Le photographe tchèque Josef Koudelka fait un don exceptionnel de son œuvre à son pays natal
Photographe français d’origine tchèque et membre de la prestigieuse agence Magnum, Josef Koudelka a décidé de faire don d'une grande collection de ses photographies représentant l'œuvre de sa vie, à plusieurs institutions tchèques. Ce sont en tout 2 000 clichés, dont son célèbre cycle dédié à l’invasion de la Tchécoslovaquie en 1968, qui rejoignent la patrie d’origine du plus célèbre des photographes tchèques contemporains.
« Je suis à un âge où je sais que mes années sont limitées, et j'essaie de terminer la plupart des choses qui sont possibles. Avant, je pensais qu'une fois que je ne serais plus là, personne ne pourrait toucher à ce que j'ai fait. Aujourd'hui, je découvre que j'ai 30 000 contacts de films que j'ai réalisés pendant trente ans. La photographie et les voyages ont toujours été une priorité pour moi. Maintenant que je ne peux plus voyager, que j'essaie de mettre de l'ordre dans mes affaires, je dois examiner ces 30 000 contacts et voir ce qu'ils contiennent. Parce que quand je ne serai plus là, personne ne sera en mesure de le faire. »
A 83 ans, le photographe Josef Koudelka met de l’ordre dans sa vie et ses archives. Une vie remplie, dédiée à la photographie, en éternel nomade depuis son émigration de Tchécoslovaquie en 1970 et que seuls l’âge et la santé – il se déplace aujourd’hui avec une canne – ont freiné dans ses pérégrinations, comme il le reconnaît lui-même.
Ce que d’aucuns qualifieraient de bilan d’une vie, Josef Koudelka lui confère une dimension particulière, en faisant don de 2 000 photographies à son pays d’origine, un demi-siècle après l’avoir quitté.
« Tout au long de ma vie, on m’a beaucoup donné. Soudain, me voilà dans une situation où moi aussi je peux offrir quelque chose. Et j’en suis très heureux. Je suis heureux et j’ai la certitude que ce don se trouve aujourd’hui entre de bonnes mains et qu’on en prendra soin également à l’avenir. »
Le plus grande partie de cette donation, soit 1 800 photographies, dont celles issues du célèbre cycle Invasion, est destiné au Musée des arts décoratifs de Prague (UMPRUM), tandis que le Musée national et la Galerie morave de Brno se partageront le reste.
Les négociations relatives à la donation ont duré plusieurs années et ont porté principalement sur les conditions générales, qui comprennent le mode de stockage des œuvres, les droits d'auteur, les prêts à d'autres musées, et autres éléments. Pendant ce temps, le Musée des arts décoratifs a pu faire aménager un nouveau dépôt où se trouvent désormais archivées les photographies.
Ainsi, à côté des importantes collections de František Drtikol et de Josef Sudek, dont le musée a également fait l’acquisition par donation, celle de Josef Koudelka sera l'un des plus importants corpus de photographie mondiale à faire partie des collections tchèques.
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La valeur des photographies de Josef Koudelka se mesure évidemment à l’aune de son talent, qu’il faut qualifier de pictural car Koudelka est tout sauf un photojournaliste, mais aussi par la rareté de ses tirages originaux : en effet, l’auteur n’en a jamais réalisé d’impressions à grande échelle, et seuls quelques tirages originaux existent pour certaines de ses œuvres antérieures.
Prague rejoint ainsi les grandes villes du monde où de grandes institutions ont la chance de compter les œuvres de l’artiste dans leurs collections, comme le Centre Pompidou, la BnF, le Museum of Modern Art de New York ou le Victoria & Albert Museum à Londres.
Parmi les cycles qui rejoignent le dépôt du Musée des arts décoratifs, Invasion, Exils, Gitans et plusieurs autres encore. Et cette donation à l’Etat tchèque n’est pas terminée, comme le précise Josef Koudelka :
« Mon livre Ruines est le résultat de trente ans de voyages dans les pays du bassin méditerranéen que j’ai visités au moins deux fois. Je me suis rendu dans plus de 200 des plus importants sites archéologiques de cette région. Le résultat, c’est une grande exposition qui a été montrée pour la première fois à Paris, avant d’aller à Rome. L’an prochain, elle devrait être visible à Athènes. Une fois qu’elle aura fini de circuler, c’est sûr, elle viendra ici, en République tchèque. »
Si Josef Koudelka a toujours photographié les gens, que ce soient les Pragois abasourdis de voir leur ville envahie par les chars en 1968, les soldats soviétiques étonnés que ces derniers ne les accueillent pas à bras ouverts, que ce soient les gitans au contact desquels il a vécu, en Tchécoslovaquie, en France, en Grande-Bretagne ou ailleurs, dans son cycle dédié aux ruines antiques, la figure humaine disparaît, ou plutôt, n’est percevable qu’en creux dans ces clichés panoramiques. Comme si à travers ces photographies des vestiges de civilisations passées, il invitait surtout à une réflexion sur la condition humaine, à la manière des peintres de ruines du XVIIIe siècle. Héloïse Conesa, co-commissaire de l’exposition Ruines à la BnF en septembre 2020 :
« Henri Cartier-Bresson disait de Koudelka qu’il avait un œil de peintre. Au XIXe siècle, c’est vrai qu’il y a moins de peintures de ruines aussi à cause de l’arrivée de la photographie : on a désormais cette vision où l’Homme domine la ruine, une vision englobante. Or Koudelka quand il prend en photo ces ruines, il le fait en termes de composition. Il joue de l’ordre autant que du désordre. Chez lui, il n’y a pas que des panoramiques horizontaux, mais aussi verticaux qui se présentent comme des meurtrières. Ce qui me tient à cœur dans cette exposition, c’est de montrer que la ruine n’est pas seulement un motif chez Koudelka. C’est un véritable sujet vu à travers son regard singulier. C’est autant la vision d’un monde en ruine que celle de Koudelka-photographe avec cette attention portée aux pavements par exemple. Il y a aussi beaucoup de vues de colonnades au sol. Il a un usage détourné du panoramique : il y a très peu de vues de ciel. Le ciel l’intéresse peu. Or quand on fait une photo touristique, on prend en général la ruine avec le ciel, dans une vision romantique et sublime. Ce n’est pas le cas ici. Vous avez donc raison : on a un travail de composition proche de celui du peintre, comme Hubert Robert, au XVIIIe siècle, à la fin du siècle des Lumières, a pu montrer une vision du monde d’alors. »