, et il n’y avait pas grand’chose à redire par rapport à ce qu’il y avait à rejouer le soir. »
Vous avez donc trouvé des affinités avec ce groupe. Vous l’avez même fait venir en France...
« Oui, j’ai invité Michal, donc une partie du groupe seulement, à jouer notamment au Stade de France pour la Nuit celtique en 2003. Je les avais déjà invités en 1993 pour mon album Again. Donc on garde des contacts. »
Enfin, le dernier spectacle des talentueux frères Forman, Obludarium a enfin été donné en RT après avoir tourné en Bretagne. La femme à barbe, le lilliputien, la petite fille géante, ou encore la sirène... tout ce petit monde étrange et dérangeant, et bien plus encore, se retrouve sous le chapiteau de ces éternels saltimbanques, dignes fils de leur célèbre père réalisateur. Autrefois on montrait les êtres difformes dans les cirques, aujourd’hui, les frères Forman décident de leur rendre hommage, avec tendresse et humour, un peu à la manière de Tod Browning et de sa Monstrueuse parade dans les années 1930. Obludarium, c’est un jeu de mot entre le mot « obluda », monstre en tchèque, et planetarium ou aquarium, explique Petr Forman avant de poursuivre...
« Obludarium, c’est quelque chose entre le cirque, le cabaret, le night club... tous ces endroits ont été une source d’inspiration. Derrière ça, on a essayé de créer un spectacle qui fait découvrir la petite histoire des personnages dedans. Je ne sais pas si on comprend bien le nom ‘obludarium’ en français, ici, ça veut aussi dire un peu une ‘freak house’... »
Qu’est-ce qui vous intéresse aussi dans ces personnages en marge ? Je pense par exemple aux personnages de la femme à barbe, aux nains, à ces ‘monstres’ d’une certaine façon...
« C’est un monde qui nous provoque, dont on a peur. On a toujours peur de voir des gens handicapés ou qui sont bizarres. Mais en même temps on n’arrive pas à détourner le regard. Ça c’est le premier plan : on n’est pas intéressé pour savoir comment les gens sont à l’intérieur, quelle est leur histoire et pourquoi ils sont comme ça. Pour nous, c’était un choix de rentrer dans ce monde, car l’idée était qu’Obludarium tourne, pas seulement dans les grandes villes, mais aussi dans les petits villages. Au début, l’idée n’était pas de faire ce cabaret en tant que tel. L’idée était de chercher un monde pour que le public n’ait pas peur de venir. Imaginez si on avait gardé l’idée de départ, celle de jouer Shakespeare ! Si vous venez dans un petit village avec une pièce de Shakespeare, ça fait peut-être un peu fuir le public. Les gens pensent : le théâtre, ce n’est pas pour nous... C’est pour cela qu’on s’est dit qu’on allait approcher un monde qui est naturellement proche de l’intérêt des gens. »