« Danser entre les œufs » et « discuter avec lui, c’est danser avec une chèvre »
Salut à tous les tchécophiles de Radio Prague – Ahoj vám všem, milovníkům češtiny Radia Praha ! En cette saison des bals, nous avions récemment évoqué la nuance qui existe dans la langue tchèque entre les deux petits mots que sont ples et bál, deux termes, l’un d’origine slave et l’autre française, qui désignent la même chose, à savoir une assemblée de personnes réunies dans un même endroit pour danser. Danser – tančit ou tancovat, la danse – tanec, les origines du mot et les expressions de la langue tchèque s’y rapportant, tel est donc le thème auquel nous allons nous intéresser pour cette fois.
Comme pour le mot « bál », le mot tchèque « tanec » provient de l’allemand. En réalité, plus précisément, le mot allemand « Tanz » tire son origine du mot français « danse », un mot de la langue d’oïl. En vieux français, il s’agissait alors vers la fin du XIIe siècle de « dencier », un mot qui, lui, provient probablement de « dintjan », un mot francique, historiquement, donc, la langue du peuple germanique des Francs. A l’époque, le verbe signifiait quelque chose comme « se mouvoir de-ci de-là ». On remarquera d’ailleurs que les mots tchèque et français possèdent une racine similaire. La seule question à laquelle les étymologistes ne sont pas en mesure de répondre reste donc de savoir comment le mot « tanec » est apparu dans la langue tchèque.
Ce que l’on sait, en revanche, c’est qu’il existe un certain nombre d’expressions et de comparaisons dans la langue tchèque faisant référence à la danse. Ainsi, on entend parfois parler de « danse entre les œufs » - « tanec mezi vejci », une bien belle expression imagée comme nous les aimons, qui signifie négocier avec prudence, faire des compromis dans une situation compliquée. Cette métaphore nous donne à penser qu’elle est l’œuvre de la plume d’un poète. En fait, à l’origine, il ne s’agissait nullement d’une métaphore, ni même d’une image, mais bel et bien de l’appellation d’une danse germanique qui existait au Moyen-âge, une danse d’adresse qui, semble-t-il, était d’ailleurs très prisée. Et si aujourd’hui la danse a probablement disparu, il nous reste donc l’expression « danse entre les œufs » - « tanec mezi vejci ».
Autre expression très jolie : les Tchèques disent parfois « tančí, jak mu pískají », ce qui, traduit littéralement, signifie que la personne en question « danse comme on le lui siffle », selon la mélodie qu’on lui siffle, et que, obéissante, docile, et même soumise, elle fait ce qu’on lui dit de faire, elle exécute les ordres de son supérieur ou de quelqu’un de plus puissant. Une expression dont on pense que l’origine, biblique, est à mettre en rapport avec les paroles de Jésus : « Nous vous avons joué de la flûte, et vous n'avez pas dansé ; nous vous avons chanté des complaintes, et vous n'avez pas pleuré ». On notera cependant que la différence est que là où Jésus constate qu’on n’a pas dansé alors que de la flûte était jouée, dans l’expression « tančí, jak mu pískají », on danse comme on siffle.
Remarquons que les Tchèques peuvent également « danser sur un volcan » - « tančit na sopce », même s’il s’agit là d’une expression qui n’est plus guère employée. Il s’agit alors de désigner un comportement insouciant alors qu’un danger guette, se rapproche. On parle aussi parfois de « danser sur le pont supérieur du Titanic » - « tančit na horní palubě Titaniku », qui possède un sens identique, et on comprend très bien pourquoi, puisque jusqu’au dernier moment on a dansé à bord du bateau alors que celui-ci coulait. Pour ce qui est de « danser sur un volcan », il ne s’agit pas d’une expression propre à la langue tchèque puisqu’on la retrouve également en français. Il s’agit, en fait, d’une expression popularisée à partir de 1830, à la veille de la Révolution de Juillet, suite à un mot célèbre prononcé par le comte de Salvandy lors d’un bal donné en l’honneur du roi des Deux-Siciles. Narcisse-Achille de Salvandy glissa alors au duc d’Orléans : « Voilà, Monseigneur, une fête toute napolitaine, nous dansons sur un volcan ». Bien entendu, Salvandy ne pensait pas aux danses sur le Vésuve, le volcan qui domine la baie de Naples, mais employa cette expression plutôt comme un avertissement, quelque temps, donc, avant la Révolution de 1830 en France.
Enfin, terminons avec une dernière comparaison, elles aussi très imagée : « je s ním řeč jako s kozou tanec », ce qui signifie qu’il est tout aussi compliqué de discuter avec la personne en question que de danser avec une chèvre. Alors, on peut supposer que personne parmi nous ou parmi vous n’a jamais dansé avec une chèvre, mais cette expression indique, vous l’aurez compris, qu’il est impossible de mener une discussion sensée, raisonnable, comme il est, on le suppose, tout aussi impossible de danser avec une chèvre.
Après avoir commencé à danser avec des œufs, c’est donc avec la chèvre que nous terminons ce « Tchèque du bout de la langue » consacré à la danse. En attendant de vous retrouver dès la semaine prochaine, portez-vous donc du mieux possible – mějte se co nelíp !, portez le soleil en vous – slunce v duši, salut et à bientôt – zatím ahoj !