Créé par le bohémiste Ernest Denis, l’Institut d’études slaves de Paris fête ses cent ans
Le 17 octobre a marqué le centenaire de la création de l’Institut d’études slaves à Paris. Créé par l’historien français, spécialiste de l’Allemagne et de la Bohême, Ernest Denis, il est installé dans l’ancien hôtel particulier de ce dernier et est aujourd’hui rattaché à la faculté des lettres de la Sorbonne.
Pour évoquer la vocation de l’Institut aujourd’hui, institut qui n’accueille pas d’élèves et ne donne pas de cours, mais est avant tout un lieu dédié à la recherche, Martin Balucha, correspondant de la Radio tchèque à Paris a interrogé sa directrice actuelle, Hélène Mélat :
« D’abord l’Institut est un éditeur : nous publions des ouvrages scientifiques, universitaires sur des sujets très variés, que ce soit de l’histoire, de la littérature ou de la sociologie, sur les pays auxquels nous consacrons nos études. Nous publions également des manuels, de russe, de grammaire tchèque, ou de serbo-croate… Nous publions la Revue d’études slaves qui est la revue slavistique française la plus connue et reconnue internationalement. Nous avons aussi un volet archives et conservation d’ouvrages, des archives qui datent essentiellement de la première émigration russe. Nous accordons l’accès à ces archives à des chercheurs du monde entier et nous avons commencé à les mettre en ligne avec le projet Numérislave, qui est très important pour permettre de les faire vivre. Nous avons aussi une très grande bibliothèque dont certains n’existent que chez nous. Nous ne donnons pas de cours, mais cette bibliothèque et ces archives accueillent des étudiants, des chercheurs, jeunes et moins jeunes, qui vient consulter ce patrimoine exceptionnel que nous avons. »
Depuis plus d’un an et demi, l’agression de la Russie contre l’Ukraine et la guerre qui sévit dans ce pays depuis le 24 février 2022, ont sans surprise eu un impact sur la communauté des slavisants en France, comme le relève Hélène Mélat :
« Nous sommes une organisation neutre, mais bien sûr nous condamnons la guerre et ce que font les Russes en Ukraine. Mais nous continuons à recevoir des chercheurs russes quand ils viennent. Beaucoup moins qu’avant cela dit. La retombée pour nous est très matérielle, c’est qu’on a vendu beaucoup moins de manuels de russe cette année. Il y a un début de désaffection par rapport à l’enseignement du russe. C’est surtout les adultes qui achètent nos manuels et on voit une récession. »
Ernest Denis, Français républicain et patriote tchèque
Jusqu’au 26 octobre, de nombreuses rencontres, conférences et table-rondes ont lieu au sein de l’Institut d’études slaves pour célébrer son centenaire. Parmi les intervenants et chevilles ouvrières de cet anniversaire, l’historien français Antoine Marès, spécialiste de l’histoire des pays tchèques :
« Il y a une préhistoire de l’Institut qui remonte à la Première Guerre mondiale et à 1916. Et il y a une histoire qui commence réellement en 1919. Ce qu’on commémore cette année, c’est le centenaire de l’inauguration officielle de ce bâtiment, avec un équipement qui s’est peu à peu développé. C’est la date du 17 octobre 1923, de la visite de Masaryk, dans ses murs, avec son ministre des Affaires étrangères, Edvard Beneš, et l’ambassadeur Stefan Osuský, qui est šretenue pour cet événement officiel et extrêmement important. »
C’est à un chercheur spécialiste de l’histoire de la Bohême et notamment du hussitisme que l’on doit la création de l’Institut d’études slaves il y a cent ans : né à Nîmes en 1849, Ernest Denis a joué un rôle majeur dans le soutien à la création de la Tchécoslovaquie indépendante après la Première Guerre mondiale. Antoine Marès nous rappelle son parcours :
« Ernest Denis est un jeune homme qui a grandi sous le régime de Napoléon III. C’était un républicain ce qui fait qu’il a eu quelques ennuis à ce propos. Il est bien entendu de cette génération qui a été profondément marquée par la défaite de la France face à la Prusse en 1870. C’est à la suite de cet événement qu’il est parti en Bohême où il a été immédiatement capté par les milieux patriotiques tchèques. Lui-même est devenu une sorte de patriote tchèque, persuadé qu’il fallait renouer avec une indépendance de la Bohême – même si l’indépendance n’était pas le but des politiques jusqu’en 1914. Dans ce cadre-là, Ernest Denis n’avait pas une bonne opinion de Masaryk : la conversion d’Ernest Denis à Masaryk se produit pendant la guerre. Là, il s’est mis au service de la cause tchécoslovaque, du Conseil national des pays tchèques et slovaques. Il a notamment contribué à la lutte de propagande en vue d’une création de la Tchécoslovaquie en créant une revue La Nation tchèque, dont le contrôle a ensuite été assuré par Edvard Beneš. »
« Ernest Denis était un universitaire enflammé, passionné et Beneš a voulu faire de cette revue un outil diplomatique qui nécessitait plus de prudence. Ernest Denis a joué un grand rôle de médiateur de la Bohême et de la culture tchèque en France, par ses ouvrages, par son action. Il a aussi joué un très grand rôle pour les Tchèques, comme une des personnalités dominantes dans le domaine de la connaissance des pays tchèques. A tel point que son nom est évoqué pendant la guerre pour une éventuelle présidence de la Tchécoslovaquie, ce qui était totalement étranger à Ernest Denis qui n’aimait pas les honneurs. »