Jan Sokol : « 1968 a mis un terme au soutien intellectuel du communisme »
Jan Sokol, fondateur et ancien doyen de la faculté des sciences humaines de l’Université Charles, ancien chartiste et ex-candidat à l’élection présidentielle de 2003, a également vécu les événements de 1968. Il a livré son témoignage sur cette année de tous les dangers et de tous les espoirs, au micro de Radio Prague.
« Mon expérience personnelle a été tout à fait extraordinaire. Par chance, j’ai vécu mai 68 à Paris puis j’ai passé la journée du 20 août à Moscou. Pour la première fois de ma vie je suis allé à Moscou le 18 août 1968. J’y ai passé une semaine et le reste de l’année 68, je l’ai passé naturellement à Prague. J’ai donc pu comparer les protestations des étudiants parisiens et les protestations vraiment héroïques des Russes en août 68. »
Vous avez rencontré des Russes qui ont protesté en 68 ?
« Non, ce n’était pas possible mais j’ai rencontré beaucoup de Russes qui sont venus à l’ambassade tchécoslovaque à l’époque pour signer un acte de solidarité. Il y en avait des dizaines, peut-être des centaines, ce qui était un héroïsme qu’il faut apprécier. »
Quel a été votre regard sur les différences de sens entre mai 68 en France et août 68 en Tchécoslovaquie ?
« Ça me paraissait à l’époque tout à fait incompréhensible, parce que, ce que les étudiants français ont contesté, c’est ce que tout le monde voulait ici. Après j’ai appris à apprécier qu’il y a peut-être quand même quelque chose en commun. Mais il est vrai que les programmes étaient tout à fait incompatibles. »Et quel était ce "quelque chose en commun"?
« Ce qui était en commun, à mon avis, était un certain esprit d’espoir. Il y avait un espoir, partout dans le monde, un peu utopique. Mais c’est quelque chose qui était vraiment grand presque partout dans le monde : aux Etats-Unis, en Europe, en Italie, en Allemagne. Même si les espoirs s’exprimaient d’une manière différente, il y en avait. »
Cette année marque l’anniversaire de l’invasion des chars soviétiques à Prague. Il y aura un certain nombre de conférences et de commémorations de l’évènement. Vous êtes philosophe et historien. Est-ce qu’il y a plusieurs interprétations de 68 en République tchèque et quelles sont les grandes lignes du débat sur le printemps tchécoslovaque?
« Il y avait naturellement une certaine continuité personnelle entre 1968 et 1989. Ce qui a fait, à mon avis, que même 68 a été politisé pour ainsi dire. Alors la droite est devenue très sceptique envers 68 tandis que c’est la gauche qui le réclame pour soi. Ce qui ne correspond pas à la réalité mais c’est comme cela que des évènements politiques deviennent un thème de débat politique aujourd’hui.
En 68, le mouvement a échoué. Mais il a quand même à mon avis deux points importants et positifs. Premièrement, à l’intérieur, c’était l’occasion pour toute une génération de faire l’expérience d’une certaine liberté, même si elle était limitée. Mais c’était extrêmement important pour le développement ultérieur. Sur le plan international, je crois que c’est 68 qui a mis un terme à ce support intellectuel général pour le communisme soviétique. Cela aurait pu être le cas après les émeutes de 1956 à Budapest, mais il n’y a pas eu cette présence massive des étudiants et des journalistes. Alors, même en Hongrie, ils ont toujours pu supposer ou prétendre que c’était un progrès. Après 68, je crois que ce n’était plus possible. »