Antoine Marès : les périodes de relations fluides entre Prague et Paris ont été des périodes heureuses pour les Tchèques.
En février dernier, soixante ans se sont écoulés depuis l’arrivée au pouvoir des communistes, dans l’ancienne Tchécoslovaquie. Nous avons préparé toute une série de programmes évoquant différents aspects de l’événement qui a mis le pays, pour une quarantaine d’années, sous la botte soviétique. Aujourd’hui, nous chercherons une réponse à la question de savoir comment la France a réagi à ce que les communistes aimaient appeler le Février victorieux 1948. Notre collaborateur Bertrand Schmitt s’est entretenu avec l’historien français Antoine Marès, spécialiste de l’Europe centrale, à l’occasion d’un de ses récents passages à Prague.
« C’est une histoire très compliquée, en ce sens que les Français et les Tchécoslovaques étaient à peu près sur la même ligne de conduite en refusant du côté du général de Gaulle tant qu’il est au pouvoir – il ne l’est plus en 48 – une tutelle américaine et du côté tchécoslovaque, en essayant tout en ayant une amitié très forte avec Moscou, qui était la conséquence d’un traité signé en 1943 par E. Beneš avec Staline, de garder une marge de manoeuvre d’autonomie. Et je crois que cette ligne commune a été brisée à partir du moment où du côté de Moscou on n’avait plus besoin d’une vitrine démocratique vers l’Ouest et que du côté français dans le sillage de la grande peur occidentale d’une avancée de l’URSS, on a rompu cette alliance, ce pacte avec le parti communiste en le chassant du gouvernement. Il y a donc toute cette historie de la guerre froide, il y a eu un mouvement qui s’est auto-alimenté de méfiance et qui a précipité la dramatique coupure du continent en deux ».
Est-ce que pendant cette période, les contacts ont pourtant réussi à perdurer, est-ce qu’il y a eu des tentatives de contacts, d’échanges entre la France et la Tchécoslovaquie ?
« Evidemment, après 1948, progressivement, tous les espaces de la liberté sont supprimés - l’Institut français est fermé en 1951. Par la suite, il y a une espèce de trou qui dure jusqu’en 1954, 1955. Ce qui est très significatif me semble-t-il, c’est que les relations entre la Tchécoslovaquie et la France seront celles qui seront les plus affectées par la rupture. Elles seront les plus tardives à se rétablir. Il faut attendre 1967, 1968, pour que ces relations se rétablissent. Et on sait ce qu’il en sera après 1969. De ce point de vue, on se rend compte que les périodes de relations fluides entre Paris et Prague ont été des périodes heureuses pour les Tchèques. Quand ces relations ont été interrompues – l’occupation allemande, l’arrivée des communistes au pouvoir en 1948, l’invasion soviétique en 1968 – ces relations ont été profondément affectées, avec une répression très forte qu’ont subie les Tchèques en ce lieu très inconfortable qu’est l’Europe centrale ».