De Gaulle et les Tchèques
Entre le général de Gaulle et la Tchécoslovaquie, l’histoire n’aura pas été aussi pittoresque qu’avec, par exemple, les Etats-Unis. Mais de Munich en 1938, à Prague en 1968, la solidarité intellectuelle de l’homme du 18 juin avec l’allié tchèque est indéfectible. L’homme et la nation ont une valeur en commun : l’indépendance.
Ainsi s’exprime le colonnel de Gaulle, dans une lettre à sa femme, Yvonne, peu après la conférence de Munich, en octobre 1938. Avant de constater, ce qui n’est pas rien sous la plume du futur garant de la puissance hexagonale : « La France a cessé d’être une grande nation... ».
De Gaulle se sent humilié par le lâchage de l’allié de la France et le consentement général face au dépècement de la Tchécoslovaquie. L’amertume ne cache qu’une demi-surprise. De Gaulle, visionnaire, a compris l’importance des chars dans la guerre qui approche. Durant les années 30, l’état-major a fait la sourde oreille à toutes ses propositions. Même si elle le voulait, l’armée française serait incapable d’aider les Tchèques. La stratégie officielle, qui repose sur l’infaillibilité de la ligne Maginot, interdit tout mouvement offensif !
Et cette stratégie n’aura pas permis à la France de tenir très longtemps face aux Panzers allemands, de Gaulle l’avait prévu. Le 10 juin 1940, il s’envole pour Londres pour organiser la France combattante.
Parmi les premiers à le rejoindre, on retrouve René Cassin. Ce grand juriste est également un vieil ami d’Edourad Benes, futur président de la deuxième République tchécoslovaque. Benes suivra avec attention les aléas de la France libre et de son chef, le général de Gaulle. Faisant allusion aux relations très difficiles entre le président américain Roosevelt et de Gaulle, il déclare à René Massigli en 1943 : «Roosevelt n’est pas seulement anti-gaulliste, il est tout bonnement anti-français.»Une remarque assenée un peu brutalement mais qui reflète une réalité indéniable : pour le président américain, la France, vaincue, a perdu son statut de grande puissance. Après la guerre, il compte en faire une sorte de protectorat américain ! Le gouvernement tchèque en exil sera l’un des premiers à reconnaître, en juin 1944, l’autorité du gouvernement provisoire de de Gaulle sur la France libérée.
De manière plus anecdotique, on verra aussi le fils de Tomas Masaryk aux côtés des Français libres de Londres. Nous sommes en novembre 1942. De Gaulle et son entourage subodorent, depuis quelques semaines, un projet anglo-américain de débarquement au Maroc et en Algérie, alors sous administration de Vichy. Le 8 novembre, Jan Masaryk confie à René Pleven : «C’est pour cette nuit ! ». La nouvelle est confirmée quelques heures plus tard par Churchill. Les Alliés n’avaient pas jugé bon d’informer de Gaulle. Il en sera furieux et ses relations avec les Alliés un temps menacées.Après la fin de la guerre, il faut attendre 1959 pour voir de Gaulle revenir sur la scène politique française. Mais cette fois-ci, c’est pour prendre la présidence du pays. A la faveur d’un contexte international de détente Est-Ouest, la France renoue alors des relations avec l’Europe de derrière le Rideau de Fer.
A partir du milieu des années 60, de Gaulle entreprend une percée diplomatique à l’Est, à l’instar de l’Ostpolitik pratiquée par le chancelier de RFA Willy Brandt. Il s’agit aussi, pour de Gaulle, d’affirmer, face aux Etats-Unis et à l’URSS, l’indépendance de la politique étrangère française et son refus des blocs.En septembre 1964 est signé le premier protocole d’échanges culturels franco-tchécoslovaques. Si l‘accord est symbolique, il n’en aboutit pas moins à la reprise des échanges entre les universités des deux pays : Académie tchécoslovaque des Sciences et Ecole pratique des Hautes Etudes, Université Charles et Sorbonne... C’est dans ce climat, favorisé par la déstalinisation en Tchécoslovaquie, qu‘Henri Erhet, conseiller culturel à l’ambassade de France à Prague, fera un instant renaître l’Institut français, rue Stepanska.
Même si les échanges sont timides, c’est sous la présidence du général de Gaulle que reprennent les relations entre les deux pays après deux décennies de gel. En août 1968, de Gaulle condamnera sans équivoque l’écrasement du Printemps de Prague.Et pourtant, ironie de l’histoire, c’est un espion tchèque, le colonel Josef Jindrich, qui serait impliqué dans une tentative d’attentat contre de Gaulle au Liban, à la fin des années 60. Une bombe devait exploser à Beyrouth, à l'occasion d'une visite du président français. Afin de brouiller les pistes, les services secrets tchécoslovaques auraient loué les services d'un commando palestinien. L’un des buts de la manœuvre était de faire accuser les Etats-Unis, dont on savait l’hostilité face à ce de Gaulle, qui avait fait sortir la France du commandement intégré de l’OTAN. De Gaulle a finalement dû annuler sa visite et rien ne s’est donc passé.
Personne n’a jamais officiellement prouvé une telle tentative d’attentat. Elles a été évoqué par un certain Josef Frolik, un ancien des services secrets tchécoslovaques, dans ses Mémoires. La thèse en paraît pour le moins farfelue ...