« Il y a déjà des sociétés qui quittent la République tchèque »
Pascal Felmy est français, il est arrivé en 1994 à Prague pour développer le cabinet Mazars. Pascal Felmy est aujourd’hui, depuis quatre ans, associé d’un cabinet de recrutement spécialisé en cadres moyens et supérieurs sur toute la zone Europe centrale et orientale. Observateur avisé, il nous livre aujourd’hui ses impressions, de l’évolution du marché du travail tchèque à ses inquiétudes concernant l’avenir économique d’un pays dont les politiciens se préoccupent insuffisamment…
Est-ce qu’on pourrait commencer par parler de votre cabinet de recrutement, des particularités que vous pouvez noter ici, en termes de recrutement de cadres supérieurs ?
« Je pense que ce qui est intéressant, c’est d’observer les changements depuis 1994. Dans les années 1990, c’était un peu la jungle, il y avait énormément d’opportunités, énormément de possibilités. Dans le milieu des années 1990, la personne qui était un peu intelligente et qui parlait anglais avait des opportunités très intéressantes et pouvait développer sa carrière… pour nous, Européens de l’Ouest, de manière quasiment « extraterrestre » ! J’ai par exemple un de mes assistants qui était comptable, avec moi, chez Mazars, et qui est maintenant membre du board et manage 2000 personnes !
Ces opportunités ont disparu, maintenant, et selon moi, l’économie du pays – et le marché de l’emploi – a atteint un stade de maturité qui est assez proche de l’Europe de l’Ouest – à la différence que les Tchèques ont vendu à peu près tout ce qui était vendable, au niveau entreprises. Les marchés sont maintenant relativement bien répartis, il n’y a plus vraiment d’opportunités, de possibilités de faire fortune du jour au lendemain. Cela se traduit, en matière de recrutement, par des recherches beaucoup plus précises de profils beaucoup plus précis. Par exemple, si vous avez un directeur financier d’une boite pharmaceutique qui part, pour le remplacer, on cherchera un « clone » du prédécesseur, ou un « clone » de ce qu’on pourrait avoir, dans n’importe quel pays, en Europe de l’Ouest ou en Amérique du Nord. »
Comment vous expliquez le problème à trouver les profils recherchés ?
« Plusieurs choses : le chômage est très bas, beaucoup de sociétés sont sur place… C’est intéressant de voir d’un côté comment le marché privé a évolué, depuis la chute du Mur. C’est intéressant aussi de voir que d’un autre côté, depuis ce temps-là, au niveau Etat, administrations, ils sont toujours aussi… je vais me permettre d’être peu correct, ils sont toujours aussi nuls. Il n’y a aucune vision à long terme, au niveau formation, rien n’est fait, et à côté, il faut voir que la République tchèque est petite, on en profite pour des raisons de coûts faibles.L’Etat a mis en place un certain nombre d’incentives fiscales pour mettre en place des centres technologiques – souvent des centres informatiques, des centres d’appels, des centres de services partagés – qui restent quand même encore des métiers où on n’a pas besoin de gens très très qualifiés.
Ce qu’on a vu par contre, et je citerai notamment un exemple avec les centres technologiques, informatiques, l’Etat a mis en place des incentives pour que les sociétés investissent, comme par exemple DHL à Chodov, par contre ils ont simplement oublié, à côté, que peut-être que ces centres auraient besoin de personnel. Si, à côté, on ne construit pas d’ « usines » pour produire de informaticiens, des ingénieurs, à un moment, les gens commencent à se tirer dans les pattes et se prendre les salariés, on a une inflation sur la demande et une inflation sur les coûts, les salaires montent et dans quelques années, d’après moi, la République tchèque aura perdu son attrait au niveau coûts.
Il y a déjà des sociétés qui quittent la République tchèque, soit parce que les Tchèques sont trop chers, soit tout simplement parce qu’on ne trouve pas de main-d’œuvre.
Moi, ce qui m’inquiète un peu, c’est justement ce côté « absence de plan à long terme », corruption, niveau très très faible de l’administration… Quand on voit les nouvelles lois, et notamment une qui me tient à cœur, la législation fiscale – il y a un certain nombre de mesures qui ne sont pas forcément… c’est tout dans le même sens, pour arranger ces gens qui gagnent beaucoup d’argent…La partie « Etat sans vision à long terme », la partie « faiblesse du système administratif », le fait que quasiment tout à été privatisé… A un moment, il risque d’y avoir un problème – et ce qui est lié au fait que tout a été privatisé, c’est que la République tchèque dépend, à un taux important, de décisions qui sont prises hors de République tchèque, et que quelque part, ils ne sont pas vraiment maîtres de leur destin.
Par exemple, Skoda [entreprise appartenant à Volkwagen], je pense qu’un jour, Volkswagen va tout délocaliser, va aller vers la Russie dont le marché automobile est autrement plus prometteur que la République tchèque, et d’un coup, ça supprimera des milliers et des milliers d’emplois, parce que Skoda, c’est pas uniquement Skoda mais aussi tous les sous-traitants. Je pense que quelque part, tout cela est lié, cette absence de plan à long terme… et selon moi, les politiciens s’en moquent, ça ne les intéresse pas, ce qui les intéresse, c’est de s’en mettre le maximum dans les poches et point. »