Dora Diamant, la dernière maîtresse de Kafka
« Dora a dit qu’elle avait brûlé certains des écrits de Kafka, à sa demande, alors qu’il était allité et mourant. Il a insisté pour qu’elle les détruise, et elle l’a fait. Mais elle n’a pas brûlé la majorité... » Dora Diamant était la dernière maîtresse de Franz Kafka. La femme qui l’a accompagné pendant la dernière année de sa vie. La femme dans les bras de laquelle Kafka est mort de la tuberculose. Une femme au destin exceptionnel à propos de laquelle une chercheuse américaine Kathi Diamant, de l’Université de San Diego, a écrit un livre.
C’est à 19 ans que Kathi Diamant découvre l’histoire du dernier amour de Kafka :
« Nous étions en cours de littérature étrangère à la fac, et nous traduisions La métamorphose de Kafka. Le professeur a interrompu le cour et s’est tourné vers moi en disant : ‘Fräulein Diamant, êtes-vous de la famille de Dora Diamant ? A 19 ans je ne connaissais pas Kafka, je ne savais pas qui elle était... Il a dit qu’elle était la dernière maîtresse de Kafka et qu’elle avait brûlé ses écrits. J’ai dit qu’elle était peut-être de ma famille, que j’allais chercher. Mais après toutes ces années, la seule question à laquelle je n’ai pas répondu, c’est celle-ci ! »
Car, en effet, cette question du professeur à la jeune étudiante américaine est le point de départ d’une quête qui dure jusqu’à ce jour. Kathi Diamant découvre d’abord que Dora Diamant était une jeune Polonaise issue d’une famille de Juifs hassidiques, une branche très orthodoxe et mystique du judaïsme en Europe centrale. Elle fuit le foyer familial pour vivre sa vie, se retrouve à Berlin, avec comme rêve : partir en Palestine pour bâtir un pays pour le peuple juif. Mais en 1923, elle rencontre Kafka sur la mer Baltique. C’est le début d’une intense relation, écourtée par la mort prématurée de l’écrivain avec qui elle s’installe à Berlin.
On sait que Franz Kafka souhaitait que ses œuvres soit détruites, un vœu que n’a pas respecté Max Brod, son exécuteur testamentaire et son meilleur ami. Dora Diamant, elle, a détruit certains écrits, mais finalement elle ment à Brod en ne lui parlant pas de ceux qu’elle a gardés. Kathi Diamant :
« Une des raisons pour lesquelles Dora a été largement ignorée par les chercheurs, c’est parce que les lettres que Kafka lui a envoyées, ses derniers carnets de notes, toute la documentation relatant leur vie ensemble a disparu. Tout a été volé par la Gestapo dans l’appartement de Dora en 1933, et à ce jour, aucun document n’a été retrouvé. Parce qu’il n’y avait pas de textes, il n’y avait pas vraiment de preuve de leur vie ensemble. »
Après la rafle de la Gestapo, Dora Diamant, prise de remords, avoue à Brod son mensonge et le supplie de retrouver les papiers. Après la guerre, Max Brod, qui vit à Tel-Aviv, lance des recherches avec un jeune spécialiste de Kafka, Klaus Wagenbach. Ils apprennent que les documents ont sans doute été transférés en Silésie, une région frontalière entre la Tchécoslovaquie et la Pologne, alors que Berlin subissait les bombardements des Alliés. Cette quête interrompue par le début de la guerre froide, Kathi Diamant souhaite l’accomplir aujourd’hui. En 1998, elle a reçu l’autorisation du Kafka Estate à Londres de lancer des recherches. A Berlin, elle trouve confirmation de la confiscation des documents par la Gestapo et découvre plus de renseignements sur Dora Diamant et sa vie après Kafka.
« A la fin de mes recherches, le gouvernement allemand m’a dit de ne pas renoncer, que cela prendrait encore quelques années avant que les autorités ne sachent où toutes ces archives sont disséminées en Europe centrale. Et que seulement là, on pourrait recommencer. Voilà, cela fait dix ans, je suis revenue. Et nous avons lancé ce Projet Kafka, un texte d’alerte qui a été traduit en tchèque, polonais, slovaque et allemand que nous distribuons aux archives, aux entrepôts, bibliothèques, mairies dans la région pour essayer de cibler où ces documents peuvent se trouver. »
Et Kathi Diamant a bon espoir que quelque part quelqu’un, un employé des archives ou d’une bibliothèque, puisse retrouver ces textes... Des écrits qui pourraient éclairer le personnage de Kafka sous un autre jour. On sait ainsi déjà qu’il était contre toute attente un voyageur – ds CsF il y a quelques mois, je vous ai parlé de ce projet photographique sur les traces de l’écrivain à travers l’Europe. Une chose est sûre pour Kathi Diamant, Kafka est devenu une sorte de caricature des personnages qu’il a inventés, des figures hantées et solitaires, loin de ce qu’était Kafka au quotidien :« Ma première expérience de Kafka, ça a été ‘La métamorphose’, un cauchemar, c’est vrai. Mais Dora disait qu’il était un amuseur né, toujours prêt à faire des blagues. Max Brod disait que Kafka était la personne la plus drôle qu’il ait jamais rencontrée. »
Une autre image de Kafka, pour sûr... Et Max Brod lui-même dira de son ami que sa relation avec Dora le portait... Pendant les onze derniers mois de sa vie, passés avec Dora, Kafka était heureux, optimiste et créatif... Malgré la mort qui le guettait, la mort, angoisse primaire de l’être humain, Kafka finit sa vie aimé et amoureux...